APRÈS DEUX CRISES, EN 2008 ET 2011 qui ont affecté le marché des pneus de tourisme et la vitalité du site, le manufacturier a redressé la barre. Sans licencier ni embaucher. Pour rester compétitif et acquérir les compétences qui lui font défaut, il joue sur la formation et les contrats d’intérim.
Des pointes à 20 000 pneus par jour en janvier, à Bridgestone Manufacturing France, à Béthune (Pas-de-Calais) : cela faisait près de dix ans que l’unique usine française du groupe japonais n’avait pas atteint un tel niveau de productivité, à 17 000 pièces en moyenne sur le mois. L’entreprise revient de loin : en 2014, la production avait baissé à 14 000 pneus tourisme par jour, et les rumeurs de fermeture allaient bon train. A 150 kilomètres de là, Goodyear liquidait son site d’Amiens : le contexte était morose, la crise de 2008 frappait de plein fouet le secteur de l’automobile. Sébastien Tranchant, le DRH de Béthune, le rappelle : « La concurrence s’était alors accrue, en particulier avec les sites en Europe de l’Est qui sont devenus plus compétitifs que nous. Une usine dont les coûts sont plus chers et qui produit moins, c’est une usine qui perd confiance. De fleuron européen du groupe japonais, la nôtre était passée au statut de lanterne rouge ».
Bridgestone est l’un des plus gros employeurs du bassin béthunois, même si les effectifs ont diminué au fil des années. 1 000 CDI aujourd’hui, contre 1 250 fin 2012 et… 1 600 avant 2008. Pas de PSE cependant : les départs naturels, retraites ou démissions, non remplacés, ont permis contraction des effectifs et de la masse salariale. Pas d’accord de compétitivité non plus. « Cela convient à des usines qui fonctionnent bien, et qui ont des difficultés passagères », analyse Sébastien Tranchant. « Ici, il y avait un problème de fond, avec un besoin de retrouver des performances durables. »
Le plan de relance s’est organisé en deux étapes : « Il fallait d’abord revenir aux fondamentaux industriels, puis travailler la motivation des équipes », explique Sébastien Tranchant. Dès 2013, un nouveau directeur, venu de l’usine de Poznan en Pologne, a commencé à remettre à plat l’outil industriel. Les salariés en parlent encore avec respect : « C’était un connaisseur du pneu. Avec lui, on a gagné en qualité, il nous a remis sur les rails », témoigne David Deltour, délégué syndical CGT. Même si sa rigueur implacable a envoyé au rebut nombre de pneus. En novembre 2015, la nomination d’un nouveau directeur général, Philippe Burnage, ancien des ciments Lafarge, a marqué le début de la deuxième phase, avec le renouvellement du Codir. Un directeur de production est arrivé de Renault. Sébastien Tranchant, lui, a quitté Toyota, où il était DRH adjoint de l’usine d’Onnaing (Nord), pour rejoindre Bridgestone. Une vision pour 2020 a été élaborée, avec trois objectifs : assurer un fort engagement du personnel, mesuré par la baisse du niveau d’absentéisme et d’accidents ; être un fournisseur fiable en quantité et en qualité, à effectif constant ; être un site à l’équilibre financièrement.
La lutte contre l’absentéisme est un point-clé, car il prive le site de compétences rares sur le Béthunois. A la dernière NAO, en décembre 2016, un intéressement a été négocié. La présence au poste de travail représente la moitié de la prime. Jacky Faucoeur, délégué syndical Sud-Chimie s’en inquiète : « Nous avons un taux élevé de maladies professionnelles, car ici, c’est encore un métier très physique. » Toutefois Sébastien Tranchant souligne l’enjeu « Nous sommes le seul manufacturier de pneus à 100 kilomètres à la ronde, nos métiers sont spécifiques et en tension. Nous avons besoin de garantir la présence des salariés en nombre suffisant pour assurer la production. » L’été dernier, dix assembleurs de pneus ont été absents en même temps, et il n’a pas été possible de les remplacer. Pour pallier ce problème, l’usine a parié sur la polyvalence des ouvriers. Une solution à court terme. Aussi, le DRH a-t-il trouvé des solutions plus pérennes, pour avoir une main d’œuvre plus flexible, afin de répondre aussi aux aléas de la fabrication. Avec l’aide de Pôle emploi, il recrute des chômeurs du Béthunois qui suivent une formation de 15 jours à quatre mois sur tous les métiers présents dans les ateliers, et dispensée dans l’usine par des ouvriers instructeurs. Les stagiaires signent ensuite un contrat de six mois au minimum. Une trentaine de personnes sont passés par ce circuit depuis juillet, date de lancement du dispositif. Elles peuvent ensuite opter pour un CDI-intérimaire, porté par la société Randstad. Par ailleurs, l’industriel s’est soucié du métier stratégique d’assembleur de pneus, à la technicité complexe. Il a donc intégré le groupement d’employeurs, Alliance Emploi, pour pouvoir puiser dans le vivier de compétences partagés avec d’autres, et qu’il contribue à alimenter. Avec le soutien de l’Afpa, il forme en effet depuis le 20 février, six jeunes dans l’école interne du site, dans l’idée de leur délivrer une qualification de conducteur de machine automatisée, qu’ils pourront valoriser dans d’autres secteurs au sein d’Alliance emploi.
Peu à peu, la confiance revient, observe le DRH. Un avis nuancé par Jacky Faucoeur. « Si l’entreprise réembauchait, on se dirait que c’est le redémarrage. Mais là, ce n’est que de l’intérim ». Les syndicats restent vigilants, craignant délocalisation, comme pour Whirlpool, et s’inquiétant d’un outil vieillissant, face aux usines flambant neuves du groupe en Pologne. « Nous avons eu 10 millions d’investissement, mais c’était de la maintenance », note David Deltour. Certes, l’usine s’eservu accordé le test d’un nouveau mélangeur de gommes pour Bridgestone Europe. Mais l’avenir ne s’est pas encore éclairci, selon le délégué syndical CGT. La période n’est que transitoire, il faut produire encore plus !