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L’enquête

Philippe Denimal* sociologue du travail et consultant

L’enquête | L’interview | publié le : 21.02.2017 | H. T.

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Philippe Denimal* sociologue du travail et consultant

Crédit photo H. T.

« L’intéressement est un outil formidable pour le dialogue social »

Quelle est la recette d’une bonne politique salariale ?

Le pire, c’est le maquis. C’est de tout mêler sans discernement pour obtenir une rémunération globale sur laquelle le salarié n’a aucune visibilité. J’attache la plus grande importance au fait de distinguer les différents ingrédients d’une politique salariale, faute de quoi les personnels ne comprennent pas pour quelle raison précise ils sont augmentés, touchent une prime… ou pas.

S’il fallait résumer, il y a deux principaux leviers de rétribution. D’abord, l’évaluation du contenu du travail, avec la grille de classification de la branche ou de l’entreprise – obligatoirement plus favorable –, qui fixe le salaire de base. Ensuite, l’appréciation de la contribution individuelle – la manière de travailler, l’atteinte des objectifs, les comportements professionnels… – par le biais de l’entretien annuel d’évaluation, qui permet d’obtenir un salaire supérieur.

À quoi il faut ajouter l’ancienneté qui est très égalitaire mais qui accroît mécaniquement la masse salariale et ne doit donc pas trop peser. Ainsi que les conditions de travail, la pénibilité, les sujétions diverses, etc., qui sont autant d’éléments susceptibles de produire de la rémunération. Puis il y a les “périphériques”, dont font partie l’intéressement et la participation. Quant au “variable”, c’est un mot que je n’utilise pas, car c’est une modalité qu’on peut retrouver aussi bien dans la rémunération collective qu’individuelle. Pour l’entreprise, tout l’enjeu est d’articuler ces différents leviers de rémunérations, de les équilibrer astucieusement.

N’y a-t-il pas une certaine confusion entre intéressement et participation ?

Il est vrai que nous sommes dans des logiques proches. Mais je ne serais pas favorable à une fusion des deux dispositifs. À travers les négociations d’accords, il faut s’efforcer, là aussi, de trouver une forme d’équilibre entre ces mécanismes, sans reproduire la même chose, ce qui générerait de l’incompréhension.

La participation, qui est orientée sur les résultats et dépend d’une formule légale – sauf accord dérogatoire –, n’offre, il est vrai, qu’une petite marge de manœuvre en matière de répartition : uniforme, proportionnelle aux salaires ou à la durée de présence. Et l’on peut, comme pour l’intéressement, fixer un plancher et un plafond pour atténuer les effets de la hiérarchie des salaires.

En revanche, l’intéressement laisse plus de latitude : on peut jouer sur différents leviers de performance qu’il est de surcroît possible d’adosser à différents échelons de l’entreprise : groupe, sites, départements… Pourquoi ne pas s’emparer de toutes ces opportunités ? D’autant que cela va permettre de donner des éléments d’explication sur ce qui fonctionne ou pas à ces différents niveaux : un salarié peut parfaitement comprendre que son unité de fabrication a gagné en efficacité ou en productivité, mais que l’entreprise va un peu moins bien au niveau groupe.

Il ne s’agit donc pas uniquement de systèmes de rétribution…

C’est ce sur quoi j’essaie de convaincre ! Il y a un intérêt à mettre sur la table des négociations tout ce que l’on veut payer avec ces dispositifs, parce qu’à travers eux, on délivre de multiples messages. Et chacun prend du recul : les négociations sur les rémunérations variables collectives sont autant d’occasions de réfléchir aux objectifs recherchés, avec des informations économiques et financières sur l’entreprise qui permettent de mieux comprendre son fonctionnement.

On met en débat des éléments qui apportent de la connaissance et font réfléchir ensemble employeur et syndicats. De fait, l’intéressement est un outil formidable pour activer ou améliorer le dialogue social. Il est vrai qu’en matière de rémunération, les entreprises ont tendance à penser que « moins elles en disent, mieux elles se portent ». Or, c’est exactement l’inverse : la transparence est source d’efficacité et de performance.

L’intéressement n’est que l’un des maillons d’une politique globale et c’est une forme de motivation parmi d’autres, mais ce dispositif est important pour le salarié qui peut s’en servir pour partir en vacances, s’offrir ce qu’il veut ou épargner. Certes l’absence de prime peut avoir un impact négatif, tout comme l’absence d’augmentation individuelle d’ailleurs, mais on accepte la variabilité à partir du moment où l’on comprend les règles du jeu. Dans les entreprises, on constate parfois un manque de concertation : les employeurs entament les « négociations » ou la consultation des IRP avec un projet déjà ficelé et n’entendent pas sortir du cadre. Il est alors assez difficile de les persuader, alors qu’elles auraient tout à gagner à faire de la rémunération un vrai sujet d’échanges.

* Philippe Denimal est notamment l’auteur de Rémunération et reconnaissance du travail. Classification, compétences, appréciation, dialogue social, Éditions Liaisons, collection Entreprise & Carrières, 2016.

Auteur

  • H. T.