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Angers forme ses agents à la laïcité

Zoom | publié le : 07.02.2017 | Catherine Sanson-Stern

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Angers forme ses agents à la laïcité

Crédit photo Catherine Sanson-Stern

Le gouvernement a annoncé en décembre son souhait de voir les agents des trois fonctions publiques formés à la laïcité. La métropole et la ville d’Angers ont été pionnières en 2016 en y sensibilisant tous leurs agents. Le travail sera approfondi en 2017 par des formations ciblées.

« Nous étions en cours de restructuration du plan managérial de lutte contre les discriminations de la ville, après l’élection du nouveau maire (LR) Christophe Béchu en 2014, lorsque les attentats sont arrivés les uns après les autres en 2015, raconte Faten Sfaihi, adjointe à la citoyenneté et à l’intégration d’Angers. Nous avons essayé de ne pas réagir dans l’émotion, mais de relier ça avec ce que nous essayions de mettre en place. Le 30 novembre 2015, nous avons voté un pacte républicain avec un pilier sécurité et un pilier laïcité. Il nous a semblé évident de ne pas imposer aux agents une charte de la laïcité sans l’accompagner d’une formation. »

Travaillée en concertation avec l’opposition et présentée aux syndicats en comité technique, la charte de la laïcité a été votée le 30 mai 2016 en conseil municipal et le 6 juin en conseil communautaire*. « Nous avons souhaité enclencher la sensibilisation très vite après l’adoption solennelle de la charte, avec une volonté de prévention, de rappel de cette spécificité française qu’est la laïcité, notre socle commun du vivre ensemble », souligne Olivier Martin, directeur du pôle ressources internes et dialogue social à la communauté urbaine et à la ville.

« Afin de repérer les éventuels problèmes, j’ai rencontré des petits groupes d’agents dans différents secteurs, en veillant à ce qu’ils soient représentatifs », détaille Hicham Benaissa, chercheur au GSRL (Groupe sociétés religions et laïcités), un laboratoire commun CNRS-EPHE, intervenant dans les entreprises depuis sept ans. Leur témoignage a servi à nourrir les saynètes qui ont été jouées lors de la sensibilisation.

Mieux réagir au quotidien

« Il faut faire émerger une parole sur laquelle pèsent tant de tabous qu’une enquête quantitative n’aurait pas permis de dévoiler la subtilité des problèmes, poursuit-il. Ce qui est remonté, ce ne sont pas des difficultés inquiétantes, mais des interrogations sur la meilleure façon de réagir à des choses du quotidien. » Par exemple : une animatrice du centre de loisirs face à un enfant qui refuse d’entrer dans une église visitée pour des motifs patrimoniaux, un maître-nageur à la piscine confronté à des questions de mixité, un agent chargé de conseil aux associations à qui une femme refuse de serrer la main parce que c’est un homme, un responsable des espaces sportifs où des personnes se réunissent pour prier… « Cet état des lieux a permis de faire remonter les situations délicates vécues par les agents vis-à-vis du public, mais aussi dans leur service, sur la question de l’octroi des jours de congé pour les fêtes religieuses par exemple », indique Catherine Goxe, vice-présidente de la métropole en charge des ressources humaines.

Les élus ont souhaité que cette sensibilisation soit obligatoire pour les agents, ce à quoi se sont opposés les syndicats, à part la CFDT. « Nous aurions préféré que cette formation sur un sujet sensible se fasse sur la base du volontariat », commente Marie-Line Lefranc, élue CGT au comité technique. « On a voté contre car on ne voyait pas la pertinence d’organiser une telle formation en lien avec les attentats, explique Cédric Quily, représentant Sud collectivités territoriales. Et, dans l’ambiance politique générale, on pensait que cela risquait de libérer une parole raciste parmi les agents. » Il reconnaît cependant, après coup, la qualité de l’organisation et de l’intervenant, Hicham Benaissa, « une référence dans tout le monde francophone ».

Finalement, huit séances de 2 h 30 se sont tenues au Grand Théâtre d’Angers entre juin et octobre 2016, permettant à 3 030 permanents d’être sensibilisés par groupes de 500, soit 63 % des agents et 95 % des encadrants, pour un budget de 17 euros par agent, soit environ 50 000 euros. Les éléments théoriques (historiques et juridiques) communiqués par Hicham Benaissa ont alterné avec les saynètes jouées par les comédiens du “Théâtre à la carte”. En novembre, les responsables d’associations ont aussi été invités à suivre cette sensibilisation, avec des saynètes adaptées à leurs problématiques. « La sensibilisation a été très intéressante du point de vue du rappel de l’histoire de la laïcité, applaudit Anne Raimbault, cosecrétaire de la section syndicale CFDT. En revanche, elle a été plus frustrante sur les questions concrètes, parce que les agents attendaient des réponses précises. » Ces réponses pourront être élaborées lors de la deuxième étape qui démarrera en mars 2017. Elle comprendra des ateliers par groupes de 10 à 15 agents, ciblés par service, notamment pour ceux qui sont en contact avec les usagers, les associations ou des publics difficiles du CCAS (action sociale), dans les services sociaux ou les structures socio-éducatives.

Établir une culture commune

« L’idée de cette sensibilisation était d’établir une culture commune parmi les agents, de leur donner des repères pour les orienter dans leur pratique, de les aider à se comporter lorsqu’ils appréhendent une problématique qui met en jeu des questions religieuses, en lien avec la laïcité, précise Hicham Benaissa. Les ateliers apporteront des outils, de façon concrète et pragmatique, pour prévenir, anticiper ou résoudre ces éventuels problèmes. »

* La charte est consultable sur www.angers.fr

L’avis de l’expert : Hicham Benaissa chercheur au groupe sociétés religions et laïcites (CNRS-EPHE)
« Pour qu’une décision soit prise de façon objective, il faut être formé »

« Un des outils de management que je conseille, aux agents comme aux salariés, c’est d’appréhender la question du point de vue de l’intérêt du service public ou de l’entreprise, et non à partir de la demande de la pratique religieuse. Par exemple, en cas de demande d’autorisation d’absence ou d’aménagement d’horaire pour le ramadan, il n’est pas question de dire : “Il m’embête celui-là avec sa demande !” La question sera : cette demande aura-t-elle une incidence sur la productivité ? Posera-t-elle un problème de cohésion d’équipe ? Y aura-t-il un souci de continuité du service public ou de sécurité ? Quel que soit le motif (religieux, sportif, familial…), la résolution se fera à partir de l’intérêt de la continuité du service. Dans le cadre d’une demande à caractère religieux, on cède souvent à ses jugements personnels. Or le contexte défavorable dans lequel nous sommes fait qu’on peut très vite s’agacer. Il faut apporter de l’objectivité pour neutraliser ce type de manifestation. Et pour qu’une décision soit prise de la façon la plus objective possible, il faut être sensibilisé, formé. »

Auteur

  • Catherine Sanson-Stern