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L’interview

Loïc Lerouge : " Le droit à la déconnexion est une avancée, la difficulté sera de garantir son effectivité "

L’interview | publié le : 07.02.2017 | Rozenn Le Saint

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Loïc Lerouge : " Le droit à la déconnexion est une avancée, la difficulté sera de garantir son effectivité "

Crédit photo Rozenn Le Saint

Le juriste pointe les difficultés inhérentes au combat pour faire reconnaître comme professionnelles les maladies issues du burn-out, et les limites du droit à la déconnexion de la loi Travail. Il salue en revanche l’évolution juridique de la prise en compte de la prévention des risques psychosociaux.

E & C : La reconnaissance des conséquences du burn-out comme maladie professionnelle est-elle envisageable ?

Loïc Lerouge : Aborder les risques psychosociaux (RPS) en droit est complexe tant il faut rendre objectif ce qui est subjectif et tant ils entraînent une confusion entre « risques » et « troubles ». Le burn-out n’est pas une maladie, mais un syndrome qui engendre des pathologies psychiques, notamment la dépression, ainsi que des troubles anxieux ou un état de stress post-traumatique. Pour une ouverture des tableaux de maladies professionnelles, un lien direct et exclusif avec le travail doit être établi.

Il existe une procédure de reconnaissance hors tableaux via les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP). Les délais, le taux d’incapacité permanente partielle (IPP) d’au moins 25 %, la preuve du lien direct et essentiel avec le travail pour que la maladie soit reconnue comme professionnelle font que cette voie de recours est difficile concernant les affections liées au burn-out. Or, le taux d’IPP n’est pas comparable entre une affection psychique et une affection physique qui peut en outre être temporaire. Faut-il alors abaisser ce seuil ? Uniquement pour les pathologies psychiques ou pour toutes les pathologies ? Comment adapter la procédure au risque d’augmentation du nombre de demandes ? Supprimer le seuil n’est pas forcément opportun car il permet au moins de caractériser l’existence d’un trouble de la santé.

En Europe, certains pays ont-ils reconnu les maladies liées au burn-out dans les tableaux de maladies professionnelles ?

À ma connaissance, le pays le plus en pointe est le Danemark, mais seulement pour le stress post-traumatique. Selon le rapport de gestion de la Cnamts pour 2014, sur 314 pathologies dites psychiques, 243 cas concernaient des dépressions, seulement 39 des troubles anxieux et 33 des troubles post-traumatiques. Ces derniers sont très minoritaires, mais le lien direct et exclusif avec le travail serait plus facile à établir. De son côté, la Belgique a défini juridiquement les risques psychosociaux au travail en 2014. C’est un progrès, mais qui ne signifie pas qu’elle reconnaisse le burn-out en maladie professionnelle.

Le droit à la déconnexion mis en place par la loi Travail est-il simplement incantatoire ?

C’est une avancée de l’avoir juridiquement reconnu et une première, même s’il ne faudra pas oublier la fonction publique… La difficulté sera de garantir son effectivité. Il se heurte à certaines réalités : scrupules à se débrancher du travail, activité internationale ou continue de l’entreprise, déconnexion hors du temps de travail parfois culturellement mal vue, etc. La volonté individuelle de se connecter est aussi à prendre en compte. Par exemple, dans des entreprises japonaises qui limitent raisonnablement la durée du travail, les salariés font parfois appel à des subterfuges pour déclarer des heures normales de travail tout en faisant du présentéisme. La corrélation entre charge de travail et possibilité de se déconnecter pointe également en creux. À défaut d’accord collectif, on peut s’interroger sur l’efficacité d’une charte qui renvoie plutôt à un droit mou, alors que l’employeur doit garantir le droit à la déconnexion par des mesures concrètes et contraignantes. La voie de la modification du règlement intérieur issu du pouvoir de direction de l’employeur et qui lui est opposable aurait été intéressante à explorer.

Quels peuvent être les impacts des autres articles de la loi El Khomri sur les risques psychosociaux ?

L’inversion de la hiérarchie des normes induite par la loi Travail permet de licencier plus facilement ou d’augmenter le temps de travail à salaire égal via le référendum d’entreprise. La pression économique ne laisse pas un libre choix aux salariés et n’aide pas à les préserver du stress. L’atteinte à l’ordre public social, la possibilité d’accords offensifs, la réforme de la médecine du travail inscrite dans la loi Travail font craindre une pression économique et sociale accrue sur les salariés, ce qui n’aidera pas à les préserver des RPS.

Les entreprises ont-elles davantage prévenu le harcèlement depuis 2002 et son entrée dans le Code du travail ?

Le dispositif de lutte contre le harcèlement moral a permis de reconnaître juridiquement la protection de la santé physique ou mentale des salariés dans les compétences de l’employeur, du CHSCT et du médecin du travail, ainsi que le droit d’alerte du délégué du personnel. En revanche, s’il est l’un des principaux facteurs de RPS, le harcèlement moral cantonne la santé mentale au travail à des relations individuelles ; même si certaines méthodes de gestion, dès lors qu’elles visent un salarié en particulier, sont reconnues comme harcèlement moral depuis un arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2009. La prise en compte des RPS a permis d’envisager la prévention des atteintes à la santé au travail à un niveau collectif. Par ailleurs, cela reconnaît que des contextes organisationnels sont aussi susceptibles de créer des tensions et du harcèlement moral.

En quoi l’obligation de résultat des employeurs, dix ans après, a-t-elle modifié les pratiques RH ?

Les employeurs ont pu se sentir dépourvus avec le sentiment d’être responsables quoi qu’il arrive, ce qui ne les incitait finalement pas à s’impliquer totalement dans la prévention ou bien les conduisait à envisager un contrôle disproportionné des salariés. Cependant, depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015, la Cour de cassation nous invite à relire l’obligation de sécurité de résultat : une entreprise qui respecte les principes généraux de prévention peut s’exonérer de sa responsabilité. Cette évolution permettrait d’encourager des démarches de prévention plus proactives en matière de santé physique et mentale afin d’éviter que leur responsabilité ne soit engagée.

Loïc Lerouge juriste en droit de la santé au travail

Parcours

> Loïc Lerouge est juriste en droit de la santé au travail, chercheur au CNRS, membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Comptrasec).

Lectures

>TIC et travail des cadres. Enjeux et risques psychosociaux au travail, Loïc Lerouge et Cindy Felio, L’Harmattan, 2015.

>Les risques psychosociaux au travail en droit social : approche juridique comparée. France-Europe-Canada-Japon, Dalloz, 2014.

>Approche interdisciplinaire des risques psychosociaux au travail, Octarès, Coll. Le travail en débat, 2014.

Auteur

  • Rozenn Le Saint