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Innovation participative : les nouvelles pratiques du management des idées

L’enquête | publié le : 07.02.2017 | Marie-Madeleine Sève

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Innovation participative : les nouvelles pratiques du management des idées

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Comment capter les idées des collaborateurs ou des équipes sur le terrain, pour améliorer ou innover en matière de produits, services, organisation, vie au travail ? Si la problématique est ancienne, les réponses ont bien évolué, en particulier au plan technique… Le succès passe par une structuration de la démarche, de gros efforts d’animation et de valorisation, mais aussi une forte implication managériale.

En 1921, les PTT et le ministère de la Défense font figure de précurseurs, avec leurs urnes à idées sur le lieu de travail. Suivis par Michelin, à partir de 1927, qui préfère les suggestions nominatives remises directement aux chefs d’atelier. Dans tous les cas, le système est vertueux : l’entreprise ou l’administration peut améliorer ses performances économiques ou sociales, le salarié peut y gagner en reconnaissance, en sentiment d’utilité, voire obtenir un supplément de rémunération.

« Progressivement, ce type de démarche s’est étendu à de nombreux industriels, puis aux sociétés de service, explique Didier Janssoone, auteur chez EMS de La boîte à idées : une richesse pour l’entreprise. Avec des process précis, formalisés par des dossiers complets cartonnés ou des liasses avec papiers carbone, comprenant le projet détaillé du salarié et les éventuels croquis, ainsi que les fiches d’appréciations des managers et des experts. » Aujourd’hui, si la boîte à idées cartonnée ou métallique reste parfois utilisée, la démarche est le plus souvent pilotée à partir d’une plate-forme numérique, à l’instar d’Innovaccor, créé par le groupe hôtelier Accor en 2001, ou à partir de nouveaux outils de récolte et de traitement des suggestions (lire p. 22).

« Incontestablement, l’essor du numérique booste l’innovation participative, constate Muriel Garcia, présidente d’Innov’Acteurs (association qui regroupe les praticiens de 90 entreprises) et responsable innovation à la direction RSE du groupe La Poste. Cette évolution facilite le recueil d’idées spontanées et permet également de solliciter les salariés sur des thématiques présélectionnées. » Toutefois, les outils, même attractifs, ne remplacent pas le travail de terrain, pour donner aux salariés les moyens de s’impliquer différemment, et dans la durée, dans leur entreprise. Comme chez Hager qui, à Bischwiller (67), a adopté une démarche systémique, en partant d’usages préétablis (lire p. 24).

Pour éviter d’être un process de plus, l’innovation participative peut s’appuyer sur un ensemble de dispositifs, notamment collaboratifs, tels que les réseaux sociaux d’entreprise, les forums ou groupes de discussions. Si l’approche a le vent en poupe, c’est qu’elle peut créer une dynamique, motiver les collaborateurs, souder les équipes… autant de facteurs qui ont une incidence sur les résultats. Mais certaines pratiques participatives ne s’adressent pas au plus grand nombre ou elles poursuivent d’autres objectifs, comme les démarches lean centrées sur la productivité ou les learning expeditions.

Décloisonnement des catégories professionnelles

La Caisse des dépôts, par exemple, a mis en place un “lab” en 2013, impliquant une trentaine de collaborateurs par an sur des projets innovants de 8 à 10 mois, accélérés par les méthodes issues du monde des start-up. Pour toucher un plus large public, elle a organisé en 2016 des trophées de l’innovation avec une plate-forme sur laquelle les salariés peuvent formuler leurs idées en 140 caractères (le format de Twitter). « Nous avons proposé une première thématique globale, “mieux travailler ensemble”, qui a suscité de nombreux projets, expose Sabine Parnigi-Delefosse, responsable innovation au département de la stratégie. Chacun pouvait émettre un “like” et enrichir la proposition en ligne. Les 15 projets les plus appréciés et les plus pertinents au regard de notre stratégie ont été sélectionnés. Des groupes constitués de collaborateurs de nos filiales et directions ont été accompagnés pour affiner leurs projets. Ils sont aujourd’hui en phase de test. » Le point clé de la démarche : le décloisonnement et le brassage des catégories professionnelles, que le groupe mutualiste Covéa a également privilégiés (lire p. 23).

« Se situer dans le faire plutôt que dans le dire, concrétiser les idées au plus tôt et les connecter au projet d’entreprise : c’est une tendance de fond, confirme Muriel Garcia. Ce qui implique d’accorder du temps aux salariés pour participer à des échanges non directement productifs. » Catherine Guyonnet, directrice innovation d’Opcalim (224 salariés), le formule à sa façon : « Il faut que la dosette infuse. » L’Opca du secteur alimentaire a notamment mis en place une grille de classification des emplois et des compétences, en impliquant une cinquantaine de collaborateurs pendant dix-huit mois, en lien avec les IRP. « Un groupe composé de salariés a également construit notre propre support d’entretien de développement ; je ne voulais surtout pas d’un outil imposé par les RH », ajoute le DRH, Hervé Barrette, qui insiste sur le travail en commun avec la direction de l’innovation. « La démarche repose sur un accompagnement méthodologique, un temps d’appropriation conséquent et l’approche test and learn, relève Catherine Guyonnet. La finalisation est parfois plus lente, mais le déploiement est nettement plus rapide. »

Encore faut-il que les managers jouent le jeu. Car les freins sont nombreux, selon une enquête Enedis-La Poste réalisée en mai 2016 auprès de grandes entreprises membres du réseau Innov’Acteurs : « pratiques managériales », « absence de droit à l’erreur et à la prise de risques », « difficulté à mobiliser les ressources et les moyens », « absence de volonté partagée »… mais aussi « manque de reconnaissance ». D’où le parti pris de Michelin de stimuler et de valoriser les idées, y compris financièrement, grâce à un réseau de 80 animateurs répartis dans l’ensemble du groupe, sans négliger pour autant les collaborateurs dont les suggestions n’ont pas été retenues (lire p. 25).

Maintenir un fort engagement

Trophées ou diplômes, cadeaux ou voyages, remerciements oraux ou écrits, présence des dirigeants, mise à l’honneur sur les supports de communication interne… les formes de reconnaissance non monétaires sont multiples, mais pas toujours anticipées ni industrialisées. Sont-elles suffisantes ? « Pour maintenir un fort engagement des salariés dans la durée, nous avons tout intérêt à tenir compte des compétences sollicitées ou développées dans le cadre du processus d’innovation participative, notamment à l’occasion de l’entretien professionnel », conclut Muriel Garcia. Un usage encore peu répandu, mais qui place les DRH en première ligne, comme sur le renforcement de l’implication managériale…

Nicolas Lagrange

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève