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L’enquête

François Geuze EX-DRH, spécialiste en audit social et en SIRH, intervenant auprès du master SIRH de Montpellier et du master MGRH de l’IAE de Lille

L’enquête | L’interview | publié le : 17.01.2017 | H. T.

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François Geuze EX-DRH, spécialiste en audit social et en SIRH, intervenant auprès du master SIRH de Montpellier et du master MGRH de l’IAE de Lille

Crédit photo H. T.

« Ces nouveaux outils sont l’opportunité d’envisager de nouvelles pistes de travail »

Business intelligence, big data, analyse prédictive… Qu’est-ce que cela implique pour les DRH ?

Au-delà des discours marketing dont les RH n’ont que faire, on est dans le domaine du décisionnel, c’est-à-dire ce qui va aider à prendre la bonne décision. Pour la DRH, cela implique une capacité à appréhender toutes les données et informations à sa disposition – qui ne viennent d’ailleurs pas uniquement des RH –, pour tâcher de comprendre ce qui se passe. Et actionner ensuite les leviers qui semblent les plus appropriés. L’analytique est une approche qui donne de la valeur ajoutée aux données. Je marque ici la différence entre donnée, information et savoir. Une donnée est un état de fait objectif. Elle est très souvent quantitative et donc facilement informatisée : par exemple, on est soit présent soit absent. Une information – ou un indicateur – est un agrégat structuré de données qui, seules, n’ont pas de valeur : on va parler de taux d’absentéisme. La gestion des ressources humaines représente un gisement pléthorique de données et d’informations, mais bien souvent, on dort dessus ! Or, si l’on va plus loin, on s’aperçoit que pour certains indicateurs il y a « corrélation » : le temps de trajet, entre autres, peut être un facteur aggravant de l’absentéisme. Et là, lorsqu’il y a « causalité » on passe de l’information au savoir.

Ce savoir est-il vraiment à la portée des DRH ?

Il ne s’agit pas de s’appuyer sur des tas d’indicateurs qui, au final, nuiront à la prise de décision, mais de se doter des indicateurs les plus pertinents. Le premier niveau de difficulté est donc de mettre en place un système de pilotage de la DRH au regard des données disponibles, en travaillant sur l’identification des informations dont elle a besoin pour travailler. Le point clé est de définir le savoir. Car les questions que posera le directeur général à sa DRH, par exemple sur les conditions de vie au travail, ne trouveront pas forcément leur réponse dans les fonctionnalités standard d’un logiciel. Dans les faits, le SIRH gère des données permettant de produire des informations sur lesquelles se fonde le savoir. Il serait plus intéressant d’inverser la logique pour concevoir, dans une démarche de reverse engineering, un système de pilotage RH à partir des enjeux stratégiques de l’entreprise et constituer ainsi de nouveaux savoirs qui répondront aux besoins de la DRH et de tous ses partenaires. Il y a là un gros travail de questionnement et de réflexion, qu’il faudrait, dans l’idéal, mener avec les éditeurs de logiciels, dès lors que le choix est fait d’investir dans une solution informatique.

Quel est le niveau de maturité des entreprises à l’égard de l’analytique RH et de son volet prédictif dont on vante aujourd’hui les atouts pour le recrutement ?

Les démarches sont plus ou moins avancées, mais l’approche adoptée par les entreprises se fonde souvent sur le management des risques sociaux : le coût du turnover, de l’absentéisme… De fait, l’analyse décisionnelle se focalise surtout sur la recherche d’économies et, globalement, cela reste très quantitatif, alors que beaucoup d’informations sont d’ordre qualitatif, telles les compétences. Quant au prédictif, il est très peu développé, et certains discours sur le sujet, émanant de start-up fondées par des « ingénieurs » qui y voient un créneau porteur, me paraissent outranciers. Sans dire que cela ne fonctionne pas, on est en phase d’émergence et il est difficile d’évaluer l’efficacité des algorithmes qui sont derrière. D’autant que les processus RH sont des processus longs. C’est particulièrement vrai pour le recrutement : on ne peut évaluer la performance d’un nouvel embauché – qui dépend aussi de son environnement de travail – que sur le moyen-long terme. Cependant, on voit bien se dessiner l’avenir du décisionnel : il s’agit de travailler, à partir d’un grand volume de données, sur des modalités de simulation permettant de prévoir la probabilité d’événements pour anticiper les dysfonctionnements potentiels. La grande difficulté, avec les outils faisant appel au big data et à l’intelligence artificielle, est d’identifier, en amont de la construction d’un modèle prédictif, les variables pertinentes pour la compréhension de certains phénomènes comme l’absentéisme. Variables qui ne sont pas forcément celles que l’on croit, qui dépendent des contextes, et fluctuent en fonction de l’évolution de l’écosystème RH.

La fonction RH a-t-elle les moyens de s’engager sur cette voie ?

Ces nouveaux outils représentent une opportunité formidable pour mettre en évidence des choses qu’on ne voyait pas avant et envisager de nouvelles pistes de travail. Le grand problème de la fonction RH est qu’elle est déjà contrainte de suivre une profusion d’informations légales et réglementaires et qu’elle est noyée dans un ensemble de tâches routinières et procédurières, avec un effectif de plus en plus réduit. Par ailleurs, si elle se limite à l’utilisation des seules données RH, elle n’ira pas loin. Pour travailler intelligemment, il faut avoir une vision très large de l’entreprise, ce qui implique de « dé-siloter » l’information. Les responsables RH doivent être capables de faire le parallèle entre absentéisme et niveau de production, de montrer l’impact de la formation sur la productivité, etc. ils en sont conscients, mais je pense qu’ils n’en ont pas les moyens. Et croire qu’on résoudra tous les problèmes avec des logiciels est une erreur. Il faut d’abord et avant tout investir sur la professionnalisation de la fonction et la montée en compétences des équipes, avant de choisir une solution dimensionnée pour les objectifs que l’on poursuit.

Auteur

  • H. T.