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Décisionnel : Les promesses de l’analytique RH

L’enquête | publié le : 17.01.2017 | Hélène Truffaut

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Décisionnel : Les promesses de l’analytique RH

Crédit photo Hélène Truffaut

C’est un sujet qui monte au sein des directions ressources humaines. Les possibilités offertes par l’analytique, dont se sont déjà emparés les autres départements de l’entreprise, pourraient sérieusement améliorer la performance de la fonction RH, trop occupée à remplir ses obligations réglementaires. Mais ce type de démarche n’est pas si simple à appréhender…

Les DRH seraient-elles assises sur une mine d’informations inexploitées ? C’est en tout cas un filon que beaucoup d’éditeurs leur proposent aujourd’hui de creuser avec la puissance de leurs algorithmes. Des solutions analytiques, de plus en plus servies à la sauce big data, qui promettent, via un meilleur traitement des données RH internes – éventuellement croisées avec des données externes disponibles sur Internet, d’affiner la pertinence des actions menées en matière de gestion des ressources humaines. Voire d’anticiper les problèmes à l’aide de modèles prédictifs.

Mais les différentes terminologies utilisées sur le marché, soumises à des effets de mode, brouillent un tantinet le paysage. Pour Guillaume Pertinant, fondateur et dirigeant de Havasu (services et logiciels « HR analytics », notamment axés sur la prévention des risques RH), un distinguo préalable s’impose : « Il faut faire la différence entre, d’une part, le pilotage ou reporting RH nourri par le droit social, lequel impose aux gestionnaires – chargés d’études RH ou contrôleurs de gestion sociale – de produire et communiquer de l’information réglementaire qui alimentera, par exemple, la base de données économiques et sociales (BDES) ; et l’analytique d’autre part, qui utilise la statistique pour répondre à des enjeux RH. »

Le glissement sémantique qui s’est opéré ces dernières années entre informatique décisionnelle (business intelligence ou BI en anglais) et analytique (ou analytics) – certains acteurs voulant se positionner « en rupture » avec des solutions qui ne datent pas toujours d’hier – ne remet pas en cause le principe de base : « Il s’agit de supporter la prise de décision, en apportant à l’utilisateur de la connaissance par le biais de techniques d’analyse des données plus ou moins sophistiquées, explique Reda Gomery associé responsable data et analytics chez Deloitte (audit et conseil). C’est utile pour comprendre la performance des activités de l’entreprise, expliquer des situations et argumenter des choix, par exemple auprès du Comex. » Mais soyons clairs : « Cela ne remplace en aucun cas le jugement humain. »

Informatisation croissante

Si les départements marketing et commerciaux ont été parmi les premiers à s’emparer du décisionnel pour mieux appréhender leurs marchés, l’intérêt pour le sujet va croissant dans les services RH (lire l’encadré p. 21), jusqu’ici restés très en retrait. Un intérêt sans doute aiguisé par les nouvelles fonctionnalités analytiques dont les acteurs SIRH historiques ont doté leurs solutions, voire les dernières applications proposées par certaines start-up. Mais qui découle aussi, selon Reda Gomery, de l’informatisation croissante de la fonction, avec des systèmes souvent hétérogènes, « qui ont généré le besoin d’améliorer la transversalité et la circulation des données ».

Visualisation des données

Du reste, alors qu’elles sont soumises à des obligations de reporting contraignantes, « certaines DRH ont encore du mal à extraire efficacement certains indicateurs de base, comme le taux d’absentéisme, ou la fluctuation de la masse salariale, poursuit-il. Elles doivent automatiser la production de ces indicateurs, les fiabiliser, et les rendre plus intelligibles, avec une granularité plus fine ». Les solutions de visualisation des données ont d’ailleurs le vent en poupe. Et la possibilité de se doter de connaissances nouvelles avec des techniques d’analyse avancées alimente, de fait, les réflexions actuelles d’une fonction RH qui se doit de contribuer à la performance globale de l’entreprise.

« Par exemple, une des raisons pour laquelle on est toujours dans la même situation en termes d’absentéisme, c’est que les diagnostics sont trop peu précis pour pouvoir conduire à des plans d’action efficaces, plaide Guillaume Pertinant. Les thématiques sociales sont trop complexes pour être appréhendées uniquement de manière intuitive ou avec des outils descriptifs classiques. La statistique explicative – qui fonctionne sur un effectif conséquent, au-delà de 500 à 1 000 collaborateurs – permet, elle, d’analyser méthodiquement et finement des problématiques multifactorielles, la dimension collective permettant de réduire la complexité des comportements humains individuels. » De quoi, par exemple, tordre le cou à l’idée selon laquelle l’absentéisme serait un gène féminin : « On observe généralement que la variable du genre disparaît progressivement à mesure que l’on prend en compte d’autres facteurs », explique-t-il.

L’analytique, ajoute Reda Gomery, pourrait aussi fournir aux professionnels RH des éléments de compréhension des phénomènes sociétaux et générationnels, en termes de recrutement, de fidélisation, de modes de travail, etc. pour mieux les accompagner. « La technologie big data, qui permet à la fois de traiter de gros volumes d’informations et des données non structurées extérieures à l’entreprise, représente une vraie nouveauté pour les systèmes d’information RH », convient Gérard Piétrement, président fondateur de Danaé, cabinet de conseil en SIRH et secrétaire du Cercle SIRH. Elle suscite d’ailleurs moult réserves concernant tant le fonctionnement des algorithmes que les questions de sécurité des données et de respect de la réglementation Informatique et libertés.

En théorie, les champs d’application de l’analytique RH s’annoncent quoi qu’il en soit innombrables : depuis l’optimisation de la masse salariale jusqu’à la mesure du ROI de la formation, en passant par la planification des ressources ou encore la prévention des risques RH, qui pénalisent la productivité. « On peut optimiser les canaux de sourcing en identifiant les plus efficaces par catégorie de candidats et en croisant ces informations avec les données relatives au processus d’intégration pour établir des corrélations, illustre le responsable data et analytics de Deloitte. À travers la captation des données – évidemment anonymisées – sur les réseaux sociaux d’entreprise, on pourrait aussi analyser la façon dont les équipes interagissent entre elles. »

BPCE, qui s’est doté d’une application mobile permettant d’agréger, sous une forme visuelle, des données RH dispersées, a notamment décidé de s’attaquer au risque de démission (lire p. 24). Canal+, de son côté, fait appel au big data pour stimuler sa mobilité interne (lire p. 25).

Analyse prédictive

Les projets de ce type sont cependant rares. « Si les entreprises sont relativement bien équipées pour l’analyse descriptive (lire encadré p. 23), des besoins subsistent dans ce domaine, car certaines en sont encore au stade de l’automatisation des processus et utilisent Excel pour traiter leurs données, constate Hélène Mouiche, analyste senior chez Markess. En revanche, concernant l’analyse prédictive – qui joue sur l’effet volume, mais nécessite des données fiables, non dupliquées – on est sur des besoins naissants. »

Pour l’heure, les nouvelles solutions proposées sont essentiellement centrées sur le recrutement et, plus globalement, la gestion des talents. Les grands de l’intérim : Randstad, Manpower, Adecco n’ont d’ailleurs pas tardé à s’engouffrer sur la voie du big data avec l’objectif affiché de fluidifier le marché du travail par une meilleure adéquation de l’offre et de la demande d’emploi (lire Entreprise & Carrières nos 1255 et 1311). Mais globalement, alors qu’outre-Atlantique la greffe a déjà pris, « l’analytique RH dans l’Hexagone n’en est qu’à ses débuts. Même parmi les membres de l’Institut du pilotage social (Ipsoc), convient Gérard Piétrement, également à l’origine de cette association professionnelle*. On en parle parce que ça émerge, mais ceux qui ont véritablement un système ou des ressources dédiées se comptent sur les doigts de la main. »

Guillaume Pertinant confirme : « Le marché est prometteur, mais encore immature. » Pour le dirigeant de Havasu, les raisons sont multiples. L’une d’elle serait une approche de l’information sociale trop réglementaire : « On demande trop aux gestionnaires, qui ont le nez dans le guidon et n’ont pas le temps d’analyser les indicateurs qu’ils produisent », avance-t-il. Par ailleurs la démarche analytique implique une connaissance transverse de l’entreprise, un gros travail d’identification des informations réellement utiles à la RH, et une réflexion sur les « savoirs » qui pourront répondre aux enjeux business, ainsi que l’explique François Geuze, ex-DRH, spécialiste en audit social et en SIRH (lire p. 22).

Autre frein : « Nous parlons de chiffres, de mathématiques et de statistiques. C’est une expertise et un état d’esprit encore trop faiblement présents dans les départements RH », considère Guillaume Pertinant. Qui, alors pour occuper le job en interne ? Selon le dernier Benchmark de l’Ipsoc, le contrôleur de gestion sociale, moyennant un complément de formation en analyse statistique apparaît bien placé. Reda Gomery en est en tout cas convaincu : « Le rapport à la donnée va se développer de manière très forte au sein de la fonction RH, qui n’arrivera pas seule à faire face à cet enjeu. Comme les autres départements de l’entreprise, elle aura besoin dans ses rangs de “data analysts”, voire de “data scientists”. Des métiers requérant un mix de compétences statistiques et mathématiques, informatiques et métier. Mais qui ne sont pas encore normés. »

Une approche tentante qui demande encore réflexion

Dans l’étude annuelle de Deloitte sur les tendances RH (menée dans 130 pays auprès de plus de 7 000 décideurs RH et business, dont 229 en France), publiée en juin 2016, l’analytique RH n’arrive qu’en 9e position sur les 10 axes identifiés. Paradoxalement, seuls 60 % des répondants français considèrent cette thématique comme importante, contre 81 % en 2014 ! Une baisse d’intérêt qui, pour Deloitte, peut s’expliquer par une faible compréhension du sujet pour plus de la moitié des répondants (54 %) ou par le manque de qualité des données (46 %). La société de conseil pointe également la nécessité, pour les entreprises, de prioriser les champs d’intervention : ainsi, 60 % des entreprises françaises disent faire appel à l’analytique pour les rémunérations. En revanche, son utilisation pour la gestion de carrière et les plans de succession ou les prédictions des taux d’attrition et de rétention est encore limité (respectivement 29 % et 23 % des réponses).

Selon une autre étude également parue en juin dernier, spécifiquement consacrée à l’analytique RH et menée cette fois par Markess auprès de 66 décideurs (dont 80 % de directions RH) d’entreprises privées et d’organisations publiques, 9 sondés sur 10 considèrent l’analytique comme un sujet important voire prioritaire pour la fonction RH. Mais 72 % d’entre eux jugent leur DRH encore peu mature dans ce domaine. Du reste, observe la société d’études, les besoins que les directions RH expriment relèvent encore majoritairement de l’analyse descriptive (tournée vers le passé). Un petit tiers pointe le besoin de prédire des situations futures, et 8 % seulement souhaitent bénéficier de recommandations ou de suggestions. L’analytique au sens prédictif voire prescriptif intéresse surtout les DRH pour la gestion des talents, les besoins étant essentiellement centrés sur le recrutement, les rémunérations et de développement des compétences.

Les contrôleurs de gestion sociale semblent eux aussi convaincus. Interrogés dans le cadre du Benchmark 2016 mené au cours du premier semestre par l’Institut du pilotage social (Ipsoc) auprès de 56 grandes entreprises et ETI françaises, ils sont 88 % à estimer que l’analytique RH est ou sera bénéfique à la GRH. Mais une petite moitié des entreprises répondantes (45 %) disent ne pas disposer encore des ressources nécessaires (voir le graphique ci-dessous).

Une offre déjà bien fournie

– Hélène Mouiche, analyste chez Markess, distingue l’analyse descriptive, qui porte sur des éléments passés, et l’analyse prédictive, qui s’appuie sur des données passées et présentes pour prédire des situations futures. « Il s’agit d’algorithmes plus puissants et de modèles auto-apprenants ou “machine learning”, explique-t-elle. Le prescriptif est le stade supérieur : la machine va proposer des recommandations, comme pour la relation client, en contextualisant et en personnalisant les informations. »

– Sur le terrain, certaines entreprises manquent encore de solutions d’analyse descriptive, et « il y a un vrai besoin d’outils simples, conviviaux, personnalisables et accessibles en mobilité », estime-t-elle. D’où le développement « de solutions de reporting qui misent sur la visualisation et l’expérience utilisateur » pour faciliter la production d’indicateurs et de KPI (QlikView, Tableau Software, MicroStrategy, PeopleVision…).

– La plupart des grands acteurs historiques proposent maintenant des solutions analytiques tirant partie de la technologie big data, issues ou non de solutions tierces (Sopra HR, Oracle HCM, SAP SuccessFactors – SAP ayant racheté Business Objects, leader du décisionnel –, ADP, Infor HCM…). Des fonctionnalités analytiques présentes également dans les solutions cloud de gestion intégrée des talents (Cornerstone, Workday, Lumesse…)

– Le marché compte aussi des éditeurs spécialisés, tels Euristic (gestion de la masse salariale), Havasu (risques RH), ou encore Allshare (pilotage RH et contrôle de gestion sociale). Se sont ajoutées au paysage des solutions “nouvelle génération” axées sur la gestion du capital humain, comme Clustree, ou le recrutement prédictif, tel AssessFirst.

* L’Ipsoc vise à favoriser, promouvoir et développer des actions dans les différents domaines couverts par le contrôle de gestion sociale.

Pour aller plus loin : http://havasu.fr/hr-analytics-blog/ (blog HR analytics de Havasu. Les indicateurs RH, Institut du pilotage social, Focus RH, 2016. Analytique RH : démarche, bénéfices, défis, de Guillaume Pertinant, Sébastien Richard et Patrick Storhaye, Éditions EMS, à paraître en mars 2017.

Auteur

  • Hélène Truffaut