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L’enquête

Négociations collectives : La fonction publique fait encore l’apprentissage du dialogue social

L’enquête | publié le : 10.01.2017 | Emmanuel Franck

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Négociations collectives : La fonction publique fait encore l’apprentissage du dialogue social

Crédit photo Emmanuel Franck

Depuis une loi de 2010, les règles du dialogue social dans la fonction publique convergent avec celles en vigueur dans le secteur privé. Dans la pratique, la négociation collective y est cependant rare, malgré quelques initiatives. Les formations destinées à l’encadrement se multiplient afin de créer une culture du dialogue social.

Faible culture du dialogue, ingérence des politiques, pilotage par le budget, primauté du statut, absence de bilan : nombreux sont les obstacles au dialogue social dans la fonction publique, et pourtant ce dialogue existe, à travers des accords (sans valeur juridique), des chartes, des instances ad hoc, des formations – certaines paritaires – ou tout simplement par un état d’esprit favorable. À l’instar du secteur privé – l’objectif de création d’emplois en moins – le dialogue social est présenté comme un outil à disposition des innombrables organisations formant la fonction publique et de leurs 5,4 millions d’agents afin de s’adapter à l’évolution de leurs missions. La loi du 5 juillet 2010 « relative à la rénovation du dialogue social » dans la fonction publique a constitué une étape importante pour y développer la négociation, notamment de proximité, et sortir les instances consultatives du formalisme dans lequel elles étaient tombées. Mais « beaucoup reste encore à faire », relève Jean-Paul Guillot, président de l’association Europe & Société-Réalités du dialogue social et organisateur des assises du dialogue social dans la fonction publique en septembre 2016, en partenariat notamment avec les syndicats de fonctionnaires.

La loi de 2010, d’ailleurs issue d’un accord national, marque d’importants changements : extension du champ de la négociation, instauration de l’accord majoritaire, ouverture des élections à tous les syndicats, date unique d’élection. Mais, six ans après cette loi, « dans beaucoup d’établissements, le texte n’est pas mis en œuvre ; le dialogue reste formel et chronophage ; la CGT, FO et Sud ne veulent pas négocier ; le pilotage des organisations est trop économique et financier alors qu’il devrait également intégrer les services publics rendus et la qualité de vie des agents », relève un observateur.

Aucun recensement des accords

Contrairement au secteur privé, la fonction publique ne dispose d’aucun bilan annuel de la négociation collective. Thierry Le Goff, directeur général de l’administration de la fonction publique, compte cinq accords interministériels signés depuis 2001 et deux concertations (lire aussi l’entretien p. 25), mais aucun recensement des accords ministériels n’a jamais été publié, sans parler des accords locaux. L’État ne paraissant pas pressé d’aller plus loin, c’est l’association Réalité du dialogue social qui réfléchit à la constitution d’une telle base de données.

Jean-Paul Guillot, auteur de trois ouvrages sur le sujet*, constate que les fonctions publiques ne sont pas toutes au même point : « La fonction publique hospitalière est la plus avancée car elle disposait de CHSCT depuis longtemps ; à l’inverse, la fonction d’État est la plus en retard, même si le cas du ministère des Finances prouve que le dialogue social est possible et même si le dialogue direct entre les agents et les encadrants n’est plus considéré par les syndicats comme une concurrence ; dans la territoriale, les relations sont compliquées par la coexistence d’un directeur général des services et d’un élu en charge des RH : ce que les syndicats n’obtiennent pas du premier, ils peuvent être tentés de l’obtenir du second. »

Reconnaissance du parcours syndical

Dans trois établissements hospitaliers de Seine-et-Marne (Jouarre, Brie-Comte-Robert et Tournan), le directeur a signé une charte de reconnaissance du parcours syndical avec tous les syndicats et réussi à créer un climat de confiance entre les partenaires sociaux ; la déléguée CGT en témoigne (lire p. 24). Le directeur parti, cet état d’esprit perdure. Le Conseil départemental de Meurthe-et-Moselle a également signé une charte du dialogue social avec certains syndicats (lire p. 23). Cette mise à plat de règles de bienséance et de procédure a notamment permis de réformer le régime des indemnités, selon la CFDT. Mais le même syndicat pointe des obstacles persistants : ingérence des élus au Conseil, manque de temps pour rendre des avis sur les dispositifs nationaux.

L’hôpital du Vésinet (78) participe, avec d’autres établissements de son territoire, à des groupes de réflexion sur les conditions de travail incluant pour la première fois les médecins. Ces groupes permettent d’aborder, dans le même temps, les conditions de travail, la qualité des soins et leur coût. Une première également. Pour la Fédération hospitalière de France, qui représente les employeurs, le traitement des conditions de travail échappe ainsi au discours « ritualisé » des syndicats sur le manque de moyens (lire p. 21). Signalons également une belle réalisation à Santé publique France : la signature de deux accords redessinant la totalité des dispositifs RH de cette agence de santé issue de la fusion de trois agences.

Ces initiatives démontrent a minima que le dialogue social est possible, mais aussi que le statut des fonctionnaires autorise des marges de négociation et que la politisation des débats n’est pas un obstacle insurmontable. Mais ces pratiques demeurent rares. Jean-Paul Guillot rappelle, en outre, qu’elles dépendent toujours « de la volonté d’un(e) directeur/trice et de celle des organisations syndicales ». Or, dans un avis de mai 2016 sur « le développement de la culture du dialogue social en France », le Conseil économique social et environnemental (CESE) remarque que « la culture du dialogue social est encore moins avancée [dans le public] que dans le privé ». Une clé pour pérenniser le dialogue social là où il se pratique et le développer ailleurs serait donc d’y former les agents. Thierry Le Goff rappelle qu’une formation interministérielle au dialogue social vient d’être lancée à destination des chefs de service et des sous-directeurs des ministères. Depuis 2014, le Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH), centre de formation pour les professionnels de la santé, propose une formation de trois jours au dialogue social, commune aux représentants du personnel, aux directions et à l’encadrement. Fin 2016, 63 groupes de 15 personnes avaient déjà été formés. Jean-Yves Copin, responsable des formations RH au CNEH, explique que le but de cette formation est de « montrer aux syndicats et aux directions qu’ils peuvent avoir des intérêts communs ». Il note que si, « au début, chacun reste sur ses positions, les gens finissent par se parler ». Il admet cependant que les syndicats jouent davantage le jeu que les directions, qui inscrivent de préférence leurs « vieux DRH » à cette formation.

De son côté, l’École des hautes études en santé publique (EHESP), l’équivalent de l’ÉNA pour l’hospitalière, a légèrement modifié son enseignement du dialogue social en 2013. « Au lieu d’entrer dans le sujet par le juridique, nous commençons par faire un historique du syndicalisme, explique Nathalie Robin-Sanchez, professeure de management et de GRH à l’EHESP, puis nous expliquons aux élèves ce qu’est l’audience, la représentativité, une question individuelle ou collective. » Former les cadres et les représentants du personnel au dialogue social prendra forcément du temps, mais, sur ce sujet au moins, la fonction publique semble plus cohérente que le privé, qui ne cesse de renforcer le pouvoir de la négociation collective tout en déplorant le manque de culture des partenaires sociaux dans ce domaine.

Faire vivre le dialogue social dans la fonction publique hospitalière ; Faire vivre le dialogue social dans la fonction publique territoriale ; Faire vivre le dialogue social dans la fonction publique d’État, Jean-Paul Guillot avec Dominique-Anne Michel, Les éditions de l’atelier, avril 2011.

Auteur

  • Emmanuel Franck