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La chronique juridique d’avosial

Chronique | publié le : 10.01.2017 | Caroline André-Hesse

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La chronique juridique d’avosial

Crédit photo Caroline André-Hesse

La CEDH se penche sur le respect de la vie privée

Cette épopée judiciaire a commencé en juillet 2007, lorsque M. Barburescu a été informé par son employeur de la surveillance, par celui-ci, de son compte Yahoo Messenger et de l’utilisation de celui-ci à des fins personnelles, contrairement au règlement intérieur. M. Barburescu a été licencié, le 1er août 2007, au motif d’une violation du règlement intérieur qui interdisait l’usage personnel des « ordinateurs, téléphones, photocopieurs, télex et fax mis à la disposition des salariés dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ».

M. Barburescu a contesté les motifs de son licenciement invoquant une atteinte, par l’employeur, au secret de ses correspondances et de sa vie privée. Il a été débouté de ses demandes par les juridictions roumaines.

Bien décidé à faire reconnaître ses droits, M. Barburescu a saisi en 2008 la CEDH sur le fondement notamment des dispositions de l’article 8 de la Convention (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »).

Dans un arrêt du 12 janvier 2016, la CEDH a décidé que si les e-mails et échanges du salarié sur son lieu de travail relèvent bien du droit au respect de la vie privée et du secret de la correspondance garantis par l’article 8 de la Convention, « il n’est pas abusif qu’un employeur souhaite vérifier que ses employés accomplissent leurs tâches professionnelles pendant les heures de travail ».

C’est donc, selon la Cour, la sphère privée qui doit s’incliner face à la sphère publique, la légitimité de l’employeur à s’assurer de la réalisation effective de leurs missions par les salariés étant consacrée sans aucune ambiguïté. Soucieuse néanmoins d’éviter tout abus, la Cour a souligné, dans son arrêt, que les juridictions roumaines avaient ménagé un juste équilibre entre la nécessité de préserver le respect de la vie privée et le secret des correspondances des salariés et les intérêts opérationnels de l’employeur.

M. Barburescu ne s’est pour autant pas avoué vaincu et a, le 16 juin 2016, sollicité le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre de la CEDH.

L’article 43 de la convention prévoit, en effet, qu’il peut être fait droit à une telle demande « si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles, ou encore une question grave de caractère général ». Et c’est bien ce dont il s’agit ici… l’utilisation à des fins personnelles, par les salariés, des moyens informatiques et techniques mis à leur disposition par leur employeur soulève des questions bien plus complexes que la résolution des six faces du Rubiks cube…

La Grande Chambre s’est donc penchée sur cette affaire le 30 novembre et on attend avec impatience sa décision.

À ce jour, la jurisprudence de la Cour de cassation est en ligne avec la décision rendue par la CEDH. Le raisonnement juridique retenu diffère toutefois considérablement. La Cour de cassation retient que, lorsque l’employeur met à la disposition d’un salarié, pour les besoins de son activité, des équipements informatiques, il a la possibilité d’accéder à l’ensemble des dossiers et des mails qui ne sont pas identifiés comme personnels. Pour aboutir à cette conclusion, la Cour considère que ces échanges ne relèvent pas de la vie privée et ne sont pas couverts par le secret des correspondances. La CEDH considère tout au contraire que l’article 8 de la Convention est applicable, mais que la régularité de la surveillance opérée peut être retenue dès lors qu’elle est proportionnée au but poursuivi et ne provoque pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié.

La conclusion est certes la même, mais la différence est d’importance. Si la Grande Chambre confirme l’application de l’article 8, c’est une inversion de la jurisprudence française qui est en jeu et qui impliquera pour les employeurs la mise en œuvre d’une analyse préalable systématique quant au caractère proportionné ou non de la surveillance envisagée.

Auteur

  • Caroline André-Hesse