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L’interview

Gregor Bouville : « La présence d’un CHSCT améliore le bien-être au travail »

L’interview | publié le : 03.01.2017 | Éric Delon

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Gregor Bouville : « La présence d’un CHSCT améliore le bien-être au travail »

Crédit photo Éric Delon

Selon une recherche récente, la présence d’un CHSCT au sein d’une entreprise contribuerait à une meilleure santé au travail et serait corrélée à une moindre gravité des accidents du travail. Afin d’améliorer leur performance sociale, les DRH auraient tout intérêt à associer davantage les CHSCT à la construction de leur politique de prévention santé.

E & C : Dans le cadre d’une recherche doctorale portant sur l’influence de l’organisation et des conditions de travail sur l’absentéisme, vous concluez qu’au sein d’une entreprise, le CHSCT joue un rôle décisif dans l’amélioration du bien-être des salariés et dans la réduction des accidents du travail.

G. B. : En effet. À partir des données représentatives de la population française issues des enquêtes nationales SUMER 2003 et 2010, nos analyses économétriques corroborent les quelques études sur le sujet en montrant que la présence d’un CHSCT dans une organisation est associée à une meilleure santé et à une gravité plus faible des accidents du travail. Toutefois, notre étude souligne que cette relation ne vaut pas pour l’ensemble des indicateurs de mesure de la santé au travail ou des accidents du travail. La présence d’un CHSCT est associée, par exemple, à une meilleure santé mesurée au travers de la réduction du risque pour un salarié de ne pas dormir à cause de son activité professionnelle, et à une durée plus faible des absences pour accident du travail. En revanche, cet effet ne joue pas dans le sens attendu pour deux autres indicateurs : le travail stressant et le lien subjectif entre travail et santé. Ces résultats inattendus pourraient s’expliquer par les effets d’information et de prise de conscience, auprès des salariés, sur les relations entre travail et santé, auxquels contribuerait le CHSCT. Parallèlement, nous avons constaté que la présence d’un CHSCT est associée à une fréquence plus élevée des absences pour accident du travail. La sous-déclaration des accidents, une pratique avérée en France, pourrait expliquer cette corrélation positive, observée dans d’autres études internationales. En outre, notre recherche montre que, dans le contexte français, contrairement aux deux autres études européennes portant sur le sujet, la présence d’un CHSCT est liée significativement à une probabilité plus faible d’être satisfait au travail. Cette présence semble en effet susciter chez les salariés des attentes non satisfaites quant à l’amélioration des conditions de travail. Par ailleurs, notre recherche qualitative, par observation directe de deux réunions de CHSCT d’une même entreprise, souligne l’influence de l’implication des acteurs membres du CHSCT et de leur activisme sur la qualité de la politique de prévention des risques professionnels.

Vous estimez que les DRH devraient davantage inciter les institutions représentatives du personnel en charge de la santé-sécurité au travail à co-élaborer les politiques de santé au travail et de prévention des risques professionnels.

Effectivement. Les récentes révélations autour des tentatives d’entrave des CHSCT au sein d’une grande entreprise publique française ne font que souligner, qu’encore trop souvent, les CHSCT sont assimilés à une « bête noire » par les directions d’entreprise. Or, les résultats de notre enquête soulignent, à l’inverse, le rôle crucial qu’ils peuvent jouer pour les directions des ressources humaines souhaitant améliorer leur performance sociale. Les CHSCT peuvent être en effet un acteur important à mobiliser pour les services de gestion des ressources humaines dans le cadre du co-développement d’une politique de santé au travail et de prévention des risques professionnels. Pour les petits établissements de moins de 50 salariés, qui n’entrent pas dans le champ d’application de la législation française sur les CHSCT, la création en leur sein d’une IRP, chargée de la santé-sécurité au travail ou, tout au moins, d’un crédit d’heures pour les délégués du personnel qui exercent les missions du CHSCT, permettrait d’améliorer la santé au travail des salariés. Pour les grands établissements, de 50 salariés et plus, la présence d’un CHSCT ne garantit pas qu’il soit actif. Pour qu’il le soit, il est nécessaire de donner aux membres des IRP en charge de la santé-sécurité au travail les moyens d’être à l’écoute de leurs collègues, par exemple, en augmentant les heures de délégation dont ils bénéficient et en leur proposant des formations sur la santé au travail et sur le pilotage social.

En quoi la loi du 23 juillet 2015 remet-elle en cause le rôle des CHSCT, trente-quatre ans après leur création ?

La nouvelle loi relative au dialogue social et à l’emploi du 23 juillet 2015 (dite “loi de modernisation du dialogue social”) étend la possibilité d’instaurer une délégation unique du personnel aux entreprises de moins 300 salariés (au lieu de moins de 200 salariés auparavant) et permet aux entreprises de 300 salariés et plus de regrouper tout ou partie des IRP, institutions représentatives du personnel, par accords majoritaires. Le risque majeur de cette réforme est une régression de la prise en charge des problématiques de santé, de sécurité et de conditions de travail qui, au lieu d’être des compétences propres dévolues à une instance spécialisée, seront diluées dans les compétences générales d’une délégation unique du personnel. Même si la loi prévoit qu’au moins quatre des réunions annuelles de la délégation unique portent en tout ou partie sur des sujets relevant des attributions du CHSCT, tout dépendra, dans la réalité, de la plus ou moins grande sensibilité des représentants des salariés, au sein de la délégation unique du personnel, aux questions de santé, de sécurité et de conditions de travail. L’autre risque est de voir apparaître des profils généralistes au sein de cette délégation qui n’auront pas forcément de connaissances approfondies et suffisantes sur les questions de santé et de sécurité au travail. Or, ces connaissances sont déterminantes quant à l’efficacité des CHSCT à améliorer la santé des salariés. Enfin, le dernier risque est la diminution des heures de délégation dévolues à la délégation unique du personnel ce qui rendra d’autant plus difficile le travail d’enquête sur la santé et les conditions de travail des salariés.

Gregor Bouville enseignant-chercheur en GRH

Parcours

> Gregor Bouville est maître de conférences en gestion des ressources humaines à l’université Paris-Dauphine et membre de l’équipe Management & Organisation.

> Docteur en sciences de gestion, agrégé d’économie et gestion et titulaire d’un Master recherche en sociologie du travail et des organisations, il est l’auteur d’une thèse, en 2009, sur L’influence de l’organisation et des conditions de travail sur l’absentéisme : analyse quantitative et étude de cas.

Lectures

Penser l’entreprise. Nouvel horizon du politique, Olivier Favereau, Roger Baudoin, Parole et Silence, Paris, 2015.

Les Embarras des recruteurs. Enquête sur le marché du travail, Emmanuelle Marchal, EHESS, Paris, 2015.

Au Bonheur des Dames, Émile Zola. Folio Classique (Éditions Gallimard), Paris, 1883 (2014).

Auteur

  • Éric Delon