logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Fonction publique territoriale : Fusion des régions : branle-bas de combat dans les services

L’enquête | publié le : 20.12.2016 | Solange de Fréminville

Image

Fonction publique territoriale : Fusion des régions : branle-bas de combat dans les services

Crédit photo Solange de Fréminville

Issues des fusions imposées par la loi du 16 janvier 2015, les sept nouvelles régions sont engagées dans une reconfiguration interne de grande ampleur. De plus elles intègrent toute une série de réformes qui élargit leurs compétences et modifie l’action publique.

C’est l’étonnant paradoxe de la fusion dans laquelle se sont lancées 16 régions au 1er janvier 2016 pour donner naissance à sept nouvelles entités. Bien qu’elle se déroule dans le cadre strict de la fonction publique territoriale et des engagements pris par la plupart des nouveaux élus – soit pas de suppression d’emploi, sauf à la marge, ni de mobilité géographique imposée – le chantier est aussi vaste et complexe que lors des fusions de grandes entreprises privées.

D’abord en raison des multiples différences, voire des profondes disparités, entre les anciennes régions. Tout les sépare, depuis les politiques menées jusqu’aux modes de gestion et même aux conditions d’emploi des agents. Les conseils régionaux disposent en effet d’une grande liberté d’administration comme toutes les collectivités territoriales. Unifier deux ou trois entités nécessite donc de tout remettre à plat et de faire des choix. Les uns ont une référence majeure, l’Aquitaine pour la Nouvelle-Aquitaine, l’Alsace pour le Grand Est, dont sont issus les directeurs généraux des services (DGS) des nouvelles entités, d’autres comparent et piochent ce qui leur semble être les meilleures solutions, mais tous cherchent à réaménager les choses, même s’ils ne sont que deux à l’afficher. « Ce n’est pas une fusion, ce n’est pas une addition, pas non plus une moyenne, ni le meilleur des deux, affirme Simon Munsch, DGS de la région Occitanie. Nous posons les bases d’une nouvelle collectivité. Nous interrogeons d’abord le sens donné à notre action, les politiques publiques que nous voulons mener. Cela a pour vertu de décrisper les positions. Sinon, chacun défend son mode de fonctionnement. » Une démarche partagée par Valérie Chatel, DGS de la région Bourgogne-Franche-Comté. « Nous ne sommes pas partis de l’existant, mais d’une vision : quels services à rendre, quelle organisation, quels moyens ? », lance-t-elle.

Des configurations bisite ou multisite

Ensuite, du fait que les nouvelles régions couvrent des territoires immenses – en particulier la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie et Grand Est. Ce qui oblige à repenser la structuration des services généraux, touchant en général 30 % des effectifs. Mise à part la Normandie, qui a choisi de spécialiser Rouen et Caen, les autres régions ont préféré une configuration bisite ou multisite. Cela signifie que chaque direction est implantée sur les deux ou trois anciens sièges, conservant l’ancienne répartition des effectifs, du moins pour le moment, même quand elle tend à centraliser les pouvoirs au profit du siège de la nouvelle entité, comme à Bordeaux. En même temps qu’elles se sont agrandies, les sept collectivités bénéficient de transferts ou d’extensions de compétences, comme toutes les régions. En 2017, elles reprendront les transports inter-urbains et les transports scolaires, ainsi que des services chargés du développement économique, toute activité jusqu’ici sous le contrôle des conseils départementaux. Les régions ont également de nouvelles missions : l’animation des territoires, via la conférence territoriale de l’action publique (CTAP) et le schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire (SRADDT), la gestion du fonds européen agricole de développement rural (FEADER), les Creps (centres régionaux d’éducation populaire et de sport).

Décloisonnements

Par ailleurs, un vent de renouveau souffle sur les collectivités, sous l’effet des alternances politiques, de la révision générale des politiques publiques impulsée par l’Etat, des fortes contraintes budgétaires, mais aussi sous l’influence des conceptions managériales venues du secteur privé. Objectifs affichés : rendre l’action publique plus performante et plus proche des citoyens, réduire les dépenses. Au-delà des discours politiques, le changement est impulsé en interne par les DGS. Fini les organisations pyramidales figées, il faut réduire les échelons et favoriser les décloisonnements. « En Nouvelle-Aquitaine, nous ne voulons plus d’une organisation en tuyaux d’orgue et nous comptons revoir les procédures administratives avec l’aide d’un cabinet conseil », assure Jean-Baptiste Fauroux, DGS de la Nouvelle-Aquitaine, qui a travaillé comme consultant chez McKinsey, notamment sur la fusion des Caisses de Crédit Agricole, avant de prendre la direction de collectivités. En Bourgogne-Franche-Comté, « tout candidat interne à un poste de directeur ou de chef de service doit proposer un projet et des scénarios d’organisation pour cette direction ou ce service, indique Valérie Chatel. Et nous avons supprimé un niveau, en dessous de chef de service, celui de coordinateur ou responsable d’unité ».

Pour répondre à toutes ces exigences et à la nécessité de mailler de vastes territoires, la restructuration est protéiforme. Elle se fait au moyen d’une mobilité fonctionnelle. Elle est déjà aboutie en Normandie, en cours dans les six autres grandes régions. Les changements de postes concernent par exemple la moitié des agents des services généraux en Normandie et environ 25 % en Bourgogne. Avec des recrutements internes en série, cela donne lieu à d’intenses “tuilages” pour transmettre les dossiers aux collègues, mais aussi à des séminaires pour les managers et à la mise en place de solides plans de formation.

E-administration

La plupart des encadrants se retrouvent chaque semaine sur les routes ou dans les trains, quand ils ne sont pas en visioconférence pour des réunions de travail à des centaines de kilomètres de distance. Comme, en parallèle, tout est revisité et unifié ou modifié progressivement, des systèmes d’information jusqu’aux procédures de gestion du courrier, en passant par la commande publique, le chantier engagé est gigantesque. En Bourgogne-Franche-Comté, l’une des priorités est de dématérialiser rapidement des services internes (courrier, exécution financière, etc.). Le temps est venu de « la e-administration », annonce Valérie Chatel.

« Dans l’immédiat, c’est la crise, commente Olivier Delage, élu CGT de la Nouvelle-Aquitaine, en écho à de nombreux syndicalistes des conseils régionaux. La fusion est anxiogène, les changements sont très importants et rapides. » En Nouvelle-Aquitaine, « c’est nébuleux, pas de stratégie claire, pas d’information transparente », ajoute l’élu CGT. Dans plusieurs régions, des syndicalistes pointent une certaine désorganisation, « avec une surcharge de travail pour les uns et moins ou pas de travail pour d’autres », souligne par exemple Pascal Koehler, secrétaire général de la CGT de Grand Est. Ils font part également des vives inquiétudes liées aux nombreuses réaffectations de postes ou à l’éloignement des directions. En mai-juin, plusieurs mouvements sociaux ont agité les administrations régionales. Les personnels des territoires qui ont perdu un siège craignent fortement d’être les laissés-pour-compte de la fusion.

Solange de Fréminville

Sept régions, employant près de 50 000 agents*

Auvergne-Rhône-Alpes : 8 400.

Bourgogne-Franche-Comté : 4 100.

Grand Est : 7 300.

Hauts-de-France : 9 210.

Normandie : 5 000.

Nouvelle-Aquitaine : 8 300.

Occitanie : 6 630.

L’harmonisation des conditions d’emploi sera négociée en 2017

Unifier les régimes indemnitaires, l’action sociale et le temps de travail : ce sera le grand chantier des négociations sociales en 2017, tant les disparités sont grandes entre les anciennes régions. Ainsi, dans la région Grand Est, les agents de l’ex-Lorraine sont mieux rémunérés que ceux de l’ex-Alsace et bénéficient de prestations sociales et culturelles plus favorables. Comme le RIFSEEP*, qui renforce les critères qualitatifs, s’applique à partir du 1er janvier 2017, c’est l’occasion d’une remise à plat des régimes indemnitaires. Les collectivités ont jusqu’à 2021 pour harmoniser effectivement les conditions d’emploi. Les syndicats se montrent attentifs aux éventuelles inégalités de traitement.

Des formations pour créer une culture managériale

Rapprocher les encadrants issus de collectivités différentes, les accompagner dans la conduite du changement et les former à de nouveaux modes de management, c’est l’un des enjeux majeurs de la fusion. Les régions Hauts-de-France et Occitanie ont mis en place un séminaire et du coaching interne ou externe. Mais d’autres misent sur la formation stricto-sensu. La région Bourgogne-Franche-Comté a confié au Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) un programme d’échange de bonnes pratiques managériales pour ses 110 encadrants, qui a démarré en novembre et qui s’étendra sur cinq mois. L’idée est de favoriser « la transversalité », selon Valérie Chatel, DGS de la région Bourgogne-Franche-Comté. En Nouvelle-Aquitaine, « la direction envisage de recruter un conseiller formation chargé d’évaluer les besoins des managers et d’élaborer un cursus spécifique combinant échange de pratiques et apprentissages des techniques de management », indique Olivier Delage, élu CGT au CHSCT de la région.

* 30 % sont dans les services généraux et 70 % dans les lycées.

* RIFSEEP : régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l’expertise et de l’engagement professionnel.

Auteur

  • Solange de Fréminville