Les enquêtes ethnographiques ont longtemps été consacrées à des terres lointaines et l’ethnographie paraissait la science de l’autre plus que du semblable. Leur introduction récente dans le cadre de nos sociétés et au cœur même de l’entreprise a le mérite de placer sous le regard ce qui parfois semble si évident qu’on ne le voit plus. En cela, l’ethnographie qui est d’abord une phase d’observation induit assez naturellement une prise de conscience propice à l’action. Racontant l’intimité d’un harcèlement moral à l’occasion d’un job alimentaire dans une entreprise hôtelière, Annabelle Boissier prend avec son sujet et ses affects, la distance de l’ethnologie par rapport à son objet. Distance qui la conduit à réfléchir sur un style et une méthodologie narrative de l’écriture de l’intimité, fut-elle professionnelle. Le sujet qui vit et celui qui écrit sont bien le même sujet et pourtant se creuse une différence entre l’un et l’autre : l’un en l’occurrece est victime, l’autre maîtrise les codes du discours des sciences sociales et du style. Le texte proposé par l’auteur a une double dimension. De réparation et de socialisation des problèmes individuels au travail. De réparation car, comme toujours, pour le harcelé écrire/décrire le harcèlement revient à mettre des mots sur les maux et d’une certaine manière à en colmater symboliquement la blessure. De socialisation car les expériences de souffrances au travail se répètent de cas en cas et ne sont qu’en apparence individuelles.