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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chronique | publié le : 13.12.2016 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

Haro sur le complot !

Les théories du complot existaient déjà avant l’avènement d’Internet. Les attentats du 11 septembre 2001 ont toutefois marqué un tournant puisqu’ils ont servi de caisse de résonance aux théories conspirationnistes, sachant que les réseaux sociaux permettent une diffusion à bien plus grande échelle que le bouche-à-oreille d’hier.

Les entreprises ne sont pas à l’abri. Elles peuvent être directement concernées par ce type de désinformation. Elles ont cependant tendance à oublier que les théories complotistes n’affectent pas seulement leur image externe, mais aussi leur climat social. En effet, les théories du complot peuvent aussi fleurir en interne et se répandre auprès des salariés. Par exemple, certains vont imaginer qu’un groupe de travail secret prépare une réorganisation quand d’autres vont être persuadés qu’un réseau gay ou franc-maçon gouverne l’entreprise en sous-main.

Ce phénomène, ses causes et ses conséquences étaient néanmoins encore méconnus jusqu’ici. D’où l’intérêt de l’article sur ce sujet écrit par Karen Douglas, de l’université de Kent, et Ana Leite, de l’université de Roehamtpon, au Royaume-Uni. Parue dans le British Journal of Psychology, leur étude conclut que les managers feraient mieux de prêter attention aux théories conspirationnistes diffusées sur le lieu de travail en raison des dommages qu’elles causent. On aurait tort de les assimiler à de simples rumeurs transmises autour de la machine à café. Si ces théories du complot, aussi fantaisistes soient-elles, sont à prendre au sérieux, c’est qu’elles contribuent à saper l’autorité managériale et à diffuser un état d’esprit machiavélique : si telle conspiration existe et tend à nous manipuler, alors tout est permis !

À travers trois études, Karen Douglas et Ana Leite mettent en avant le fait que les salariés qui ont le plus tendance à croire en l’existence de complots au sein de leur entreprise sont plus nombreux que les autres à envisager de changer d’employeur. Ils se caractérisent aussi par une moindre implication et une plus faible satisfaction au travail. Imaginer qu’un petit groupe ne suit que ses propres intérêts et cherche à nous manipuler a en effet de quoi démotiver et faire perdre tout son sens au travail.

Toutefois, d’autres études sont nécessaires dans ce domaine afin de vérifier le sens de la causalité : est-ce le fait de porter crédit à des théories conspirationnistes qui démotive ou bien le fait d’être démotivé qui rend plus enclin à croire à ce genre de thèse ? On pourrait en effet imaginer que des salariés désengagés se mettent plus ou moins consciemment à croire en des théories du complot pour légitimer leur désengagement ou leur absence de promotion interne.

Il ressort également de cet article que les entreprises qui offrent peu d’autonomie, où les perspectives semblent limitées et où les conflits sont récurrents représentent un terreau fertile à la diffusion de théories du complot, contrairement à celles qui se distinguent par la lutte contre la corruption, le fait de rendre des comptes et de faire preuve de transparence.

Bref, la présence de théories conspirationnistes représente un élément à ajouter à la liste des traditionnels signaux faibles à capter pour mesurer le climat social.

Karen Douglas et Ana Leite, “Suspicion in the workplace : Organizational conspiracy theories and work related outcomes”, British Journal of Psychology, 2016.

Auteur

  • Denis Monneuse