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L’enquête

Inès de Pierrefeu psychologue clinicienne*

L’enquête | L’interview | publié le : 06.12.2016 | Florence Roux

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Inès de Pierrefeu psychologue clinicienne*

Crédit photo Florence Roux

« Le travail est au cœur des préoccupations des personnes atteintes de handicaps psychiques »

Vous terminez une étude sur l’insertion professionnelle des travailleurs atteints de handicaps psychiques, réalisée notamment par les Ésat de transition de l’association Messidor. Pourquoi ce choix ?

Pour décrire les mécanismes à l’œuvre dans ces Ésat, qui se distinguent des établissements traditionnels d’aide par le travail. Ils se situent dans le champ protégé, mais ont pour principal objectif d’amener les personnes vers le milieu ordinaire. Ils procèdent notamment par des interventions ou chantiers intégrés dans des entreprises classiques, c’est-à-dire par des mises en situation de travail “réel” avec un accompagnement bienveillant en binôme. Les parcours de 160 bénéficiaires ont été analysés.

Quel rapport au travail ces personnes entretiennent-elles ?

Elles placent le travail au cœur de leurs préoccupations avec une note de 7 sur 10. Environ 85 % d’entre elles avaient déjà travaillé avant d’entrer dans ces dispositifs, durant huit ans en moyenne, et déclarent une forte envie de s’insérer à nouveau en milieu ordinaire. C’est ce qu’elles révèlent, interrogées après huit mois de parcours en Ésat de transition, que ce soit dans l’industrie, la logistique ou l’entretien des espaces verts.

Entre les deux temps de mesure de l’étude, c’est-à-dire entre huit et dix-sept mois de parcours, les personnes déclarent une stabilité clinique : les symptômes qui les handicapent au travail – comme les troubles de l’attention ou l’anxiété – étaient déclarés comme « peu intenses » à huit mois, et le restaient neuf mois plus tard.

De même, l’estime de soi, retrouvée grâce à cette mise en situation de travail et aux regards valorisants des accompagnants, se maintient dans le temps de l’étude. Or, cette estime de soi est un facteur clé du rétablissement et de l’insertion.

Qui sont ces accompagnants ?

L’originalité de Messidor est de proposer un accompagnement par deux personnes : un conseiller d’insertion, qui aide à l’élaboration et à la mise en œuvre d’un projet d’insertion en milieu ordinaire et assure le lien avec les partenaires externes (employeurs potentiels, MDPH, soignants) ; et le responsable d’unité de production, qui pilote l’activité professionnelle au quotidien, forme les personnes à un métier et les accompagne à changer de regard sur elles-mêmes.

Ces accompagnants apprécient ce travail en binôme qui redonne à la personne une place de sujet sans lien paternaliste et infantilisant. Ce sont des métiers de posture et de relation, en équilibre permanent entre bienveillance et cadrage. Le parcours est co-construit avec la personne, avec un calendrier, des objectifs, des formations. Il est à l’interface entre le monde médico-social et celui de l’entreprise. Les personnes accompagnées évaluent particulièrement positivement l’alliance avec leurs deux accompagnants.

Quelle leçon les entreprises peuvent-elles tirer de cette étude ?

Que certaines manières de faire peuvent valoriser des personnes très motivées mais ayant perdu l’estime d’elles-mêmes. Cela peut concerner n’importe qui. Le manager d’une entreprise classique pourrait s’en inspirer dans la façon d’encadrer ses équipes, en s’intéressant aux capacités et potentiels plutôt qu’aux manques. Il apparaît aussi plus efficace de responsabiliser que de trop contrôler, d’être dans la confiance plutôt que dans la domination.

L’expérience Messidor témoigne que la compensation du handicap psychique est avant tout « humaine ». Ainsi, deux interlocuteurs, deux repères, offrent un bon équilibre à une personne en situation de handicap psychique. On pourrait imaginer qu’une personne intégrant l’entreprise soit suivie à la fois par un tuteur et aussi par un collègue de travail, lors de son démarrage en poste par exemple. De plus, il est important de rendre la personne actrice de sa vie professionnelle, tout en la valorisant, pour qu’elle réussisse et reprenne confiance. L’entreprise gagnerait à responsabiliser dès le départ ces personnes et à leur faire souvent des retours sur leurs qualités et potentiels.

* Elle a mené une recherche pendant trois ans dans le cadre d’une thèse de doctorat dirigée par Bernard Pachoud (université Sorbonne Paris Cité) et Marc Corbière (université du Québec à Montréal). La soutenance interviendra au printemps 2017 à l’université Paris Diderot.

Auteur

  • Florence Roux