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L’enquête

Loi travail : Temps de travail : la nouvelle donne

L’enquête | publié le : 15.11.2016 | Nicolas Lagrange

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Loi travail : Temps de travail : la nouvelle donne

Crédit photo Nicolas Lagrange

Aménagement de la durée hebdomadaire, heures supplémentaires, forfaits-jours, astreintes… la loi Travail modifie plusieurs dispositions-clés relatives au temps de travail. Avec une nouvelle architecture des règles faisant la part belle à la négociation d’entreprise. Focus sur les principaux changements et les premières utilisations.

Si l’épaisse loi du 8 août 2016 concerne de nombreuses thématiques, elle revêt une importance toute particulière s’agissant du temps de travail, puisque la nouvelle architecture des règles applicables dans ce domaine préfigure le travail de réécriture de l’ensemble du Code du travail. « Cette nouvelle structuration pédagogique entre l’ordre public, la négociation collective et les dispositions supplétives est bien accueillie par les grandes entreprises, souligne Jean-Christophe Debande, juriste et directeur de projets RH à Entreprise & Personnel. Il ne s’agit pas d’inverser la hiérarchie des normes, mais de renforcer la primauté de l’accord d’entreprise, un chantier déjà entamé avec la loi du 20 août 2008. Dès lors, il ne faut pas s’attendre à un bouleversement des pratiques, en tout cas pas pour les grandes entreprises. Même si plusieurs dispositions suscitent un réel intérêt. »

« Il n’y a aucun signe avant-coureur d’une utilisation massive des nouvelles dispositions dans les entreprises, opine Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC. Le temps de travail est un sujet sensible, qui touche à l’équilibre entre l’activité professionnelle et la vie privée. » Fabien Médard, coordonateur CGT du groupe Stef, complète : « Pas de remise en cause pour l’instant, selon les informations que nous possédons, mais il faut dire que nous commençons à peine à digérer la loi Rebsamen, avec les nouveaux grands temps de consultations et de négociations. » De fait, dans la très grande majorité des cas, les DRH et les organisations syndicales ne se sont pas encore emparées du sujet. S’y ajoute un attentisme naturel par rapport à toute nouvelle réglementation, entretenu par la publication progressive des décrets (les derniers sont attendus fin 2016). Un attentisme renforcé par l’approche du scrutin présidentiel et ses promesses de nouvelles réformes. Sans oublier une difficulté supplémentaire, soulignée par Entreprise & Personnel dans sa dernière note de conjoncture sociale : la nécessité, à partir de janvier 2017, de disposer d’accords majoritaires ou de passer par des référendums, délicats à manier.

Accord expérimental

Pourtant, plusieurs branches et entreprises se sont d’ores et déjà mises en mouvement, mettant à profit les nouvelles possibilités offertes en matière de temps de travail. Ainsi, les partenaires sociaux de la métallurgie ont-ils conclu un accord expérimental permettant aux entreprises du secteur de moduler le temps de travail sur une période supérieure à un an et de trois ans au plus. À la négociation d’entreprise de définir ensuite les périodes hautes et basses de travail, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et les contreparties (lire p. 23). Taillée sur mesure pour la métallurgie, la modulation triennale pourrait inspirer les partenaires sociaux de Renault, en pleine renégociation de l’accord triennal de compétitivité. Les périodes hautes pourraient atteindre six mois en cumulé (au lieu de quatre mois consécutifs dans le schéma actuel), éventuellement à cheval sur deux années civiles, pour compenser les baisses de charges possibles à partir de 2018.

Aménagement sans recours à la loi travail

Chez Airbus, « compte tenu de notre carnet de commandes rempli jusqu’en 2020, difficile d’envisager des périodes basses et donc la mise en place à court terme d’un tel système », estime Fabrice Nicoud, délégué syndical central CFE-CGC. D’autant que l’une des trois divisions du groupe, Airbus Defence and Space, vient de se doter d’un nouvel aménagement du temps de travail pour répondre à l’accroissement de l’activité, sans recourir à la loi Travail. « À la suite d’un accord signé en juillet dernier, près de la moitié des salariés ont opté pour la possibilité de travailler 6 jours de plus par an entre 2017 et 2019, rémunérés ou placés sur le CET avec un abondement de 20 % », explique Thierry Prefol, coordinateur adjoint CFE-CGC du groupe et délégué syndical central de la division (lire Entreprise & Carrières n° 1312). En fait, les modalités d’assouplissements des 35 heures sont déjà nombreuses, réduisant la portée des nouvelles dispositions.

Deuxième changement regardé de près par les entreprises, la sécurisation des forfaits-jours. « La jurisprudence de la Cour de cassation a invalidé de nombreux accords collectifs et conventions individuelles, faute de garanties suffisantes en matière de contrôle de la charge de travail et de temps de repos, souligne Charlotte Michaud, associée chez Flichy Grangé Avocats. La loi Travail lève cette épée de Damoclès, en sécurisant les accords incomplets sur ces points, à la condition que de véritables garde-fous soient effectivement opérationnels. » Résultat, la sécurisation ne sera au rendez-vous que si les DRH apportent des garanties et vérifient leur bonne application, par accord ou de manière unilatérale (lire p. 24).

Le troisième champ de dispositions relatives au temps de travail impacté par la loi du 8 août 2016 est aussi le plus polémique, c’est celui relatif aux heures supplémentaires. À commencer par le taux de majoration, qui peut être réduit à 10 % (au lieu de 25 % pour les huit premières heures), par voie d’accord d’entreprise sans passer par une validation préalable de la branche. Hervé Garnier, secrétaire confédéral de la CFDT, ne croit pas à une ruée des entreprises sur cette disposition, socialement très sensible et qui nécessitera un accord majoritaire, « d’autant moins que la problématique de la durée légale du travail et des heures supplémentaires devrait progressivement s’effacer au profit de l’organisation du travail et de la QVT ». Si quelques entreprises veulent toutefois réduire la majoration des heures supplémentaires, d’autres se saisissent déjà de la nouvelle possibilité de négocier une durée hebdomadaire de 46 heures sur douze semaines consécutives (lire p. 22).

Développement de l’emploi

Une autre disposition nouvelle pourrait avoir une incidence sur le temps de travail, ce sont les accords de préservation ou de développement de l’emploi (article 22). « Ils sont plus souples à négocier que les accords de maintien dans l’emploi, qui ont été un échec, analyse Jean-Christophe Debande, et n’ont plus à justifier de difficultés économiques. L’intérêt de ces accords est qu’ils s’imposent aux contrats de travail. Donc si l’on prend des mesures touchant au temps de travail au nom de l’emploi… voyez les marges de liberté que cela peut donner ! »

L’attrait pour les nouvelles dispositions sur le temps de travail pourrait aussi dépendre de leur taille. « Les PME peuvent dorénavant mieux optimiser leur organisation du travail, estime le directeur de projet d’Entreprise & Personnel. Le champ de la négociation d’entreprise est étendu et elles pourront bénéficier de conseils juridiques de l’Administration (article 61) voire s’appuyer sur des accords-types de branches, applicables unilatéralement (article 63). » Les entreprises de moins de 50 salariés peuvent également aménager le temps de travail sur neuf semaines unilatéralement. « C’est surtout dans les PME soumises aux donneurs d’ordre que nous craignons une dérégulation en matière de temps de travail », expose Jean-François Foucard. Pour favoriser de véritables négociations, la CFE-CGC mise sur le mandatement de salariés, dans les entreprises sans représentant syndical ou du personnel : « Nous travaillons sur des canevas de négociations sécurisés pour les entreprises comme pour les salariés mandatés, pour lesquels nous bâtissons une offre de formation spécifique, explique Chantal Guiolet, représentante de la FIECI-CFE-CGC (SSII et bureaux d’études). Il y a une vraie demande des petites entreprises de la branche. »

Pour l’heure, peu d’organisations syndicales ont outillé leurs représentants face à la loi Travail. « Nous préparons des fiches techniques avec des conseils pratico-pratiques sur la nouvelle donne de la négociation collective, précise notamment Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale FO, et nous avons commencé à organiser des journées de formations pour nos négociateurs d’entreprises et de branches. » Quant à la CGT, elle a réuni ses fédérations le 6 octobre dernier pour établir un premier recensement des dénonciations d’accords sur le temps de travail, en lien avec les nouvelles dispositions.

N. L.

Auteur

  • Nicolas Lagrange