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L’enquête

Heures supplémentaires : Le nouveau régime fait ses premiers pas

L’enquête | publié le : 15.11.2016 | N. L.

La loi Travail offre davantage de souplesse aux entreprises sur le régime des heures supplémentaires par la voie de la négociation. De quoi intéresser parfois les entreprises… et alimenter les craintes syndicales.

« Suite à la publication au Journal officiel de la loi El Khomri (…), il a été conclu, en date du 31 août 2016, un accord d’entreprise [qui] fixe les taux de majoration des heures supplémentaires ainsi que des heures complémentaires à un taux unique de 10 %. » C’est la note de service que la société Global Sécurité Prévention a rédigé à l’attention de ses salariés, le 13 octobre dernier. Cette PME d’Amiens n’a pas perdu de temps pour négocier l’application du taux minimal de majoration des heures supplémentaires (le taux “par défaut”, le plus répandu à ce jour, étant de 25 %). Car la négociation d’entreprise prime désormais celle de la branche.

Certes, la loi Fillon de mai 2004 permettait déjà aux entreprises de déroger aux dispositions de la branche, mais selon des modalités particulièrement restrictives, selon le gouvernement, qui a choisi de simplifier le cadre juridique et de faciliter les discussions en proximité. « Du coup, nous redoutons une généralisation du dumping social, assure Fabrice Angeï, responsable confédéral CGT. Notamment parce que les délégués syndicaux d’entreprises ont moins les coudées franches à l’égard de leur employeur que les négociateurs de branche vis-à-vis de leurs homologues patronaux et parce que les salariés sont plus perméables au chantage à l’emploi. » Ces craintes sont-elles fondées ? D’aucuns estiment que l’obligation d’obtenir un accord majoritaire à partir de 2017 limitera le nombre de renégociations, d’autant que les salariés suivent de très près le taux de majoration. D’autres soulignent que certaines branches appliquent déjà des taux réduits. Ainsi, la branche hôtels-cafés-restaurants applique 10 % sur les quatre premières heures, les agences générales d’assurances et les cabinets d’avocats sont à 10 % ou 15 % selon leur taille, et l’horlogerie de plein air à 15 % toujours sur les quatre premières heures… quand, a contrario, les organismes de tourisme majorent les premières heures de 30 % et l’imprimerie de 33 %.

Seuil de déclenchement

Au lieu de modifier le taux de majoration des heures supplémentaires, « les entreprises peuvent aussi relever le seuil de déclenchement de la majoration, avertit Maurad Rahbi, secrétaire général de la Fédération CGT textile-habillement-cuir-blanchisserie. Un choix facilité par la loi Travail, qui leur permet de négocier une durée hebdomadaire maximale moyenne de 46 heures sur douze semaines, contre 44 heures jusque-là ». Et de citer le cas de Lacoste (plus de 1 000 salariés), qui a dénoncé plusieurs accords cet été. « La direction veut moduler la durée hebdomadaire sur dix semaines, avec huit semaines entre 0 et 46 heures et deux semaines pouvant aller jusqu’à 48 heures, assure le syndicaliste. Alors qu’aujourd’hui les périodes hautes sont plafonnées à 40 heures, sur huit semaines seulement. Résultat, plus d’intensification du travail, mais peu voire pas de pouvoir d’achat en plus, puisque le seuil de majoration des heures supplémentaires serait situé à 46 voire 48 heures, au lieu de 40 heures. Et pas de gain salarial annuel non plus, si les périodes basses compensent les périodes hautes, avec 1 607 heures de travail au plus sur douze mois. Nous avons donc alerté les salariés et mis en garde la direction. »

Selon Marion Ayadi, associée chez Raphaël Avocats, les entreprises ne se précipitent pas sur le nouveau seuil de 46 heures, mais « elles l’intègrent parfois dans leurs projets d’accord, à l’instar de deux entreprises dans la publicité et dans le commerce de détail de l’habillement, qui nous avaient sollicités avant la loi Travail. Cette nouvelle disposition peut également intéresser les établissements financiers ou les experts-comptables, qui connaissent des pics d’activité au moment de l’arrêté des comptes ». Plusieurs branches, comme la sécurité privée, autorisaient déjà une durée hebdomadaire maximale moyenne de 46 heures sur douze semaines consécutives. Chez Securitas, depuis 2010, la durée hebdomadaire moyenne maximale est de 44 heures, mais sur treize semaines : le taux de majoration est bien de 25 %, mais les heures supplémentaires ne sont décomptées qu’à partir de la 45e heure. « La masse salariale, qui représentent plus de 80 % des coûts totaux dans la branche, est malheureusement une variable d’ajustement fréquente, déplore Alain Bouteloux, négociateur de branche FO-FEETS (Fédération de l’équipement, de l’environnement, des transports et des services) et délégué syndical central (DSC) de Securitas. Pour autant, certaines entreprises qui ne payaient les heures supplémentaires qu’en fin d’année, reviennent en arrière, pour tenter de réduire leur turnover. »

Gérer un compteur d’heures supplémentaires sur une longue période peut s’avérer délicat, selon Me Ayadi : « Pour anticiper les impacts RH et donner plus de visibilité aux collaborateurs, mieux vaut prévoir des périodes de décompte et de paiement plus fréquentes, tous les mois ou tous les trimestres. Surtout si l’entreprise (dotée d’IRP) complexifie son organisation du travail, en allant plus loin sur les horaires individualisés, ce que la loi du 8 août 2016 lui permet de faire, sans informer préalablement l’inspection du travail. »

Risque de dérives

« Avec un seuil de 46 heures et une annualisation du décompte et du paiement, les compteurs d’heures supplémentaires peuvent grimper très vite, ajoute Chantal Guiolet, représentante de la Fieci-CFE-CGC. Engendrant des situations où les garanties de santé et de repos du salarié ne sont pas respectées. » Dans certains secteurs comme les SSII, affirme l’intéressée, « certaines entreprises ont de plus en plus recours aux astreintesrarement comptabilisées dans le contingent annuel d’heures supplémentaires et le plus souvent moins bien rémunérées. Des dérives qui ne vont pas manquer de se multiplier avec la loi du 8 août 2016, qui instaure la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, en matière d’astreintes… ».

Auteur

  • N. L.