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Où est le bien commun ?

La chronique | publié le : 08.11.2016 |

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Où est le bien commun ?

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Philippe Détrie la maison du management

La tuile.

Vous devez licencier un(e) de vos collaborateurs car la maison mère a décidé d’alléger de 10 % ses charges de personnel pour une meilleure rentabilité. Vos dix collaborateurs sont tous nécessaires, performants et appréciés. Que faites-vous ?

Scénario 1 : refuser

Sans doute le plus courageux. Vous pensez que se séparer d’un collaborateur uniquement pour une cause financière, lointaine et aveugle, est injuste et que cette œuvre de destruction ne vous incombe pas. Après tout, la responsabilité est collective et la fonction publique qui l’a bien compris préfère ne pas remplacer plutôt que disqualifier publiquement un de ses agents.

Que va-t-il se passer ? La direction argumentera que cette décision est prise pour la compétitivité de l’entreprise et donc l’intérêt général. Vous rétorquerez que la mise en œuvre de cette mesure va nuire à l’avenir de votre collaborateur, au service client et au bon fonctionnement de l’équipe car son travail devra être repris par ceux qui restent, et qu’elle constitue un reniement de la politique RH de faire progresser chacun. En un mot, que « son » bien commun n’est qu’un instrument au service de sa financiarisation.

Une partie de bras de fer s’engagera sans doute et vous, petit pot de terre, risquez d’être écrasé.

Scénario 2 : accepter

Sans doute le plus vraisemblable. Il est sûr que la santé financière d’une entreprise est capitale car elle seule garantit son existence et sa pérennité. Et un principe de bonne gestion commande qu’un foyer de pertes ne vienne pas gangrener l’ensemble du corps social. Mais à quel coût moral et humain ?

Cela donnera un goût amer. Car au nom de quoi allons-nous congédier un collaborateur qui travaille bien et dont la vie personnelle et familiale va être bouleversée, au nom de quoi allons-nous désigner tel ou tel, au nom de quoi allons-nous nous faire le complice d’une rupture unilatérale d’un engagement contractuel ?

Comment arbitrer ?

Le romancier et essayiste Pascal Bruckner écrit dans son livre au titre suggestif Misère de la prospérité qu’il faut « remettre les activités marchandes à leur place et retrouver la place de ce qui n’est pas marchand : il en va tout simplement du sens de nos vies ». Tout à fait d’accord. S’il fallait choisir entre la Bourse ou la vie, ma réponse serait immédiate. Mais en entreprise, nous sommes des subordonnés.

La bonne nouvelle est que l’entreprise/organisation du 21e siècle prend conscience de la multiplicité des parties prenantes. Son management se construit dorénavant par la poursuite simultanée de quatre finalités :

– son utilité à la société

– la satisfaction de ses clients/usagers/adhérents

– la performance pour ses propriétaires : actionnaires, État, adhérents, électeurs…

– l’accomplissement de ses salariés/agents dans leur travail.

Ce qui rend, et c’est la difficulté, la prise de décision de plus en plus complexe. Qui privilégier ? Les collaborateurs, les clients, les propriétaires, l’environnement… ?

Dès lors, où situer le bien commun ?

Si la définition exprime un bien partagé profitable à long terme et favorisant la coexistence de l’ensemble des membres d’une même communauté, de quelle communauté s’agit-il ? Est-ce l’entreprise ou la société ? Une entreprise socialement responsable optera pour le périmètre le plus large et créera un scénario 3 donnant la prise de décision à l’ensemble des parties prenantes. Tous les impacts seront ainsi étudiés et conduiront à une solution optimale. Le manager sera conforté dans l’application d’une mesure devenue plus légitime.

Allons plus loin : quelle voix donner à chacun ? Mes travaux de recherche indiquent une pondération moyenne actuelle : 40 % propriétaires, 30 % clients, 20 % salariés, 10 % partenaires. L’idéal serait une parfaite égalité des voix, chaque partie prenante étant créditée d’un quart. La gouvernance ne serait plus un entre-soi, mais représenterait la diversité des parties prenantes.

Le partage des bénéfices serait affecté pareillement, entre propriétaires, salariés, investissement pour les clients et impôt pour la communauté. Le gâteau ne serait plus un financier pour certains, mais un quatre-quarts pour tous !

Misère de la prospérité. La religion marchande et ses ennemis, Pascal Bruckner, Grasset, 2002

Jean Tirol, prix Nobel de l’économie, écrit dans son livre Économie du bien commun : « La recherche du bien commun passe en grande partie par la construction d’institutions visant à concilier autant que faire se peut l’intérêt individuel et l’intérêt général. »