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Gestion d’équipe : Manager les créatifs : miser sur la souplesse

Les clés | publié le : 18.10.2016 | Marie-Madeleine Sève

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Gestion d’équipe : Manager les créatifs : miser sur la souplesse

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Ingérables les créatifs ? Non, à condition de jouer subtilement. Car le manager doit concilier imagination débordante et impératifs de production. En s’efforçant de comprendre leurs modes de fonctionnement hors normes, il pourra les canaliser, sans les frustrer ni les infantiliser.

« Accepter que des consultants fournissent à nos clients de la banque et de l’assurance un bouchon de liège, une ficelle et des Lego pour les aider à décrire l’avenir de leur métier, ce n’était pas évident, avoue Sébastien Chadourne, président de Celencia à Nantes (conseil en organisation, 46 salariés). Moi qui suis “contrôlant”, rationnel, j’ai dû lâcher prise et leur faire confiance. » Habitué à travailler avec des ingénieurs “carrés” et pragmatiques, ce patron embauche en effet depuis trois ans des profils atypiques, diplômés de psychologie, de sociologie ou d’écoles de commerce, en vue de se démarquer sur son marché. Et ça marche !

Les entreprises sont en quête d’innovation à tous les étages, afin de rester dans la course, conquérir des parts de marché et gagner en agilité. Pour y parvenir, elles ont besoin d’intégrer des tempéraments créatifs dans leurs équipes. Seulement, les créatifs, passionnés, transgressifs, à la pensée “divergente”, sont des personnalités à part. « Le responsable d’équipe doit renoncer à les manager comme il aimerait être managé lui-même, conseille Gilles Dufour, coach chez B & Lead. Il lui faut s’adapter à eux sans vouloir à toute force les couler dans un moule. » Ce qui implique de respecter quatre règles d’or.

Autonomie

La première consiste à leur laisser de la liberté. « Quel que soit leur profil, ils ont tous besoin d’autonomie, et ont en général peu de considération pour la structure hiérarchique », souligne Matthieu Richy-Dureteste, responsable des formations, à l’INA (lire ci-contre). Dès lors, il s’agit de rester souple sur les horaires et le rythme de travail, en prenant conscience que leur cerveau ne carbure pas aux heures de bureau. « L’un de nos trois graphistes permanents trouve de brillantes inspirations à partir de 19 heures, jusqu’à 4 heures ou 5 heures du matin, raconte Sébastien Girard, dirigeant fondateur de Tendances Éditions (éditeur, créateur de cartes postales et d’objets-cadeaux, près de Périgueux, 24 salariés). Je l’autorise donc à s’organiser en télétravail. Et les plages horaires sont larges : 7h30-19 heures pour tous les collaborateurs. Mais il y a des réunions de suivi une à deux fois par semaine, free-lance compris, afin de préserver la dynamique de l’équipe de création. »

Seconde règle : veiller à nourrir leur inventivité, car ils détestent la routine et l’ennui. « L’intérêt est de leur attribuer le rôle de poil à gratter vis-à-vis de leurs collègues installés dans le statu quo. Ils remettront en cause les pratiques par le questionnement ou l’étonnement, “pourquoi”, “comment”, etc. », expose David Mahé, président du cabinet Stimulus.

En outre, les challenger sur des améliorations de produits ou de processus et sur des avant-projets, en leur donnant une vision excitera leurs neurones. « Pour ma part, j’incite mes graphistes à travailler chez nous sur un dossier personnel relevant de nos sujets, mais à côté des dossiers en cours, raconte Sébastien Girard. Cela leur permet de se ressourcer en sautant de l’un à l’autre, et de creuser à leur guise une idée à eux, qui pourrait être fructueuse pour nous. »

Attention pourtant à ne pas leur lâcher totalement la bride, alertent les coachs, c’est la règle n° 3. « On peut étendre leur terrain de jeu, les pousser à expérimenter en leur accordant le droit à l’essai, à condition de définir avec eux le cadre et les limites de leurs initiatives ; sinon, ils partiront dans tous les sens », observe Jean-Marc Santi codirecteur du cabinet Santi & Associés. À défaut, il faut mettre le holà, en leur rappelant les délais, le budget, le niveau de qualité attendu, et ce sans les aborder de front afin d’éviter de les braquer. « Le créatif ne fonctionne pas aux injonctions ; quand le comportement n’est plus acceptable, il faut agir dans la finesse et rappeler que l’objectif n’est pas négociable », souligne Marie Guitton, consultante chez DevOp.

Cadres et limites

Le mieux est encore de recadrer au fil de l’eau. « Parfois, je me dis : “là ils sont partis à faire du Louis XVI, alors que nous préférons l’épure” », confie Maxime Cabon, jeune patron de la PME bretonne Secma-Cabon (machines spéciales pour l’agroalimentaire, 18 salariés). Car les dessinateurs industriels seniors se focalisent sur le défi technique et explorent mille et une hypothèses, en oubliant les impératifs de production. Du coup, pour déceler leurs dérives, ce dirigeant dialogue en continu avec eux en les sondant, chaque jour, aux détours des couloirs : « Tu es content, où en es-tu ? ». Et il joue les candides dans ses questions en vue de les ramener au cœur du projet, tout en notant le « subsidiaire » afin de l’évacuer, avec eux, en fin de conversation.

Reconnaissance

Enfin, règle n° 4, il faut montrer que leur travail est utile. « Noyés dans la masse, les créatifs s’isoleront. Se sentant parfois des génies méconnus, ils ont besoin de reconnaissance, insiste David Mahé. Il suffit de présenter leurs idées devant l’équipe ou des n + 2. » Et d’organiser, outre les réunions de service, des réunions de brainstorming plus “open”. Les plus inventifs, pouvant parler à satiété, s’y sentiront à l’aise et valorisés !

Les conseils du coach

Matthieu Richy-Dureteste

Responsable des formations en management à l’INA (Institut national de l’audiovisuel)*

–1– Repérer à quel profil on a affaire

Il existe trois types de créatifs principaux en entreprise. L’explorateur, agile dans les concepts, qui a 300 idées à la minute, et pense en zigzag sans tabou. Bâtisseur dans l’âme, présent quasi partout, il a l’esprit ludique et ne supporte pas l’idée d’être enfermé. Il faut le laisser faire en toute confiance et prévoir des points réguliers. L’artiste, enthousiaste, vibrant, à l’œuvre au design ou à la communication. Il a tendance à traverser des hauts et des bas. Gare à ne pas surexploiter ses phases “up”, très prolifiques, ni à se laisser embarquer par les émotions. Le professeur Tournesol, hyperanalytique et précis, en quête de compréhension, qui peuple la R & D. Rétif à toute intrusion, aimant la solitude, il accumule les informations. Il faut éviter une trop grande proximité, mais rester en mesure de raisonner avec lui sur la teneur de ses travaux.

–2– Faire preuve d’authenticité

Le management à l’américaine – « Salut les gars, comment ça va ! On fait un brief de dix minutes » – conduira à un flop ! Le hiérarchique ne se fera accepter de ces profils que s’il est authentique et entier. Mieux vaut rester soi-même en se montrant capable de partager avec eux des idées en profondeur, et d’être réceptif. Chaque mot a son importance. Et si leur production déçoit, pas question de juger « ce n’est pas beau », « je n’aime pas ». Il est préférable d’en souligner la créativité, et d’indiquer que le résultat doit être adapté, en expliquant en quoi il est inapplicable et ce qui est attendu.

–3– Se muer en « impresario-mentor »

Ce n’est pas le créatif qui ira négocier un budget ou déposer un brevet. Ce qui l’intéresse, c’est phosphorer. Autant lui faciliter la vie en le déchargeant de l’administratif et du financier qui lui pèsent. Et il est bon aussi de prêter tout de suite une attention particulière à ses talents, afin de ne pas éteindre la flamme, en guidant et en encourageant chacun.

* Il supervise en particulier le stage « Manager des équipes créatives » ouvert aux entreprises de tous secteurs.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève