logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Contrat de génération : Quels effets sur l’emploi des jeunes ?

L’enquête | publié le : 18.10.2016 | Nicolas Lagrange

Image

Contrat de génération : Quels effets sur l’emploi des jeunes ?

Crédit photo Nicolas Lagrange

À l’heure où de nouveaux accords « contrat de génération » prolongent les premiers textes conclus fin 2013, les résultats en termes d’embauches des jeunes sont décevants, tout comme les perspectives affichées. Le bilan qualitatif, lui, est plus contrasté. De nombreuses entreprises ont formalisé, amélioré voire institué des pratiques d’accueil et d’intégration des nouvelles recrues. Avec plus ou moins de réussite… Musclant parfois aussi l’accompagnement des jeunes vers l’emploi externe.

Atteindre une proportion précise de jeunes parmi les embauches en CDI, intégrer un certain volume d’alternants et accueillir un nombre défini de stagiaires… Ce sont les objectifs quantitatifs le plus fréquemment présents dans les premiers accords « contrat de génération » signés il y a trois ans dans les entreprises de 300 salariés et plus. Lesquelles avaient l’obligation de négocier, sans être éligibles à une aide financière.

Globalement, ces objectifs ont été atteints et bien souvent dépassés, à l’heure des bilans dressés par les entreprises dont l’accord est arrivé ou va arriver à échéance. Un constat qu’il faut cependant relativiser. D’abord, les engagements portaient souvent sur une proportion de jeunes embauchés, plutôt que sur un nombre d’entrées en CDI, par manque de visibilité économique. « Le volume des embauches de jeunes de moins de 30 ans a été décevant », assure ainsi Laurent Jacquel, délégué syndical national SNB/CFE-CGC de Natixis, où l’accord a été prorogé jusqu’en mars 2017. Ensuite, les objectifs fixés étaient souvent déjà atteints voire dépassés à la date de la signature, reflétant la prudence des directions, dépendantes il est vrai de la conjoncture économique et du flux de départs en retraite. La Dares a d’ailleurs confirmé ce manque d’ambition dans une étude publiée en 2014, pointant des engagements relatifs à l’embauche des jeunes « globalement inférieurs aux embauches réalisées au cours des dernières années ».

Enfin, « peu d’entreprises ont joué le jeu, ce sont les jeunes les plus proches de l’emploi qui ont été ciblés, regrette Inès Minin, secrétaire confédérale de la CFDT. Pour aller plus loin, il faudrait réussir à intégrer des décrocheurs ou d’autres profils moins directement opérationnels, et négocier autour de la GPEC ». Ces catégories figuraient rarement dans leurs engagements.

Saisissant contraste dans les entreprises de moins de 300 salariés, où les objectifs du gouvernement n’ont pas du tout été atteints. Dans une configuration très différente, puisqu’elles étaient éligibles à une aide annuelle de 4 000 euros par embauche. Fin juillet 2015, près de 40 000 CDI avaient été signés via le dispositif « contrat de génération », contre 220 000 attendus par le gouvernement, selon le rapport de la Cour des comptes publié en février dernier. De plus, impossible de déterminer si les embauches réalisées étaient de toute façon planifiées, ont pu être anticipées ou si elles relèvent du volontarisme de l’entreprise, en lien avec ses enjeux, sa pyramide des âges notamment. Ce qui n’a pas empêché certaines sociétés de miser fortement sur le dispositif, comme Convers, qui a recruté 31 jeunes en contrat de génération pour un effectif à peine supérieur à 200 salariés (lire Entreprise & Carrières n° 1260).

Engagements prudents

Dans les nouveaux accords conclus ces dernières semaines comme dans les négociations en cours, les engagements en matière d’embauche restent prudents. Ainsi, Michelin conserve son objectif de 30 % de recrutements en CDI parmi les moins de 26 ans, dans le cadre de son accord sur la gestion des emplois et des parcours professionnels signé fin septembre. Idem pour La Poste (lire p. 23) ou pour Airbus, qui vise toujours 5 % d’alternants en 2018 dans son nouvel accord, mais ajoute la mention : « sans jamais tomber sous le seuil de 3,5 % ». Quant à Safran, il souhaite faire un peu mieux dans ses nouveaux objectifs triennaux sur le contrat de génération paraphés le mois dernier, en s’engageant à recruter au moins 5 % d’alternants, soit un point de plus que dans le précédent accord.

En fait, c’est davantage au plan qualitatif, dans les pratiques d’accueil, d’intégration et d’accompagnement que les accords ont parfois pu faire bouger les lignes sur l’emploi des jeunes. Des aspects très rarement renseignés par les entreprises dans leurs bilans du dispositif. Chez Mane, l’accord a été l’occasion de mettre sur pied un parcours d’accueil et d’intégration de trois jours (lire p. 24). Un parcours de plus en plus répandu en entreprise, mais bien souvent réservé aux jeunes en CDI. Michelin l’applique aussi aux alternants depuis plusieurs années et va l’étendre aux stagiaires (pour des stages de trois à six mois), à l’issue du nouvel accord paraphé le mois dernier.

L’accompagnement des jeunes recrues par des tuteurs, parrains ou référents est aussi très présent dans de nombreux textes, un accompagnement tantôt professionnel, tantôt culturel voire les deux à la fois. Paradoxalement, certaines entreprises avaient mis en place des référents pour les alternants et les stagiaires, mais pas pour les CDI. L’accord leur permet de combler cette lacune. STMicroelectronics l’a fait dès 2013, Airbus vient de l’instaurer dans son nouvel accord.

Autre élément de différenciation, la formation des tuteurs, parrains ou référents peut être absente, facultative ou obligatoire, avec parfois une certaine confusion sur leurs missions respectives. « En réalité, la principale difficulté est de mettre en œuvre et de suivre les dispositifs prévus, estime Laurent Jacquel, chez Natixis. Faute d’une impulsion suffisante des RH, souvent débordés par un agenda social très dense, certaines initiatives se déploient peu ou mal, voire pas du tout. C’est le cas, dans notre banque, du tutorat et du référent CDI que l’accord devait mettre en place. » De fait, des bilans annuels sont toujours prévus par les négociateurs, mais ils privilégient les indicateurs chiffrés, et sont quasiment toujours muets sur les étapes, les acteurs et les moyens à mobiliser pour être déclinés correctement. Sans parler de l’évaluation qualitative des principaux dispositifs, absente des textes proposés à la négociation.

Si les partenaires sociaux dans l’entreprise voient généralement ces programmes d’intégration et d’accompagnement comme de réelles avancées, d’autres mettent en garde contre une approche trop prescriptive. « Les process RH rassurent ceux qui les pilotent, mais ne sont pas pertinents dans toutes les situations, considère Olivier de Pembroke, président du Centre des jeunes dirigeants. On peut donner quelques lignes directrices, mais il faut éviter une information exclusivement descendante, favoriser les échanges collectifs entre les équipes et les nouvelles recrues, via des espaces de discussion participatifs avec des outils collaboratifs, pour créer de l’intelligence collective, du lien et de la confiance. » Pour Inès Minin, de la CFDT : « Tout le monde doit effectivement s’efforcer, y compris les équipes syndicales, d’améliorer l’accueil en entreprise des jeunes salariés, alternants, stagiaires, pour mieux comprendre leurs attentes et susciter d’autres types de relations et de management. »

Favoriser l’accès aux jeunes non titularisés

Parallèlement aux initiatives d’intégration des jeunes embauchés, certains accords « contrats de génération » comprennent des mesures pour favoriser l’accès à l’emploi des jeunes non titularisés. Une bourse d’emplois accessibles à tous, par exemple, ou des candidatures d’alternants dorénavant considérées comme des candidatures internes chez Airbus. Au printemps 2016, Michelin a mis sur pied une rencontre des alternants par métier, en présence des recruteurs internes et va étendre la démarche aux stagiaires. À STMicroelectronics, où les volumes de recrutement sont faibles, les jeunes sont également accompagnés vers l’emploi externe (lire p. 26).

Au final, la contribution des accords « contrat de génération » à l’amélioration de l’emploi des jeunes paraît mitigée. Certes, ils ont parfois permis de mieux formaliser les politiques RH à l’égard des jeunes, voire de les généraliser et/ou de les renforcer. Sans pour autant donner l’impression de modifier en profondeur les pratiques des entreprises. « En fait, l’accord structure, donne une impulsion et oblige à se donner les moyens d’avoir des réalisations à la hauteur de ses ambitions, analyse Yves Arnaudo, directeur du développement RH à La Poste. L’accord permet de faire de l’emploi des jeunes une priorité indiscutable pour tous les porteurs du sujet au sein de l’entreprise… ».

N. L.

L’avis des experts

Annie Jolivet économiste au centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)

Les accords contrats de génération incitaient les entreprises à améliorer la gestion des âges et à mieux anticiper les recrutements. Quel bilan peut-on en faire ?

Dans les accords que j’ai pu examiner, il est rare que les enjeux stratégiques soient détaillés et que les actions prévues soient mises en relation avec ces enjeux. En quoi par exemple la politique de recrutement, les modalités de transmission des savoirs professionnels répondent-elles aux tensions sur certains métiers ? Les indicateurs de suivi sont souvent exclusivement quantitatifs. Bien difficile alors de savoir si les accords ont réellement permis de stabiliser les jeunes dans l’emploi, de renouveler certaines compétences-clés.

La généralisation de salariés référents pour accompagner les jeunes embauchés constitue-t-elle une avancée ?

Ce type de dispositif met la nouvelle recrue en face d’une personne censée lui apporter sa connaissance de l’entreprise. Toutefois un référent n’intervient pas forcément dans la formation au travail. Et s’il intervient, la constitution d’un binôme pose de nombreuses questions. Le référent a-t-il été formé à ce rôle ? La formation des novices est-elle adaptable dans sa durée et ses modalités ? La transmission des savoirs professionnels gagne au décloisonnement, à la circulation dans les équipes, à la mise en discussion des façons de faire le travail réel avec différents collègues.

François Sarfati sociologue au centre d’études de l’emploi et du travail (CEET)

Quelles ont été les modifications majeures concernant les conditions d’emploi des jeunes ces dernières années ?

Le profil des jeunes recrutés n’a pas beaucoup évolué. Sur ce point, le contrat de génération ne change pas grand-chose. Il s’agit de jeunes pas trop éloignés de l’emploi, ils ont souvent déjà approché le monde professionnel au cours de stages ou d’emplois courts. Malgré les engagements sociétaux affichés par les entreprises, rares sont celles qui prennent le risque d’embaucher les jeunes les moins assurés et acceptent de les accompagner de manière intensive pour permettre leur socialisation.

Les parcours d’accueil et d’intégration d’un ou plusieurs jours vous paraissent-ils pertinents ?

Il n’est pas nécessaire de consacrer trop de temps à l’accueil. Il n’est pas non plus forcément efficace de trop formaliser les parcours d’intégration. En interrogeant des jeunes salariés, on peut observer que quand l’accueil est trop formalisé, on perd en sincérité. Les processus d’intégration en continu, sur la durée, qui laissent de la souplesse aux acteurs sur le terrain et ménagent des temps d’échanges individuels et collectifs sont plus appréciés par les salariés. Il faut aussi que les pratiques réelles correspondent aux promesses du parcours d’intégration. C’est un défi majeur pour les entreprises !

Propos recueillis par N. L.

Auteur

  • Nicolas Lagrange