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L’interview

Scarlett Salman : « Le coaching des cadres supérieurs vise a apaiser les tensions »

L’interview | publié le : 11.10.2016 | Pauline Rabilloux

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Scarlett Salman : « Le coaching des cadres supérieurs vise a apaiser les tensions »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Dans un contexte de raréfaction des carrières ascendantes, le coaching des hauts potentiels permet parfois d’adoucir les frustrations de ceux qui aspirent à prendre du galon. Il permet aussi de les remotiver au nom de valeurs comme la créativité et l’authenticité de soi.

E & C : Pourquoi est-il devenu nécessaire de gérer les frustrations de carrière des cadres ?

SCARLETT SALMAN : Il ne s’agit que de gérer la frustration de l’encadrement supérieur à qui on avait promis plus ou moins explicitement un poste dans les équipes dirigeantes. Les autres cadres sont censés se débrouiller seuls : à eux de veiller à leur employabilité. Ils sont supposés être “entrepreneurs d’eux-mêmes”. En revanche, pour les personnes identifiées comme hauts potentiels ou pour celles que l’on tient absolument à garder dans l’entreprise en raison de leurs compétences rares ou pointues, la question se pose d’apaiser leurs frustrations lorsque, du fait de la raréfaction des carrières ascendantes ou d’un embouteillage au sommet des organisations, on ne peut les faire accéder aux postes promis.

L’enjeu est éventuellement d’éviter les litiges devant les juridictions prud’homales en cas de départ de l’entreprise mais, plus généralement, d’éviter tout type de retrait sous forme de démission ou simplement de désinvestissement au travail. L’encadrement supérieur est un relais stratégique pour les directions. Il s’agit d’entretenir l’investissement professionnel de ce “salariat de confiance”, de prévenir “la rébellion des cadres”.

En quoi le coaching peut-il s’avérer un outil pertinent sur ce sujet ?

Du point de vue des entreprises, le coaching des cadres supérieurs est un outil recherché, car il offre des solutions individuelles d’apaisement des tensions de frustration sans remettre en cause l’organisation des carrières ou du travail. La démarche revient en quelque sorte à transférer la responsabilité de la promesse non tenue sur le cadre lui-même. Le coaching comme les assessments qu’on lui propose souvent dans la foulée reviennent à mettre l’accent sur ses insuffisances. Si l’entreprise se récuse, ce n’est pas sa faute mais celle du salarié. Parce que, par exemple, il manque de leadership dans la gestion d’équipe, ou de créativité. Cela avec une certaine mauvaise foi, puisque les critères de recrutement et de promotion des cadres supérieurs restent, outre le diplôme initial – primauté des écoles d’ingénieurs, Polytechnique en tête –, l’acceptation de la règle des mobilités de poste et géographique tous les trois ans, l’amplitude horaire de leur disponibilité au travail et l’importance des réseaux informels internes. La méthode peut donc paraître cavalière, voire violente, car il s’agit d’une transgression des règles du jeu implicites. Elle a pourtant de multiples vertus : elle est sur mesure, gratifiante pour l’intéressé vu son coût, relativement discrète et pacificatrice.

Et pour les cadres eux-mêmes ?

Du point de vue du cadre lui-même, les choses sont plus ambiguës. La plupart ont conscience que cela revient pour l’entreprise à botter en touche en prétendant se soucier de leurs compétences. Mais ils y trouvent généralement leur compte au terme du parcours. Le coaching permet aux cadres d’exprimer leur frustration autrement qu’en renâclant à la tâche, ce qui ne ferait qu’entretenir leur malaise au travail. Il s’agit d’une population traditionnellement très investie, dont la loyauté constitue une composante identitaire personnelle et sociale forte. Le coaching leur permet aussi d’acquérir facilement des techniques relationnelles opérationnelles du type PNL, qui satisfont à leur logique rationnelle et leur donnent le sentiment d’être mieux armés pour faire face aux situations humaines compliquées pour lesquelles ils n’ont pas été formés. On leur offre les moyens de se perfectionner, ils auraient mauvaise grâce à ne pas saisir l’occasion de le faire. L’acceptation du coaching peut d’ailleurs s’insérer dans leur approche stratégique du travail et de l’entreprise : ils montrent qu’ils restent des personnes ouvertes au changement, capables de se remettre en question.

Les cadres concernés peuvent éventuellement envisager d’utiliser cette expérience comme un atout supplémentaire dans leur stratégie de carrière. Mais, plus radicalement, le coaching atteint son but en permettant aux cadres de prendre du recul par rapport à leur projet professionnel antérieur. Éduqués depuis toujours pour faire partie des élites, l’intermède coaching les amène à interroger leur “vrai” désir : ont-ils vraiment envie d’assumer la responsabilité de fonctions dirigeantes ? La progression qu’ils envisageaient correspond-elle à leurs centres d’intérêts, à leurs motivations, etc. En cela, tout en contribuant à l’éviction de certaines catégories de cadres – les femmes en particulier – des postes dirigeants, le coaching représente parfois à leurs yeux l’opportunité de mettre en cohérence leurs aspirations personnelles, sociales, familiales et professionnelles. Opportunité d’autant plus précieuse que, pris dans l’action, ils ont rarement l’occasion de se pencher sur le sujet.

Les cadres que j’ai rencontré(e)s dans le contexte de mon étude du sujet me sont apparus dans l’ensemble non dupes mais satisfaits de l’espace de réflexion ainsi offert. Seul regret chez certains, le fait que les coachs quittent rarement leur position d’impartialité pour donner des conseils personnels ou des contacts susceptibles d’enrichir le réseau des coachés. Tout au plus aident-ils le cadre à élaborer un nouveau projet professionnel.

Quelle conclusion pouvez-vous tirer de cette utilisation du coaching ?

Il ne faut pas perdre de vue que proposer aux cadres supérieurs à fort potentiel des séances de coaching en lieu et place de promotions professionnelles s’inscrit dans une transformation du travail qui implique la révision du rôle de l’encadrement. L’autorité du chef n’a pas disparu et le cadre doit savoir en faire preuve, mais, dans le même temps, ses compétences de leader et d’animateur d’équipe sont davantage valorisées qu’elles ne l’étaient par le passé. Surtout, le nombre de postes éventuellement disponibles s’est mécaniquement réduit du fait de la tendance générale aux compressions de personnel et de l’aplatissement des lignes hiérarchiques qui ont accompagné le downsizing.

En revanche, il est évident que les promesses non tenues laissent des traces, même quand elles sont gérées en douceur par le coaching. Les cadres peuvent “rebondir” sur d’autres projets et retrouver une réelle motivation sur d’autres parcours que ceux qu’ils envisageaient, mais leur confiance dans l’entreprise en restera durablement affectée. Leur retrait n’est plus brutal comme il menaçait de l’être s’ils avaient démissionné, s’étaient désinvestis ou avaient, en cas de départ, traîné leur entreprise aux prud’hommes. Cependant, une mise à distance apparaît par rapport à l’entreprise et au travail. Leur confiance dans le système n’est pas anéantie mais ébranlée. D’une certaine manière, s’ils continuent d’être les relais stratégiques du top management, ils ne seront plus son âme damnée. Un distinguo dont il ne faudrait pas négliger les conséquences sociales et organisationnelles.

Scarlett Salman sociologue

Parcours

> Scarlett Salman est maîtresse de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.

> Elle vient de publier un article sur l’utilisation du coaching pour apaiser les frustrations de carrière des cadres dans l’ouvrage collectif Outiller les parcours professionnels (dir. S. Bernard, D. Méda, M. Tallard, Peter Lang, 2016).

Lectures

Les Cadres à l’épreuve du travail, Olivier Cousin, Presses universitaires de Rennes, 2008.

Cadres : la grande rupture, dir. Paul Bouffartigue, La Découverte, 2001.

Auteur

  • Pauline Rabilloux