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Santé globale un nouvel enjeu pour l’entreprise

Prévention | publié le : 27.09.2016 | Virginie Leblanc

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Santé globale un nouvel enjeu pour l’entreprise

Crédit photo Virginie Leblanc

Les entreprises n’hésitent plus à proposer à leurs salariés des programmes qui englobent le champ de la santé individuelle et des équilibres de vie, et non plus seulement celui de la santé au poste de travail. Ces programmes de santé globale venus du Québec répondent à leur souhait de maintenir leurs troupes impliquées et en bonne santé, pour plus longtemps. Et aussi à l’enjeu majeur de l’absentéisme. Une tendance de fond qui n’en est qu’à ses débuts.

Allier performance des entreprises et bien-être des salariés ? Avec un retour sur investissement de 1,5 dollar à 3,80 dollars par dollar investi(1), pourquoi s’en priver ? C’est ce qui explique la percée, en France, des programmes de santé globale venus du Québec. « L’enjeu est de beaucoup mieux articuler des approches jusqu’ici totalement séparées : la santé au travail – qui demeure trop centrée sur les risques professionnels classiques –, avec la préservation du capital santé des personnes – ce qui recoupe des préoccupations de santé publique », explique Thierry Rochefort, professeur associé à l’IAE de Lyon, directeur du DU management de la qualité de vie au travail et santé.

La norme Entreprises en santé, née en 2008 au Québec (lire p. 22), conduit les entreprises à agir sur quatre sphères d’activités reconnues pour avoir une incidence notable sur la santé des salariés : les habitudes de vie (nutrition et alimentation, activité physique, arrêt du tabagisme, gestion du stress, etc.) ; l’équilibre travail-vie personnelle (horaires flexibles, télétravail, etc.) ; l’environnement de travail (contrôle du bruit, ergonomie, etc.) ; les pratiques de gestion et modalités d’organisation du travail (formation des cadres, interventions favorisant la reconnaissance, etc.).

« Nous travaillons sur les enjeux de la “non-santé” en entreprise. Nous ne sommes pas encore malades mais, si on ne change rien, on risque de le devenir. Les risques de maladies psychiques et physiques sont en augmentation partout. Au Québec, nous avons réfléchi à la façon de limiter ces impacts de la non-santé, qui ont des incidences sur la productivité des entreprises », rappelle Marie-Claude Pelletier(2), présidente du groupe Levia, spécialisé dans la stratégie, le développement et les partenariats pour la santé, et ex-dirigeante du Groupe entreprises en santé.

Limiter les impacts de la “non-santé”

Plusieurs initiatives s’inspirent de cette approche (lire l’encadré ci-contre). À commencer par l’Afnor : Afnor Certification et Afnor Compétences ont conclu en 2015 un partenariat avec le Québec et le Groupe entreprises en santé et font la promotion de la démarche. « Nous avons lancé des formations et des certifications de compétences sur le sujet. Et nous avons aussi réalisé un travail d’adaptation au contexte français », affirme Laurence Breton-Kueny, DRH du groupe Afnor. Plusieurs entreprises avaient d’ailleurs expérimenté l’approche (lire Entreprises & Carrières n° 1189) et continuent de se l’approprier. C’est le cas de Finsa France, entreprise de fabrication de panneaux de bois (Landes), dont les salariés sont impliqués dans de multiples initiatives en faveur de leur santé, mais aussi dans des actions d’amélioration de leurs conditions de travail (lire p. 25).

La culture du “take care”, revendiquée par l’enseigne Botanic, spécialisée dans la jardinerie naturelle, « fait entrer chacun dans un cercle vertueux de la reconnaissance : en prenant soin de soi, on est en meilleure santé, donc on travaille mieux, on est plus présent et les clients le ressentent. Il y a un retour sur investissement à la fois pour soi-même et pour l’entreprise », selon Valérie Cotro, la DRH (lire p. 24).

Liens entre santé et performance

Par ailleurs, les organismes de complémentaire santé sont en première ligne pour proposer ce type de démarches, et les cabinets de conseil RH ne sont pas en reste (lire l’interview p. 26 et l’encadré ci-contre). Il faut dire que le contexte est favorable. Selon une étude de l’observatoire d’Harmonie Mutuelle diffusée fin 2015, 80 % des salariés et 82 % des dirigeants estiment que l’entreprise doit contribuer à la bonne santé des salariés. De son côté, le baromètre santé et bien-être au travail de Malakoff Médéric montre les liens entre santé et qualité de vie des salariés et performance économique et sociale des entreprises.

De plus, « les évolutions réglementaires créent une contrainte externe, la population active vieillit et les changements sociétaux font que le besoin de santé de la part des salariés est plus fort, observe Anne-Sophie Godon, directrice innovation Malakoff Médéric. Par ailleurs, les entreprises font face à une augmentation de l’absentéisme et du présentéisme. Nous sommes partis du postulat suivant : si l’on s’intéressait plus au bien-être et à la santé, on répondrait aux attentes des salariés français tout en créant un levier de performance pour les entreprises. Aujourd’hui, c’est aussi pour nous, organisme de protection sociale, un moyen d’agir sur la hausse des cotisations santé des entreprises et des salariés. » Depuis la généralisation de la complémentaire santé, les entreprises et les branches vont disposer d’une contribution de 2 % sur les cotisations destinée notamment à la prévention.

Croisement des priorités

Quels sont les points communs à ces approches de “santé globale” ? L’engagement des directions, la réalisation d’un diagnostic, la constitution d’un comité de pilotage pluridisciplinaire qui construira les actions autour des priorités dégagées par les salariés en les croisant avec celles de l’entreprise et ses ressources, puis l’évaluation des effets. « Nous avons coconstruit et participé à la mise en œuvre du programme d’Apicil, Ambition Santé, dans la société Aldes Aéraulique, indique Étienne Forcioli, président du cabinet de conseil Plein Sens. Un indice de santé globale a été élaboré, fondé sur une enquête ad hoc auprès des salariés. Les résultats de l’entreprise ont ensuite été comparés à des indicateurs de santé publique. » Les demandes d’amélioration avaient porté sur trois sujets : le bruit, le travail sur écran et la température ambiante, auxquelles s’étaient ajoutées diverses préoccupations : dépistage et mesures de prévention sur le risque auditif, le cholestérol et le diabète, etc. (lire Entreprise & Carrières n° 1244).

« Dans la phase de suivi du plan d’actions pour la santé globale, en tant que responsable du comité “santé mieux-être”, j’y travaille avec deux membres du CHSCT, deux représentants au CE, une responsable des RH, l’infirmière et le médecin du travail », indique Laurence Breton-Kueny. Le groupe Afnor est à l’origine de multiples initiatives : bilans de santé, électrocardiogrammes, tests visuels et auditifs, mesures du poids et de la taille lors de la visite médicale, conférences sur le sommeil, sur l’alimentation, une restauration de qualité à bon prix, places en crèches, programmes d’intégration des managers, management de la santé… et, à l’automne, d’autres actions de prévention sont prévues sur les risques cardiovasculaires et sur le diagnostic-forme des salariés volontaires.

Les résultats ? « Malgré un contexte économique français morose, nous obtenons des résultats positifs et une performance sociale évaluée dans notre baromètre 2016 », estime Laurence Breton-Kueny.

Inciter à l’usage

Une question demeure, car tous les services proposés aux salariés ne sont pas forcément utilisés. À cet égard, Malakoff Médéric entend « lever les freins à l’usage, afin que tous les salariés utilisent ces services, et pas uniquement ceux qui sont les plus sensibilisés et les plus convaincus de l’importance de la prévention », reconnaît Anne-Sophie Godon. Le groupe de protection sociale va même plus loin pour inciter ses entreprises clientes à faire des efforts de prévention : « l’engagement pris par l’entreprise à mettre en place ces services a un impact sur son contrat. »

Qu’en est-il si une personne ne souhaite pas adhérer aux pratiques vertueuses proposées ? Agnès-Aublet Cuvelier, responsable du département Homme au travail de l’INRS, pointe « un risque de culpabilisation des salariés, et le danger potentiel de tomber dans des formes d’injonctions paradoxales en prescrivant des comportements ne pouvant pas être adoptés par certains du fait de leur métier ou de leur maladie ».

Mais, pour Agnès Aublet-Cuvelier, comme pour de nombreux autres experts de la santé au travail et les syndicalistes, le principal point de vigilance à l’égard des programmes de santé globale concerne la place accordée au sujet de l’organisation du travail.

Les questions organisationnelles

« Avec ces propositions de programmes de santé globale, on se retrouve devant le même phénomène qu’il y a quelques années sur le sujet du stress : le risque est de considérer que les problèmes sont liés aux comportements personnels, et de ne pas aborder les questions organisationnelles, prévient Hervé Lanouzière, directeur général de l’Anact. Le vrai sujet reste le travail, pas sa périphérie. À cet égard, l’intensification de la charge de travail et le droit à la déconnexion sont des thèmes prioritaires. » Selon lui, la santé globale peut être un volet d’une politique, à condition de ne pas esquiver l’organisation du travail.

Présent au Québec cette année pour le congrès de la santé au travail, Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT en charge de la qualité de vie au travail, fait part d’un sentiment mitigé : « Les promoteurs de la norme Entreprise en santé ne parlaient pas du pilier gestionnaire, et ils ne prononcent pas le mot dialogue social. C’est gênant pour moi. Si on veut transposer ce concept, on ne peut pas ignorer le modèle français, avertit le syndicaliste. Il y a chez nous une forme de pudeur à aborder les sujets de vie privée, qui n’existe pas en Amérique du Nord, et la relation à l’entreprise n’y est pas la même. Et, dans notre système, si un risque relève de la santé au travail, c’est l’entreprise qui paie, et s’il relève de la santé publique, c’est la Sécurité sociale. »

Autre limite soulignée par Martine Keryer, secrétaire nationale confédérale CFE-CGC en charge de la santé au travail et du handicap et médecin du travail : la liberté individuelle. « Avec tous les outils de santé connectés, les salariés ne sont pas assez vigilants », estime-t-elle.

Effets à court terme

De son côté, Jean-Pierre Brun, professeur titulaire de management à l’université Laval (Québec) et consultant associé au cabinet conseil Empreinte Humaine, spécialisé dans la qualité de vie au travail et la prévention des risques psychosociaux, souligne les limites des résultats de ces programmes, avancés par leurs promoteurs : « Ce sont des effets à très court terme sur le bien-être individuel, des éléments de santé personnelle, cela ne fait pas de mal, mais ça ne dure pas. Quand les consultants disent que ça marche et que ça augmente la productivité, je leur demande où sont leurs sources scientifiques, indépendantes. Il n’y en a pas. Ils sont juges et partie », tranche-t-il.

Études d’impact

Actuellement, une étude est en cours au Canada afin d’évaluer la norme Entreprise en santé (lire l’encadré ci-contre). En France, dans le cadre de la chaire lancée par Apicil avec l’EM Lyon, des travaux visent à démontrer les effets des dispositifs de santé globale sur la performance de l’entreprise, tels que proposés par l’assureur. « Dans le cadre de la chaire Entreprises et santé créée avec le Cnam, notre volonté est non seulement de repérer les études d’impact ou de retour sur investissement existant dans le monde, mais aussi d’en mener d’autres pour démontrer qu’investir en prévention, c’est rentable, affirme Anne-Sophie Godon. Nous avons par ailleurs initié un travail visant à évaluer la satisfaction et l’efficacité des services proposés par Malakoff Médéric. » Nul doute que ces études intéresseront les entreprises. V. L.

Santé globale : des offres d’accompagnement multiples

Outre l’initiative portée par Afnor Certification et Afnor Compétences, visant à promouvoir la norme québécoise Entreprise en santé, de nombreux acteurs portent des démarches proches.

Malakoff Médéric développe la démarche de conseil et d’accompagnement “Entreprise territoire de santé”, qui intègre toute une variété de services aux garanties de santé et de prévoyance (baromètre santé et bien-être, tableau de bord absentéisme, conciergerie d’entreprise, Vigisanté – coaching santé personnalisé, etc.) et s’adresse tant aux entreprises qu’aux branches professionnelles.

De son côté, Apicil propose à travers “Ambition santé” « plusieurs programmes selon le budget et la maturité des entreprises », indique Aurélie Blanchet, à la direction de l’offre de l’assureur. Le plus complet est bâti sur mesure et comprend un accompagnement sur trois ans : diagnostic, aide à la construction d’un plan d’actions puis mesure des progrès réalisés sur des champs d’intervention concernant la santé psychique, physique, le travail, la satisfaction au travail.

Harmonie Mutuelle cible quatre piliers dans son offre de santé globale “la santé gagne l’entreprise” : la prévention des risques professionnels et l’employabilité, l’hygiène de vie, l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, l’accompagnement dans la démarche de prévention avec des outils pour établir un diagnostic précis et des indicateurs de pilotage.

En 2015, la société d’intermédiation à distance Dom Plus – créée en 2000 au Canada –, s’est rapprochée de Solareh Canada, qui propose des programmes d’aide aux salariés et aux entreprises par le biais de contrats collectifs de personnes. Leur offre de services comprend des actions de promotion de la santé tendant à agir sur les choix personnels des salariés face à des comportements à risque, des actions de prise en main pour la santé et le mieux-être (parcours d’accompagnement des managers, accompagnement des aidants, accompagnement des situations traumatiques…) et un module d’élaboration d’un plan de prévention santé. Ces offres sont portées par les marques Domplus “Priorité à la personne” et Solareh Canada “Expert en capital humain”.

Psya, cabinet de conseil spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux, a racheté la société Deux Points Cinq, qui avait introduit en France le programme canadien “Ma santé je m’en occupe”. Célia Badet, aujourd’hui directrice régionale Rhône-Alpes-Auvergne de Psya, avait importé ce programme en France, et souligne la complémentarité de cette alliance : « Avec Psya, nous avons abordé le sujet de la prévention par le prisme des risques et, d’un point de vue réglementaire, autour de la santé psychologique. Avec le mouvement de la QVT, il nous a paru nécessaire d’élargir notre périmètre d’intervention vers la notion d’équilibre de vie au sens large. Aujourd’hui, nous sommes en mesure d’introduire le sujet des habitudes de vie via un questionnaire générant des diagnostics individuels et un portrait collectif de l’entreprise. » En bref, la sphère d’intervention des entreprises recoupe trois axes : les RPS, la qualité de vie au travail, et la qualité de vie.

Une étude en cours sur la norme Entreprise en santé

Hélène Sultan-Taïeb, professeure au département d’organisation et ressources humaines à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), économiste et spécialiste en évaluation en santé au travail, codirige une équipe de chercheurs dont la finalité est d’évaluer les interventions en lien avec la norme Entreprise en santé. Ce projet, financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), comporte plusieurs objectifs.

« Nous analysons les interventions mises en œuvre dans le cadre de la norme dans les dix entreprises publiques et privées de notre échantillon, afin d’établir si ces interventions répondent aux besoins identifiés dans un diagnostic préalablement établi par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) », précise Hélène Sultan-Taïeb. Ensuite, les chercheurs entendent évaluer le processus d’implantation de la norme. Par ailleurs, un questionnaire quantitatif est administré auprès des salariés et des managers par l’INSPQ, et des entretiens qualitatifs sont également menés.

« Après ces étapes seulement, il sera possible d’obtenir une première mesure des effets sur la santé et sur l’environnement de travail, poursuit la professeure. Et une évaluation coût-bénéfice, sera réalisée en comparant le coût de l’intervention et les résultats, par exemple la diminution de l’absentéisme ou du présentéisme. »

Les résultats sur les effets ne sont pas encore disponibles, « mais nous avons d’ores et déjà observé que les interventions sont principalement centrées sur les habitudes de vie, et touchent plus rarement les sphères des contraintes psychosociales », indique Hélène Sultan-Taïeb.

(1) Compilation de données du Canada par le Groupe entreprises en santé.

(2) Laurence Breton-Kueny, Hélène Coulombeix, et Marie-Claude Pelletier sont co-auteures de Hygiène de vie et bien-être au travail, 100 questions pour comprendre et agir, Afnor Éditions, 2016.

Auteur

  • Virginie Leblanc