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Actionnariat salarié : Comment font les entreprises non cotées ?

L’enquête | publié le : 13.09.2016 | Hélène Truffaut

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Actionnariat salarié : Comment font les entreprises non cotées ?

Crédit photo Hélène Truffaut

Alignement des intérêts de l’entreprise et des salariés, fidélisation des équipes, amélioration du package de rémunération, etc. : en théorie, c’est un système vertueux qui fait consensus. Dans les faits, l’actionnariat salarié non coté reste confidentiel. Certes, les freins sont nombreux. Mais pas insurmontables, si l’on en croit les employeurs qui ont sauté le pas… et qui ne le regrettent pas.

Non, l’actionnariat salarié en France n’est pas l’apanage des grandes entreprises cotées – dont on peut, au passage, souligner la performance dans ce domaine au regard de leurs homologues européennes(1). Lorsqu’on parle de celles dont les titres ne sont pas négociables sur un marché réglementé, c’est le groupe Auchan (famille Mulliez) qui est immanquablement cité en exemple. Il faut dire que ce pionnier, qui a mis en place son actionnariat salarié en France dès 1977 via le fonds commun de placement Valauchan, compte aujourd’hui quelque 163 000 collaborateurs actionnaires dans neuf pays détenant 10 % du capital.

Mais qui sont les autres “pratiquants” et combien sont-ils ? Eres, société de conseil et de gestion en épargne salariale et actionnariat salarié, et le cabinet de conseil, d’audit et d’expertise comptable BDO ont levé le voile en mars dernier en présentant la première étude(2) sur le sujet, réalisée auprès de 700 entreprises non cotées (lire Entreprise & Carrières n° 1280). Objectifs : connaître le taux d’équipement, identifier les freins et les leviers, et comprendre les motivations de celles qui ont ouvert leur capital à leurs salariés.

Les résultats étonnent : 80 % des PME interrogées voient en effet dans l’actionnariat salarié « une bonne chose ». Mais 4 % seulement sont passées à l’acte. Avec tout de même, dans 40 % des cas, un dispositif ouvert à plus de 50 % des collaborateurs. « Nous ne nous attendions pas à ce décalage entre l’équipement, que nous pensions plus important, et l’image positive qu’ont les entreprises de cette forme de participation », reconnaît Olivier de Fontenay, associé fondateur d’Eres. D’autant que 85 % des employeurs ayant mis en place une politique d’actionnariat salarié s’en disent satisfaits.

Fidélisation et motivation

Comme dans le “coté”, les motivations citées dans l’étude ont clairement une orientation RH : implication des salariés dans le fonctionnement de l’entreprise, fidélisation et motivation des troupes, amélioration du package de rémunération, renforcement de l’attractivité auprès des candidats à l’embauche (très difficiles à séduire lorsqu’ils sont eux-mêmes issus de grands groupes). « En alignant les intérêts des salariés et ceux de l’entreprise, on crée une plus grande cohésion », assure Loïc Desmouceaux, délégué général de la Fédération française des associations d’actionnaires salariés et anciens salariés (FAS).

Stabilité de l’actionnariat

Mais d’autres facteurs peuvent intervenir dans la décision. Pour le laboratoire pharmaceutique Pierre Fabre (13 000 collaborateurs dans le monde), il s’agissait aussi d’anticiper des difficultés de succession. Son dispositif, le plan Ruscus, a été lancé il y a dix ans : « Le grand intérêt de la démarche est d’avoir un actionnariat stable [au côté de la fondation Pierre Fabre, premier actionnaire, NDLR] tout en gardant son indépendance, soutient Christophe Latouche, président de l’association des actionnaires salariés de Pierre Fabre. Les collaborateurs sont associés au bon développement de la société et c’est devenu un élément de notre culture d’entreprise : nous appartenons, en quelque sorte, à la même famille. »

Le laboratoire, qui fait une opération tous les ans, affiche un taux d’actionnariat salarié de 75 % dans le monde – 90 % en excluant les pays où il n’est pas mis en place. Et les salariés sont le 2e actionnaire, avec 8 % du capital. « Sur dix ans, un ouvrier peut capitaliser une année de salaire », affirme Christophe Latouche. Qui reconnaît à l’actionnariat salarié des avantages connexes : « Indirectement, cela participe à la stabilité sociale d’une entreprise. L’actionnariat salarié peut aussi rassurer des partenaires économiques et permettre d’attirer des talents. »

Chez le bailleur social Polylogis (1 250 collaborateurs, 75 500 logements gérés), la logique est différente : « Notre dispositif est un produit d’appel pour l’épargne salariale que nous souhaitons développer », explique Pascal Graff, président d’Apaslog, l’association qui réunit les actionnaires salariés du groupe et qui siège au conseil de surveillance de la maison mère LogiRep. « 70 % de notre personnel occupe en effet des postes de gardien ou d’employé d’immeuble et cette population a des moyens limités pour épargner. Nous proposons, à travers un FCPE dédié, un mécanisme intéressant avec un investissement plancher de 160 euros abondé à 100 %, ce qui permet de diminuer le risque. » 5 % du capital est aujourd’hui aux mains de quelque 300 actionnaires salariés de Polylogis.

Ce qui est sûr, c’est que le déploiement d’un tel dispositif implique de présenter l’entreprise de manière inédite aux salariés : « On leur parle, comme à des investisseurs, de développement, de marges, de la valeur de l’entreprise – qui est un sujet véritablement tabou. Il arrive même, à cette occasion, que certains découvrent une activité dont ils n’avaient pas connaissance », commente Olivier de Fontenay, d’Eres. Une transparence qui peut être rédhibitoire…

Problèmes de confidentialité

L’étude BDO-Eres montre du reste que les premiers freins au développement de l’actionnariat salarié sont liés à d’éventuels problèmes de confidentialité (24 % des répondants non équipés), de dilution du pouvoir et de la gouvernance de l’entreprise (23 %) – de fait, l’actionnaire salarié en direct a le droit de participer et de voter aux assemblées générales –, et de transmission de l’entreprise (23 %). « Il peut y avoir des résistances d’ordre sociologique ou culturel dans ces PME, qui sont souvent des sociétés à capitaux familiaux, parfois réticentes à ouvrir leur capital aux salariés », reconnaît Loïc Desmouceaux, de la FAS.

Mais les entreprises interrogées pointent aussi la complexité d’une telle opération, qui comporte, il est vrai, deux contraintes majeures. La première étant de fixer de manière objective la valeur de l’action. « L’évaluation est réalisée par un expert indépendant : expert-comptable, commissaire aux comptes, cabinet d’audit… sur le fondement d’une méthode multicritère. Celle-ci peut tenir compte des transactions récentes sur des sociétés ayant des caractéristiques comparables et inclure des critères intrinsèquement liés à la performance financière de l’entreprise », détaille Bruno Érard, avocat fiscaliste membre du GIE Capital Ingenium. « Il s’agit d’être au plus près de la valeur de marché en respectant un principe d’équité. Mais l’approche pourra être différente selon l’activité de l’entreprise et la part plus ou moins importante de capital qui sera ouverte aux salariés. C’est une alchimie assez complexe », convient-il.L’action sera réévaluée chaque année en application de la méthode retenue.

Liquidité non garantie

Second écueil à surmonter : la liquidité des actions : « Il faut trouver un système pour que les salariés puissent les vendre. La solution du FCPE, par exemple, garantit cette liquidité, le fonds s’engageant à racheter les actions au prix de l’expertise », avance Olivier de Fontenay. Mais cette solution n’est pas accessible à tous. Autant de freins qui expliquent en partie le faible développement de l’actionnariat salarié dans le non-coté. Loïc Desmouceaux en convient : « Il n’y a pas d’actionnariat salarié sans une double volonté des chefs d’entreprise et des salariés eux-mêmes. » Car, pour ces derniers, il y a toujours un risque – surtout lorsqu’ils sont dans une entreprise encore jeune –, même si les mécanismes de décote et d’abondement permettent largement de l’amortir.

Bref, il faut y croire. Selon l’étude BDO-Eres, 5 % des PME interrogées ont l’intention de mettre en place un dispositif d’actionnariat salarié au cours des trois prochaines années. Mais pour y croire, il faut d’abord y réfléchir. Or, et c’est une autre surprise de cette étude, 35 % des entreprises non équipées n’ont même pas envisagé cette possibilité !

Comment les entreprises tentées ont-elles sauté le pas ? Réponse dans cette enquête avec Armor, spécialiste des consommables d’impression (p. 23), l’agence de voyages d’affaires Frequent Flyer Travel Paris (p. 25) et l’éditeur de logiciels Legisway (p. 24). Avec une petite incursion en territoire américain, où l’actionnariat salarié cartonne dans les PME non cotées grâce au dispositif Esop (p. 26).

H. T.

POUR ALLER PLUS LOIN :

Guide 2015-2016 de l’épargne et de l’actionnaire salarié de la FAS, septembre 2015, 16 euros, feuilletable gratuitement sur le site : www.fas.asso.fr.

Les bonnes questions à se poser

Selon Olivier de Fontenay, associé fondateur d’Eres, deux questions essentielles permettent de poser les bases de la réflexion sur la mise en place d’un actionnariat salarié dans une société non cotée : « Veut-on cibler une population en particulier ou bien ouvrir le dispositif à tous les salariés ? Et souhaite-t-on donner ou faire payer les actions ? Ce qui implique une “mécanique” psychologique différente, avec des effets qui ne sont pas les mêmes en termes d’implication des collaborateurs », explique-t-il.

L’entreprise doit ensuite s’interroger sur la dilution de son capital, donc sur la part qu’elle souhaite voir détenue par ses salariés : 2 %, 5 %…

Autre point clé à intégrer dans la réflexion : veut-on proposer une seule opération, par exemple à l’occasion d’un événement particulier, ou veut-on mettre en place un dispositif de souscription récurrent ?

Combien cela va-t-il coûter à l’entreprise ? « Il faut intégrer le coût de l’opération elle-même – incluant le conseil, l’expert, l’avocat, la communication aux salariés –, ainsi que l’éventuel abondement en euros ou en actions gratuites (qui aura une incidence sur la dilution du capital), sans oublier les coûts récurrents du dispositif », liste Olivier de Fontenay.

Se pose également la question de la gouvernance de l’entreprise et de la relation avec les salariés actionnaires, qui se fera en direct lors des assemblées générales ou qui pourra être intermédiée via un FCPE* (doté d’un conseil de surveillance représentant les porteurs de parts et l’entreprise). Une solution onéreuse, moins intéressante en deçà d’un certain nombre de salariés bénéficiaires, ainsi que l’a constaté l’agence de voyages d’affaires Frequent Flyer Travel (lire p. 25).

Le facteur temps peut aussi entrer en ligne de compte : veut-on que les salariés bénéficient tout de suite de l’avantage ou bien faut-il qu’ils restent fidèles à l’entreprise avant de devenir actionnaires ?

« Les réponses à ces questions vont permettre d’établir une “carte d’identité” du dispositif, qui sera mis en œuvre par une société de conseil en lien avec un cabinet d’avocats. Et qui consistera, selon les cas, en l’attribution de quelques actions gratuites à tous les salariés, la création d’une holding regroupant certains managers clés ou encore la création d’un FCPE, avec une décote et un abondement pour favoriser les petites souscriptions », illustre-t-il.

Toute la difficulté consiste à simuler les effets des mécanismes pouvant correspondre aux objectifs fixés, compte tenu de leurs avantages fiscaux et sociaux. Et de voir dans quels cas le salarié actionnaire pourrait gagner ou perdre de l’argent, afin d’ajuster au mieux tous les paramètres.

Évidemment, l’opération se corse à l’international : « 300 euros d’abondement n’ont pas le même poids en France et au Vietnam, et les taxes sont fonction de chaque pays, pointe Olivier de Fontenay. Mais on essaie généralement de répliquer les règles françaises, afin que tous les salariés bénéficient des mêmes avantages, souvent par le biais de mécanismes similaires ou approchants. »

Plusieurs options

En dehors des mécanismes particuliers de stock-options et de bons de souscription de parts de créateur d’entreprise (BSPCE), l’actionnariat salarié peut prendre différentes formes : attribution gratuite d’actions (AGA), généralement assortie de conditions de performance et dont la loi Macron a récemment allégé la fiscalité et les modalités d’acquisition ; rachat d’actions existantes auprès des actionnaires majoritaires ; souscription à une augmentation de capital.

L’intégration dans un plan d’épargne entreprise (PEE) permet d’avoir des conditions d’achat plus favorables, via la décote et l’abondement, et de bénéficier des avantages fiscaux et sociaux qui lui sont attachés. « Mais, en dehors de cette enveloppe du PEE, les cessions de titres doivent se faire en valeur vénale, donc sans décote », prévient Bruno Érard, avocat fiscaliste membre du GIE Capital Ingenium.

(1) En moyenne, les salariés (hors dirigeants) du CAC 40 et du Next 80 détiennent respectivement 3,9 % et 1,8 % du capital de leur entreprise, le taux de détention étant de 1,6 % en Europe (source : FEAS-Eres, étude sur l’actionnariat salarié 2015).

(2) Sondage OpinionWay pour BDO France et Eres, mené par téléphone entre novembre 2015 et janvier 2016 auprès de 700 entreprises, l’échantillon étant pondéré pour être représentatif de l’univers des entreprises françaises de 20 à 1 000 salariés.

* Les fonds communs de placement d’entreprise (FCPE) d’actionnariat salarié sont investis en titres de l’entreprise à plus du tiers de leur actif (article L. 214-165 du Code monétaire et financier). Dans le cas du non-coté, « la préoccupation de limiter le risque d’impossibilité pour des salariés de céder leurs actions a conduit le législateur à imposer – à défaut d’un mécanisme de garantie de rachat – le maintien d’au moins un tiers de l’actif sous forme de titres liquides », précise le Guide 2015-2016 de l’épargne et de l’actionnaire salarié de la FAS.

Auteur

  • Hélène Truffaut