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Conditions de travail : Quand l’égalité hommes-femmes profite à tous

L’enquête | publié le : 30.08.2016 | Violette Queuniet

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Conditions de travail : Quand l’égalité hommes-femmes profite à tous

Crédit photo Violette Queuniet

Les mesures prises en faveur de l’égalité femmes-hommes produisent souvent des effets bénéfiques pour l’ensemble des salariés. Un constat qui conduit de plus en plus d’entreprises à orienter leur politique d’égalité sur la mixité et la qualité de vie au travail.

Quand une entreprise signe un accord relatif à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, celui-ci cible le plus souvent les femmes. Il s’agit de rattraper une situation inégalitaire en termes de rémunération, d’évolution de carrière et parfois d’introduire plus de mixité par le recrutement de femmes dans les secteurs dits “masculins”. Mais quel impact ces mesures en faveur de l’égalité et de la mixité ont-elles sur les hommes ? Plus largement, profitent-elles à l’ensemble des collaborateurs ? Pour Cristina Lunghi, présidente d’Arborus, qui anime le club des entreprises labellisées égalité professionnelle, la réponse est claire : « Toutes les mesures prises en faveur des femmes sont favorables aux hommes. Nous le constatons dans les benchmarks que nous réalisons dans des entreprises du club : ces mesures ont un véritable effet bénéfique sur les conditions de travail de tous. »

Réduction de la pénibilité

L’impact est évident sur la réduction de la pénibilité physique. « L’arrivée de femmes sur certains métiers techniques à EDF a conduit à réduire le poids de la trousse à outils… pour le bénéfice de l’ensemble des ouvriers, des hommes à 85 %. Dans plusieurs entreprises du cartonnage, des améliorations ont été apportées à certaines machines pour faciliter l’utilisation des outils de levage. Là aussi, elles profitent à tous », énumère Cristina Lunghi.

Effet plus inattendu de la mixité, constaté par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) : parce qu’elle conduit à revoir l’organisation du travail, elle peut être un levier pour réduire l’absentéisme, le turnover, le désengagement et donc pour améliorer la performance de l’entreprise(1). Laurent Guillaume, DRH d’Engie Ineo, en est convaincu : « La performance d’une entreprise tient aussi à sa mixité », estime-t-il. L’entreprise est engagée dans une politique volontariste de féminisation qui a des impacts sur la qualité de vie au travail (lire p. 23). L’absence de mixité est problématique dans certains secteurs, comme les services à la personne. Cela a par exemple conduit O2 à lancer une campagne pour recruter des hommes (lire ci-contre) : « Dans certains départements, on n’arrive pas à recruter pour les métiers liés à la dépendance. C’est dramatique. Si l’on recevait aussi des candidatures d’hommes, cela élargirait notre vivier », estime Jean-François Auclair, le DRH.

Xavier Guisse, responsable de la RSE à PSA, évoque quant à lui l’impact sur la qualité des processus RH et de management : « Mettre en place des processus RH et de management garantissant l’égalité de traitement, c’est avoir des processus les plus objectifs possibles, donc éloignés des stéréotypes et fondés sur les compétences. C’est indiscutable et ça profite à tout le monde. » Engagée depuis plus de dix ans dans une politique de mixité et d’égalité entre hommes et femmes (elle a été la première entreprise à recevoir le label égalité Professionnelle en 2005), PSA a été ainsi amenée à supprimer les critères d’âge, qui pénalisaient les femmes, pour accéder à un cycle de formation interne destiné aux hauts potentiels. La mesure a bénéficié aussi à des hommes au parcours atypique. Plus récemment, le groupe a mis en place un programme de mentoring qui était au départ pensé pour les femmes, afin de faciliter leur développement de carrière. Un dispositif devenu mixte aujourd’hui.

Culture du présentéisme

Parmi les domaines d’action le plus souvent mentionnés dans les accords d’égalité professionnelle : l’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. Les mesures prises en ce sens autorisent les hommes à déroger à la culture du présentéisme. Certaines sont plébiscitées. D’abord testé dans le cadre de l’accord égalité professionnelle en 2013, l’accord télétravail de PSA a été ensuite étendu et amélioré dans le cadre du dernier accord social tant il répond aux aspirations de l’ensemble des salariés. « Aujourd’hui, sur plus de 2 000 collaborateurs en télétravail, 70 % sont des hommes et 30 % des femmes. Il concerne un maximum de catégories professionnelles. C’est une des conditions de sa réussite, et nos OS y sont très sensibles », indique Xavier Guisse. Les hommes s’emparent beaucoup moins des mesures favorisant les congés parentaux ou le temps partiel. Chez BETC, entreprise très en pointe sur l’aide à la parentalité (lire p. 24), le généreux congé enfants malades est encore majoritairement pris par les femmes… Concernant le temps partiel, les choses évoluent lentement. DRH de l’entreprise de BTP Charier (1 289 salariés, 500 personnes couvertes par un accord égalité), Michel Mérien observe « une évolution des mentalités » : « Nous comptons aujourd’hui quatre hommes à temps partiel. C’est quelque chose qu’on ne voyait pas il y a dix ans. » Selon lui, c’est la combinaison des garanties de l’accord égalité (non-discrimination des salariés à temps partiel par rapport aux salariés à temps complet) et l’arrivée des jeunes générations qui « autorisent ces nouveaux comportements ».

L’impulsion venant d’en haut, encore faut-il que managers et dirigeants soient eux-mêmes convaincus que prendre un temps partiel n’est pas synonyme de désengagement. C’est le but des cercles Happy Men créés par Antoine de Gabrielli (lire l’interview p. 25), qui rassemblent des hommes cadres souhaitant concilier ambitions professionnelles et investissement dans la sphère privée. Présents chez Engie Ineo, entreprise qui ne compte que 14 % de femmes, ils contribuent à l’évolution des pratiques. Certains hommes cadres, en position d’influence, ont ainsi “osé” demander leur mercredi après-midi. Promoteur de longue date des mesures en faveur de la parentalité, Jérôme Ballarin, président de l’Observatoire de l’équilibre des temps et de la parentalité en entreprise, constate cette évolution dans beaucoup de grands groupes : « Le fait de travailler sur la place des femmes dans l’entreprise amène à changer de regard sur les hommes qui souhaitent s’épanouir aussi bien sur le plan personnel que professionnel. On peut même y voir un levier de performance et de transformation pour les entreprises. On est vraiment dans du gagnant-gagnant. » Autant d’évolutions qui font écho à la montée de la thématique de la qualité de vie au travail (QVT), désormais objet de négociation dans les entreprises. La QVT est d’ailleurs, depuis la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi (dite loi Rebsamen), associée à la négociation sur l’égalité professionnelle. Une bonne chose, pour Florence Chappert, chargée de mission à l’Anact : « Le sujet de l’égalité professionnelle tout seul peut être perçu comme de la discrimination positive. En revanche, lorsqu’on croise les sujets égalité professionnelle, qualité de vie et santé au travail, on s’aperçoit que les entreprises sont beaucoup plus intéressées. Leur objectif devient alors : quelle égalité d’accès des femmes et des hommes à la qualité de vie au travail ? » Une tendance que regrette, pour sa part, Cristina Lunghi, qui craint que « le sujet de l’égalité ne soit dilué dans une thématique plus vaste ».

Tout en établissant un lien entre égalité professionnelle et QVT, le responsable de la RSE à PSA tient à distinguer ces deux thèmes dans la négociation : « La loi donne cette possibilité, mais l’expérience et la maturité des échanges avec les organisations syndicales nous ont amenés à détacher les deux sujets. » Le lien entre égalité professionnelle et QVT amène en tout cas les entreprises à adopter davantage l’angle de la mixité. « On assiste à un changement de paradigme, observe Frédérique Greco, responsable du développement social d’Engie Ineo. On s’applique maintenant à parler plutôt de mixité. L’égalité professionnelle pouvait apparaître comme un sujet exclusivement réservé aux femmes. La notion de mixité implique davantage les hommes et contribue à faire bouger les choses dans l’entreprise. » C’était d’ailleurs la recommandation du rapport intitulé “Parentalité et égalité : comment impliquer les hommes”, rédigé en 2012 par Jérôme Ballarin pour le secrétariat d’État chargé de la famille. « La cause des femmes ne parviendra à son objectif ultime, une totale parité femmes-hommes dans tous les métiers et toutes les fonctions, à rémunération égale, que si les femmes et les hommes arrivent à faire converger leurs intérêts et leurs énergies pour construire une entreprise plus équilibrée », indique-t-il.

Reste que les actions ciblées envers les femmes demeurent nécessaires. Pragmatiques, les entreprises les plus engagées en faveur de la mixité travaillent en amont avec les écoles et les universités pour lutter contre les stéréotypes de genre ; elles cherchent à séduire les femmes dans leurs campagnes de recrutement. C’est une nécessité pour élargir le champ professionnel des femmes, actuellement encore limité à 12 familles de métiers (sur 87 au total). Et pour accélérer la réduction de l’écart de salaire entre hommes et femmes, qui, selon la Dares, demeure encore égal à 18,8 %.

O2, leader des services à la personne, veut recruter des hommes

Ménage, aide aux seniors, garde d’enfants, jardinage… : pour réaliser ces prestations auprès de particuliers, O2 recrute 4 000 à 5 000 personnes par an. Des femmes, dans une écrasante majorité, tant les stéréotypes ont la vie dure.

Depuis plusieurs années, l’entreprise souhaite attirer davantage d’hommes sur ses métiers. Cet objectif figure dans son accord pour l’égalité professionnelle des femmes et des hommes. Et, il y a sept ans, elle a lancé une campagne de communication sensibilisant à la mixité d’assistant ménager.

À cette occasion, elle a créé le site – qui existe toujours – www.homme-de-menage.fr, où il est possible de candidater. « Cela nous a permis d’attirer quelques hommes, mais nous demeurons en déficit structurel », indique Jean-François Auclair, DRH d’O2. De 1 % en 2009, la proportion d’assistants ménagers est passée à 5 % aujourd’hui. O2 n’a pas renouvelé sa campagne mais vérifie (par des testings, notamment), que les candidatures d’hommes ne font pas l’objet de discriminations. « Dans un pays qui connaît le chômage de masse, on ne peut se satisfaire de ne placer que des candidates féminines », observe le DRH. Les responsables d’agence, dûment briefés, doivent faire œuvre de pédagogie auprès des clients, souvent rétifs. Ils y parviennent sur les métiers du ménage et, dans une moindre mesure, d’aide aux seniors. Mais sur les métiers de la garde d’enfants, c’est encore mission quasiment impossible…

1) Guide La mixité dans l’entreprise pour améliorer conditions de travail et performance, éd. Anact, 2011.

Auteur

  • Violette Queuniet