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L’ANLCI est-elle menacée ?

La semaine | publié le : 30.08.2016 | Laurent Gérard

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L’ANLCI est-elle menacée ?

Crédit photo Laurent Gérard

La future Agence de la langue française pour la cohésion sociale devrait intervenir dans la lutte contre l’illettrisme. L’actuelle agence dédiée à cette tâche, l’ANLCI, craint une dilution de cette mission, qu’elle juge très spécifique.

Alors que les Journées nationales d’action de lutte contre l’illettrisme se tiendront dans toute la France du 5 au 10 septembre 2016 avec une rencontre nationale à Lyon les 6 et 7 septembre 2016, la question se pose de savoir de quel outil doit se doter le pays pour lutter au mieux contre l’illettrisme. La très spécialisée Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), qui existe depuis 2001, doit-elle se fondre dans la future Agence de la langue française pour la cohésion sociale (ALFCS), qui aura des missions élargies ?

Le débat est autant technique que politique, mais il est également devenu une affaire de personnalités. Car Manuel Valls a confié une « mission de préfiguration » de cette future agence à Thierry Lepaon, ex-secrétaire général de la CGT, en rupture avec sa centrale syndicale. Dans une lettre de mission adressée le 6 juin, Manuel Valls lui indique qu’il devra rendre son rapport au plus tard le 30 septembre 2016, dans la perspective d’une création de l’agence au 1er janvier 2017.

Cette dernière, « de dimension interministérielle », devra renforcer la cohérence et l’efficacité des dispositifs et des acteurs dans les domaines de la lutte contre l’illettrisme et la maîtrise de la langue française » (lire l’encadré ci-contre). Le Premier ministre demande donc à Thierry Lepaon de lui « proposer les regroupements qui lui semblent cohérents », « d’identifier de manière précise les périmètres des ministères concernés », « d’étudier les modalités administratives, juridiques et financières de fonctionnement et de faire des propositions sur la forme juridique ». Et il lui enjoint d’associer à ces travaux les collectivités territoriales, les partenaires sociaux et l’ANLCI.

Dédramatisation.

L’ANLCI, précisément, se demande si cette nouvelle agence ne viendra pas perturber sa mission en la rendant moins lisible. Elle cite en ce sens la Cour des comptes, qui évoque « le risque de dilution de la question très spécifique de l’illettrisme au sein d’un organisme aux compétences élargies : la communication autour du sujet, et donc sa dédramatisation, étant considérées par tous les acteurs comme un facteur clé de succès de la politique publique ».

Selon la présidente de l’ANLCI, Marie-Thérèse Geffroy, il y a vraiment une différence de nature : « Toutes les personnes en situation d’illettrisme ont été scolarisées en France et, si elles ne maîtrisent plus la lecture, l’écriture et le calcul dans les situations simples de leur vie quotidienne, elles parlent toutes le français. Le problème qu’elles rencontrent n’est pas celui de l’apprentissage d’une langue étrangère. Il s’agit de réacquérir les savoirs fondamentaux. » La présidente s’étonne donc de l’option prise par le Premier ministre, d’autant plus qu’elle dit avoir reçu l’assurance de la présidence de la République « dans un courrier du 12 mai 2016 » que « l’existence de l’ANLCI n’est en aucun cas remise en cause par la création de l’Agence de la langue française ».

Coordination.

« Il faut préserver la méthode de travail de l’ANLCI, affirme Hervé Fernandez, son directeur. Elle coordonne des moyens multiples et fédère des décideurs et acteurs aux sensibilités et responsabilités très différentes : pouvoirs publics nationaux, conseils régionaux, collectivités locales, associations, entreprises, syndicats, bénévoles et salariés. Grâce à cette méthode de travail, l’ANLCI et tous ses partenaires ont permis à plusieurs centaines de milliers d’adultes de réacquérir les bases indispensables qu’ils n’ont pas acquises assez solidement à l’école : le phénomène de l’illettrisme a été réduit de 20 % entre 2004 et 2012 ; 3,1 millions de personnes étaient confrontées à l’illettrisme en 2004 et 2,5 millions en 2012. »

Formations en ligne.

Toujours selon le directeur de l’ANLCI, le nombre de parcours de formation de base des salariés a été multiplié par trois entre 2009 et 2012, celui des agents des collectivités territoriale a été multiplié par 10 entre 2004 et 2015 (10 000 parcours chaque année depuis 2015) grâce à la mobilisation du CNFPT. Par ailleurs, plus de 1 939 parcours de formation en ligne à la détection de l’illettrisme ont été suivis en quatre mois sur la plate-forme e-learning mise à disposition par l’ANLCI en avril 2016 pour les conseillers en évolution professionnelle. Et, depuis son lancement le 8 septembre 2015, le numéro vert Illettrisme Info Service a bénéficié à 1 500 personnes qui ont été orientées vers des solutions de proximité.

La secrétaire d’État chargée de l’Égalité réelle, Ericka Bareigts, devrait participer aux journées nationales, et peut être clarifier la situation, mais elle a déjà estimé qu’il « fallait franchir une nouvelle étape dans la coordination des acteurs et des dispositifs mobilisés pour la maîtrise de la langue française, partout et pour tous ».

Agence de la langue française pour la cohésion sociale : Une large gamme de missions

Selon la lettre de mission adressée à Thierry Lepaon par Manuel Valls, les tâches de cette future agence porteront sur « la lutte contre les situations d’illettrisme » ; « la réforme du langage des administrations, par l’utilisation d’un registre de langue plus accessible aux usagers des services publics » ; « la mise en œuvre du socle de compétences et de connaissances professionnelles, favorables à la promotion dans l’emploi et au retour à l’emploi, ainsi que la mise en place d’actions spécifiques de formation professionnelle » ; « le développement des actions d’apprentissage et d’approfondissement du français pour favoriser l’autonomie des individus et le sentiment d’appartenance à une même nation » ; « le développement des pratiques culturelles favorables à l’appropriation ou la réappropriation de la langue » ; « la prise en compte de la diversité linguistique dans l’Hexagone et l’outre-mer » et « le rayonnement du français dans le monde ».

Cour des comptes : « L’ANLCI est originale et globalement efficace »

« Le GIP ANLCI est une formule originale pour répondre aux besoins d’un secteur très éclaté : c’est la volonté de créer un organisme “de mission” reposant sur une structure légère qui a fait préférer le statut de GIP à celui d’établissement public, estime le relevé d’observations définitives de la Cour des comptes (5e chambre) sur l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (2009-2014) du 31 mars 2016. Globalement efficace, elle pourrait voir son rôle renforcé. » Le constat formulé par la cour concorde avec l’appréciation des parties prenantes de l’ANLCI. Il demeure nécessaire de ne pas sous-estimer les différences d’approche fondamentales qui caractérisent les actions en faveur des différents publics : si les migrants allophones ont essentiellement besoin d’apprendre le français, la complexité de l’illettrisme appelle des réponses pédagogiques spécifiques, qui ne peuvent se résumer à un apprentissage scolaire. « L’ANLCI, qui a indéniablement contribué à la structuration d’une offre et à l’émergence d’une demande de formation en compétences de base, serait la mieux à même de remplir ces missions. La montée en puissance des régions ne remet pas en question l’utilité d’une agence nationale. Il semble nécessaire de réaffirmer que la lutte contre l’illettrisme est une politique nationale dont une partie des aspects est partagée avec les régions, et que la formule du GIP ANLCI est plus que jamais pertinente pour garantir sa cohérence. »

Auteur

  • Laurent Gérard