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Sur le terrain

Retour sur… La démarche d’autonomie dans l’organisation du travail chez Michelin

Sur le terrain | publié le : 19.07.2016 | Mariette Kammerer

En 2013, Michelin a accordé une autonomie d’organisation à 38 équipes de fabrication, avec d’excellents résultats à la clé. L’entreprise expérimente depuis mi-2014 cette démarche d’autonomisation à l’échelle de tout un site de production, dans six pays.

L’autonomie d’organisation a été accordée à 38 équipes de production pendant toute l’année 2013, dans 18 usines Michelin de différents pays. Elle a donné des résultats étonnants : la productivité a été maintenue et la satisfaction au travail s’est améliorée. « Cela nous a montré qu’une équipe d’opérateurs peut gérer seule la production quotidienne, sans intervention d’un supérieur, en faisant même progresser un certain nombre d’indicateurs – perte de matière, produits manquant en aval, etc., rapporte Bertrand Ballarin, directeur des relations sociales du groupe. Et, dans nos enquêtes d’engagement, ces équipes ont donné des résultats de 10 points supérieurs aux autres équipes. »

Une méthode d’essais-erreurs

Pourquoi et comment le groupe a-t-il mis en œuvre cette autonomisation de ses opérateurs de base ? Les premières expériences remontent à la fin des années 1990, alors que Michelin connaît des difficultés. Dans le but de retrouver de la compétitivité, certains pays, dont l’Allemagne et les États-Unis, appliquent de leur propre initiative le concept d’équipes autonomes, en suivant une méthode d’essais-erreurs. « Ces expériences révèlent une motivation et un engagement des salariés tels que le patron du groupe, en visite sur ces sites, souhaite développer cette démarche », explique le DRS. Cette “organisation responsabilisante” est appliquée en France depuis 2006 dans les services de production. « Avant, pour commander un écrou de 8, il fallait remplir trois formulaires et les faire signer par deux chefs, explique Patrick Bovolenta, DSC CFDT. Maintenant, sur le site de Roanne où je travaille, on gère nous-mêmes les commandes de pièces en lien avec les fournisseurs, on est autonomes sur nos demandes de formations et on gère les prises de congés entre collègues. » Le déploiement des équipes autonomes passe au second plan au moment où le groupe se lance dans l’homogénéisation et la standardisation de ses méthodes de production, avec la mise en place du lean dans toutes les usines. Fin 2011, le bilan est contrasté : « On a gagné 30 % de productivité, mais on a perdu l’esprit d’initiative et d’engagement de nos opérateurs, et nos agents de maîtrise étaient amers », relate Bertrand Ballarin. « Le risque d’un encadrement strict est de se priver des compétences des gens, estime le DSC CFDT qui, depuis 2000, milite pour l’autonomie des salariés. Dans mon équipe, il y a de simples mécaniciens qui, en dehors du travail, occupent d’importantes responsabilités associatives. Ils sont tout à fait capables d’autonomie, et l’entreprise a tout à gagner à leur faire confiance. »

C’est suite à ces signaux d’alerte que la direction décide en 2012 de relancer une démarche d’autonomie des équipes. « Nous nous sommes demandé comment donner du pouvoir d’agir à nos opérateurs, tout en conservant notre modèle de production, le Michelin Manufacturing Way, et une organisation scientifique du travail », explique le DRS.

Expérimentation

La direction décide de lancer début 2013 des expérimentations locales dans 18 usines, en Amérique du Nord, en Europe de l’Ouest et en Europe de l’Est, dans différents contextes et types de production. Trente-huit “îlots de fabrication” deviennent des laboratoires de recherche sur l’autonomie et reçoivent les consignes suivantes : prendre un maximum de décisions par vous-même sans recourir à un tiers ; trouver des solutions pour gérer les aléas de production ; et évaluer ce fonctionnement au regard des indicateurs de production et de la satisfaction au travail. Objectif : voir si, sur une année normale de production, la productivité se maintient et la satisfaction augmente. « Or les résultats ont été plus que convaincants sur les deux tableaux, productivité et satisfaction », ajoute Bertrand Ballarin.

Que s’est-il passé dans ces équipes ? « Aucune n’a remis en cause l’architecture globale de la production mais toutes ont adapté les outils standards aux besoins locaux. » Par exemple, ils ont dé-standardisé les tableaux du suivi de production à remplir heure par heure en supprimant certains items, voire en supprimant complètement ce suivi ; ailleurs, les tournées de contrôle de l’agent de maîtrise ont été réalisées par les opérateurs eux-mêmes.

« Dans les équipes autonomes, le rôle du manager de proximité a évolué vers un rôle de coach », souligne Bertrand Ballarin. Au lieu de contrôler la production, il anime des réunions pour discuter des problèmes rencontrés, et aide à améliorer la capacité collective de l’équipe. Pour l’aider à prendre les décisions, il lui transmet des informations sur la chaîne de production, sur les besoins en amont et en aval. « Il a un rôle de régulation des relations interpersonnelles, dans un fonctionnement collectif qui peut induire des phénomènes d’exclusion, ajoute le DRS. Cette nouvelle posture est plutôt valorisante pour le manager de proximité. »

Enthousiasmée par les résultats obtenus fin 2013 avec ces 38 équipes autonomes, la direction a voulu aller plus loin. Ce système fondé sur un maximum d’autonomie de décisions pouvait-il fonctionner à l’échelle d’une usine entière ? Pour le vérifier, une expérimentation a été lancée mi-2014 sur six sites de fabrication, en France, en Allemagne, en Pologne, au Canada, notamment, où toutes les fonctions support sont aussi concernées par l’autonomisation. « Ils ont carte blanche, on ne leur donne pas de marche à suivre, pas de bonnes pratiques, c’est à eux de trouver comment s’organiser », explique Bertrand Ballarin. Une pratique assez “décoiffante” dans la culture industrielle, et déstabilisante pour les managers, admet le DRS. « Lors d’un séminaire, le directeur d’un site pilote en Espagne expliquait par exemple comment des salariés lambda sont associés au recrutement des CDD et des intérimaires », explique le DSC CFDT. La direction du groupe n’a pas fixé d’échéance pour dresser le bilan de ces expérimentations, préférant prendre son temps pour se donner toutes les chances de succès.

Auteur

  • Mariette Kammerer