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L’enquête

L’interview : Christophe Everaere professeur de gestion a l’IAE de Lyon*

L’enquête | L’interview | publié le : 19.07.2016 | É. S.

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L’interview : Christophe Everaere professeur de gestion a l’IAE de Lyon*

Crédit photo É. S.

« Plus les entreprises ont besoin de compétences et de valeur ajoutée, plus la relation salariale doit être stable »

Qu’est-ce qui définit l’emploi atypique ?

Ce sont toutes les formes d’emploi qui sortent du cadre classique du CDI à temps complet exercé dans les locaux de l’employeur. On y trouve les emplois temporaires, mais aussi tout un ensemble de salariés confrontés à une dissociation entre leur employeur de droit et leur employeur de fait. Par exemple, des informaticiens sous-traitants mis à disposition chez le client, des femmes de ménage intervenant dans les locaux des donneurs d’ordre, ou encore les salariés des groupements d’employeurs. Enfin, on peut y ajouter les auto-entrepreneurs auxquels les entreprises peuvent avoir recours sur un mode de relation très flexible de type prestation de services.

L’emploi atypique prend donc des formes diverses, mais qui ont en commun d’être dans un “entre-deux”, les travailleurs étant à la fois dans et hors de l’entreprise, dans une zone grise par ailleurs en expansion. Huit à 10 millions de personnes travaillent hors d’un contrat de travail classique, dont la moitié à temps partiel ; le nombre de CDD correspond à un million de personnes en équivalents temps plein. Et, depuis une quinzaine d’années, le nombre des CDD d’usage et saisonniers – qui n’ont pas de prime de précarité, pas de délai de carence, pas de durée maximale… – a explosé. Les facilités accordées par la loi à certains secteurs pour y recourir et la jurisprudence ont réduit les risques de requalification. Du coup, les entreprises utilisent plus facilement ces formes dérogatoires de CDD.

Mais, pour la majorité des personnes concernées, ces contrats sont générateurs d’incertitude et d’inconfort, surtout si les qualifications sont peu élevées.

Y a-t-il un profil type des salariés en emploi atypique ?

Oui, trois quarts des emplois atypiques sont de faible qualification. Par exemple, 80 % des intérimaires sont ouvriers, dont la moitié n’a aucune qualification. Moins de 10 % des salariés à temps partiel sont des cadres. En fait, plus les entreprises montent en gamme, du point de vue économique, plus elles doivent construire des relations de travail stables. Bien sûr, pour une entreprise, convertir les coûts fixes – typiquement un salarié en CDI à temps plein – en coûts variables, en recourant à des emplois flexibles au plus près de ses besoins, peut sembler séduisant. Cependant, cette stratégie peut aussi s’avérer pénalisante. En effet, la compétence et la réputation d’une entreprise se construisent dans la durée, sur la base de la compétence individuelle et collective de ses salariés. En particulier, la qualité de la coopération entre les personnes est essentielle à sa performance. Et cette qualité implique un minimum de stabilité et de cohésion.

Mais peut-on stabiliser les emplois quand les activités sont par nature discontinues ?

Il existe des solutions, issues bien souvent des acteurs du territoire, qui ont une connaissance fine des besoins et des ressources locales. Ainsi, les groupements d’employeurs (GE) permettent cet équilibre : c’est même la seule forme d’emploi atypique qui génère le consensus de tous les acteurs concernés – salariés, partenaires sociaux, pouvoirs publics. De même, le CDI intérimaire me semble une piste pour allier flexibilité et sécurisation des parcours. Dans un autre registre, on peut citer les coopératives d’activités et d’emploi (CAE), qui salarient des entrepreneurs indépendants pouvant travailler ensemble.

Malheureusement, en France, ces formes vertueuses d’emploi atypique n’ont guère pris d’essor. Les GE restent minoritaires, avec 35 000 salariés ; les coopératives ne rassemblent guère que 6 500 indépendants, et on ne compte que quelques centaines d’entreprises en temps partagé. L’écart avec la grande masse des emplois atypiques précaires reste considérable. Alors qu’en Allemagne, par exemple, la plupart des intérimaires sont en CDI.

* Auteur des Emplois atypiques. Quelles réponses au besoin de flexicurité ?, Éditions Liaisons Sociales, 2014.

Auteur

  • É. S.