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L’enquête

Intermittents du spectacle : Une redéfinition délicate du contrat d’usage

L’enquête | publié le : 19.07.2016 | Catherine Abou El Khair

60 % des salariés du spectacle sont en CDD d’usage. Les neuf branches de la filière tentent, ensemble, de redéfinir les conditions pour y recourir afin de privilégier le recrutement en CDI.

En forte croissance depuis les années 2000, le secteur du spectacle a créé de l’emploi pérenne. En 2015, le nombre de CDI dans la filière avait augmenté de 39 % en quinze ans, représentant ainsi 46 % de la masse salariale du secteur. Sous l’impulsion du gouvernement, qui souhaite en créer davantage, les neuf branches composant la filière spectacle renégocient leurs accords ou conventions collectives depuis septembre 2015. L’une des pistes explorées lors des discussions a été la transformation des contrats à durée déterminée d’usage (CDDU) en CDI, jugée trop « faible » par un récent rapport sur l’intermittence (1). En progression de 20 % depuis seize ans, les CDDU concernent aujourd’hui 60 % des effectifs de la filière spectacle, soit 127 000 salariés.

Pour éviter la multiplication de ces contrats courts, et en particulier lorsqu’ils sont signés par un même employeur (pratique de “permittence”), certaines branches ont introduit des garde-fous. Le secteur de la production audiovisuelle a ainsi défini un seuil déclenchant la requalification en CDI au bout de 180 journées travaillées sur trois ans. Le même principe a été retenu dans la radiodiffusion (110 journées sur quatre années). Dans la production des films d’animation, où les discussions se poursuivent encore, les négociateurs se sont d’ores et déjà mis d’accord sur une indemnité de rupture de collaboration de longue durée.

Des avancées, mais « minimales », selon le secrétaire général de la CGT Spectacle Denis Gravouil, qui craint des contournements de ces seuils. Pour aller plus loin, il compte donc sur les négociations interbranches sur le CDD d’usage, entamées il y a plus d’un mois. « Le cadre juridique est trop flou, estime René Fontanarava, secrétaire national à la Fédération culture et communication (CFDT). Il faut que la profession parvienne à mieux définir son utilisation. »

Plusieurs pistes envisagées

Quel(s) critère(s) retenir pour privilégier le CDI au CDDU sur certains emplois ? Les partenaires sociaux envisagent plusieurs pistes. La CFDT propose de différencier les employeurs en “lieu fixe” tels que les théâtres, des “non-fixes”, tels des compagnies indépendantes. Elle suggère ensuite de dresser les listes de “filières” éligibles au CDDU en fonction du caractère continu ou non des besoins. Pour séparer les activités permanentes des autres, la Fédération des entreprises du spectacle vivant, de la musique, de l’audiovisuel et du cinéma (Fesac) retient, de son côté, le critère de la récurrence de l’emploi. Pour définir les postes temporaires “par nature”, elle suggère la notion d’emploi “intuitu personae” – lié à la compétence spécifique d’un travailleur. La CGT Spectacle, de son côté, critique ces approches : « On ne peut que fonctionner sur un faisceau d’indices : la nature de l’activité, sa durée, les critères de récurrence », estime Denis Gravouil. C’est pourquoi elle appelle à énumérer dans l’accord « les éléments concrets justifiant du caractère par nature temporaire de l’emploi ». Au cœur du contrat d’usage, ces aspects relèvent, pour l’heure, de la seule appréciation du juge.

Financements publics

Mais le chantier demeure difficile. La situation des prestataires techniques, dont le flux d’activité est régulier grâce aux contrats de sous-traitance, n’est pas comparable aux entreprises de production fonctionnant par projet. « Cela fait dix ans que les partenaires sociaux travaillent sur ce sujet. Il n’y aura pas de solution toute faite », estime Jack Aubert, président de la Fesac. Créer des CDI attractifs dans ce secteur suppose de créer des temps pleins, avec une rémunération supérieure aux revenus issus d’un cumul avec les allocations chômage. Or, à mesure que les financements publics se raréfient, la durée des CDD d’usage se restreint. Aussi, la crise fragilise les plus petites structures.

Pour lever ces freins, syndicats et employeurs comptent donc aussi sur le levier économique. L’État lance un fonds pour l’emploi abondé à hauteur de 90 millions d’euros par an, en priorité pour soutenir l’embauche en CDI. Selon les prévisions officielles, 5 000 CDI pourraient ainsi être créés d’ici à trois ans.

(1) “Bâtir un cadre stabilisé et sécurisé pour les intermittents du spectacle”, Hortense Archambault, Jean-Denis Combrexelle, Jean-Patrick Gille, janvier 2015.

Auteur

  • Catherine Abou El Khair