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L’interview

Raphaël Dalmasso : « Le succès des ruptures conventionnelles se révèle un problème RH majeur »

L’interview | publié le : 21.06.2016 | Pauline Rabilloux

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Raphaël Dalmasso : « Le succès des ruptures conventionnelles se révèle un problème RH majeur »

Crédit photo Pauline Rabilloux

La rupture conventionnelle est un filet de sécurité pour le salarié et une solution de flexibilité pour l’entreprise. Pourtant, en gonflant le nombre de chômeurs, elle coûte cher à la collectivité et tend à masquer les vraies raisons pour lesquelles les uns fuient leur emploi et les autres se débarrassent de salariés devenus indésirables. Non sans conséquences pour ceux qui restent.

E & C : La rupture conventionnelle semble l’exemple même du dispositif consensuel entre employeur et salariés. Pourquoi s’est-il imposé ?

Raphaël Dalmasso : Issue de l’accord interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail de 2008, confirmée par la loi du 25 juin de la même année, la rupture conventionnelle homologuée a cette particularité de représenter une solution consensuelle de rupture du contrat de travail. Il s’agissait, notamment pour la CFDT qui a soutenu le projet, de permettre aux salariés en état de souffrance au travail de quitter leur emploi avec le filet de sécurité du chômage que n’assure pas une démission. Pour les employeurs, après l’échec du “contrat nouvelles embauches”, la rupture conventionnelle (RC) apportait une flexibilité supplémentaire dans la gestion des CDI, dont on a tendance d’ailleurs à surestimer l’effet protecteur. Il est aujourd’hui relativement facile de rompre un CDI et l’on peut se demander si la question de sa flexibilisation n’est pas d’arrière-garde ou un faux problème qui en masque d’autres, comme par exemple la question du coût du travail. Quoi qu’il en soit, la rupture conventionnelle correspondait à une attente véritable des partenaires sociaux concernant une rupture rapide, sécurisée parce qu’à la fois non motivée, assurée financièrement et ne donnant lieu qu’à une vérification administrative minimale. L’homologation de la Direccte dans le cas des salariés ordinaires ou de l’inspecteur du travail dans le cas des salariés protégés est acquise dans près de 90 % des cas. Le succès de cette rupture a d’ailleurs été immédiat. Depuis son origine, plus de deux millions ont été signées et le rythme demeure soutenu, puisque cela concerne chaque mois 20 000 à 30 000 salariés.

Outre cette situation “à l’amiable”, qu’est-ce qui pousse à ce type de divorce ?

La rupture conventionnelle semble l’exemple même d’une rupture pacifiée entre les signataires du contrat de travail. Cet “accord à l’amiable” contribue certainement à son succès et en fait une sorte d’idéal : les motifs de l’employeur et ceux du salarié doivent nécessairement converger, faute de quoi le contrat de travail se poursuivra. Ce qui pourtant reste hors champ sont les motifs de la rupture, puisque celle-ci n’a pas à être motivée. Deux études de 2011-2012 – l’une qualitative menée par le Centre d’études de l’emploi auprès de 101 salariés, l’autre quantitative de la Dares conduite auprès de 4 500 salariés – permettent de mieux comprendre ce qui se joue. Dans plus de la moitié des cas, la RC semble demandée par le salarié. Ce qui ne veut pas dire qu’elle est dépourvue d’ambivalence.

Trois cas de figure peuvent se présenter : la démission, la prise d’acte, la résiliation-résolution judiciaire. Dans le premier cas, le salarié avait de toute façon l’intention de partir pour évoluer professionnellement, et la rupture se présente comme une opportunité de le faire dans de meilleures conditions – indemnités de licenciement, droit à indemnité de chômage. Ce type de rupture est cependant, suivant les hypothèses, plus ou moins heureux ou précipité. Dans le second cas, c’est encore le salarié qui prend l’initiative de la RC, mais, selon lui, il le fait pour des raisons imputables à l’employeur, ou bien parce que ses conditions de travail se sont dégradées ou parce qu’il ne se sent pas reconnu dans son travail. Le départ se présente alors souvent comme une urgence. Dans le troisième cas, la rupture conventionnelle vise à exfiltrer le salarié dans une situation de blocage où personne ne veut prendre la responsabilité de la rupture.

Qu’en est-il des ruptures à l’initiative de l’employeur ?

Les raisons pour lesquelles l’entreprise propose une RC peuvent correspondre à une situation de licenciement économique ou de licenciement pour motif personnel – salarié vieillissant, souvent absent, ne donnant pas satisfaction… –, sans que l’employeur ait forcément un motif réel et sérieux. Cependant, que l’initiative émane d’une partie ou de l’autre, le consentement de l’autre partie a été acquis. Cela sécurise la RC : en pratique, il y a très peu de contentieux devant les prud’hommes. Qui plus est, une relative discrétion semble exister dans l’entreprise sur ce type de séparation. Mais c’est peut-être là justement que le bât blesse. La réalité du consentement cache les motivations profondes de l’acceptation de la rupture. Les questions d’initiative et d’adhésion, si elles n’ont aucune pertinence juridique, ont une importance dans la compréhension de l’utilisation de ce dispositif : mettre fin au contrat de travail – choisir la destruction de l’emploi – tend à occulter les raisons de la rupture ayant trait au travail. La rupture conventionnelle fonctionne un peu comme une boîte noire voulue par le législateur – et les signataires de l’ANI –, mais qui peut se faire au détriment de la collectivité, d’une vraie réflexion sur le travail, et même au détriment de l’entreprise pour qui le turnover peut venir à la longue grever la performance.

Si l’on compare les ruptures conventionnelles et celles du contrat de travail qui auraient vraisemblablement eu lieu sans ce dispositif, on constate la présence de ruptures supplémentaires résultant d’une double sécurisation et d’une facilitation. En 2011, l’effet de substitution était de 51 % – 19 points pour les RC-licenciements et 32 pour les démissions au sens large –, et l’effet volume – les ruptures “en plus”, qui n’auraient probablement pas eu lieu hors de la conventionnelle – était de 49 %, 15 points pour les RC-licenciements ; 23 pour les RC-démissions et 11 pour les RC-opportunistes. D’où, évidemment, une incidence à la hausse sur le nombre de demandeurs d’emploi et un surcoût pour la collectivité : la rupture conventionnelle est devenue un puissant mécanisme de destruction des contrats de travail. À ce titre, elle est en partie responsable de l’aggravation du chômage en France. Mais tout aussi inquiétants semblent les effets invisibles : turnover facilité, effet péjoratif sur la performance d’équipes plus instables et sur la motivation des salariés en place. Le contrat de travail, même en CDI, n’est plus synonyme de sécurité ni de loyauté par rapport à l’employeur. Quand les relations de travail se tendent, pouvoir rompre le contrat plutôt que chercher à résoudre les problèmes en interne ne va ni dans le sens de l’amélioration des conditions de travail ni de la motivation au travail. Le succès de la rupture conventionnelle révèle donc un problème RH majeur : des litiges existent dans l’entreprise et ils ne sont pas traités. Comment imaginer que cela soit sans effet sur la performance au long cours des équipes ?

Raphaël Dalmasso professeur de droit privé

Parcours

> Raphaël Dalmasso est maître de conférences en droit à l’université de Lorraine (Isam-IAE), et chercheur associé au Centre d’études de l’emploi.

> Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont, avec Bernard Gomel et Évelyne Serverin, un rapport de recherche intitulé “Le consentement du salarié à la rupture conventionnelle, entre initiative, adhésion et résignation” (CEE, janvier 2016).

Lectures

Le Contrat de travail, D. Méda et É. Serverin, La Découverte, 2008

Le Droit du travail, une technique réversible, G. Lyon-Caen, Dalloz, 1995.

Auteur

  • Pauline Rabilloux