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Le « Placement et soutien individuels » double les chances d’insertion

Zoom | publié le : 31.05.2016 | Florence Roux

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Le « Placement et soutien individuels » double les chances d’insertion

Crédit photo Florence Roux

Le bilan positif d’une démarche nord-américaine d’accueil et de suivi en entreprise de travailleurs atteints de handicaps psychiques donne de nouveaux outils aux DRH. Elle facilite l’insertion professionnelle de ce public fragile.

Bipolarité, schizophrénie, trouble de la concentration… Le handicap psychique fait encore particulièrement peur aux entreprises, qui se sentent démunies face à ces maladies. Mais le bilan de cinq expérimentations(1) menées avec des entreprises ou des collectivités territoriales autour de la méthode nord-américaine IPS pour “Individual placement and support”, autrement dit “Placer et soutenir” en français, donne de nouveaux outils aux employeurs.

Comme le montre l’étude de la sociologue Claire Leroy-Hattala pour la Fondation de France sur ces cinq expérimentations, les structures qui utilisent ce soutien dans l’emploi témoignent de son efficacité. Pour la sociologue, ce soutien vers et dans l’emploi, que certains appellent job coaching, s’avère pertinent pour des personnes qui s’adaptent difficilement au monde du travail du fait de troubles mentaux, de l’humeur ou de la concentration, ou de leur faible estime de soi…, et qui subissent en plus les craintes ou préjugés de l’environnement du travail.

Bernard Pachoud, psychiatre et professeur de psychopathologie de l’université Paris-Diderot(2), confirme que « les premiers résultats observés en France par la sociologue corroborent les études anglo-saxonnes qui montrent que l’emploi accompagné, en particulier inspiré de la méthode IPS, multiplie par deux le taux d’insertion en milieu ordinaire par rapport à d’autres dispositifs. D’abord utilisé aux États-Unis depuis trente ans pour d’autres handicaps, le soutien dans l’emploi est donc très efficace dans le cas du handicap psychique ».

Éric Drouet, directeur d’un magasin Casino à Metey (Haute-Savoie), a accepté de travailler avec Messidor, association gestionnaire d’Ésat pour des handicapés psychiques, qui expérimente le job coaching IPS depuis 2010 et qui vise toujours l’intégration en milieu ordinaire. Le directeur de magasin se déclare prêt, « dès qu’un poste se libère », à recruter la stagiaire de 26 ans qu’il a accueillie en début d’année : « Sans sa coach, je ne l’aurais peut-être pas repérée. Et pourtant, malgré sa grande timidité, elle a une motivation exceptionnelle. Grâce à des réunions régulières tous les trois, avec des objectifs progressifs, elle a gagné en autonomie. Tout le monde s’est détendu et elle s’est bien intégrée. » La coach en question, Karelle Thibault, confirme que « ce dispositif répond aux personnes qui ne souhaitent pas exercer en secteur protégé ou qui n’ont pas de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé [RQTH]. Elles se sentent fragiles, mais veulent travailler. Je suis à leurs côtés, avec l’objectif d’entrer vite dans l’emploi, puis de le pérenniser, en collaboration avec les entreprises ».

À la Communauté d’agglomération d’Annecy, Katty Larrazet, responsable du service hôtelier, a également apprécié l’aide de la job coach pour recruter l’an dernier un jeune cuisinier de 22 ans : « Il a une grande fragilité émotionnelle. Mais la présence de la coach a apaisé le contact. Et elle m’a permis de comprendre la personne dans son ensemble, vie professionnelle et vie privée. L’intégration s’est faite progressivement. L’équipe est attentive. À tout moment, je peux, et lui aussi, appeler la coach. C’est rassurant pour tout le monde. »

Forte disponibilité de l’entreprise

Dans les Bouches-du-Rhône, Matthieu Le-Ny, dirigeant d’Amtech, entreprise installatrice de centrales photovoltaïques, a accueilli récemment un intérimaire handicapé via l’expérimentation marseillaise Working First 13(3). Il fait le constat qu’une telle démarche suppose une forte disponibilité de l’entreprise pour la personne, mais ajoute qu’« on n’a jamais parlé de handicap. Les coachs, très présentes, vont même jusqu’à gérer certaines démarches administratives. On a fait des débriefings réguliers à quatre. C’est rassurant pour un employeur. Après trois ans d’inactivité, la candidat devait se former, mais il avait une énorme envie de travailler ! Et c’était aussi gratifiant d’aider quelqu’un à reprendre confiance ».

Une des particularités de Working First 13 tient dans le fait que les coachs travaillent en binômes « pour éviter un trop fort attachement », remarque l’une d’elles, Sonia Abelanski, « et pour additionner nos compétences, en psychologie, en médiation santé ou en travail social, par exemple », ajoute Lisa Kaizer. Leur priorité porte sur la mobilité. Le suivi peut être très soutenu au départ, ou au besoin. « Il est ainsi arrivé qu’on mette en place un système pour réapprendre à un jeune à se lever le matin, avec SMS, puis coups de fil, puis visites, se rappelle Lisa Kaizer. Notre travail va vraiment dans le détail pour aider la personne à retrouver une vie professionnelle. »

Isabelle Decosse, correspondante de la mission mobilité de la SNCF en Auvergne-Rhône-Alpes, a décidé de solliciter le centre référent de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive (C3R) du centre hospitalier Alpes-Isère, à Grenoble. Ce centre pratique le coaching IPS depuis 2009 pour aider des jeunes porteurs d’un syndrome d’Asperger à trouver un stage ou un premier emploi. Ce programme est mené par Judith Sitruk, elle-même diagnostiquée Asperger, et qui pourtant a longtemps travaillé en entreprise. Elle se dit à la fois attentive « à l’hypersensibilité et au besoin de logique de ces personnes » et soucieuse « de la notion de performance de l’entreprise ». Le besoin d’Isabelle Decosse était d’être accompagnée pour accueillir un jeune alternant en bac pro handicapé. Elle constate que « la coach est extrêmement présente : elle décode pour l’équipe, pour moi et pour le jeune. Et on a vu que ce handicap était compatible avec un environnement de travail, moyennant un soutien ».

Gagner en légitimité

Devant ces résultats positifs, les promoteurs de la démarche aimeraient qu’elle trouve une reconnaissance dans une loi. « Le job coaching doit gagner une légitimité, lance Thierry Brun, directeur de Messidor. Il permet d’accompagner des personnes en milieu ordinaire pour un coût moyen annuel de 3 500 euros par personne. » Muriel Vidalenc, directrice générale de la Fegapei(4), fédération dont 11 associations testent depuis deux ans le soutien dans l’emploi pour différents handicaps, est aussi enthousiaste : « On sent un vrai souffle en ce moment. L’emploi accompagné est efficace : il doit entrer dans le droit commun. »

Rien n’est acté. Ni voté. Cependant, le gouvernement et des associations d’aide au handicap ont planché sur un « projet d’amendement relatif à l’emploi accompagné » dans le cadre de la loi Travail.

IPS Sept principes pour une méthode

Venue des États-Unis et du Canada, la méthode IPS – “Individual placement and support” ou “Placer et soutenir” –, s’appuie sur sept principes :

1. Zéro exclusion : c’est l’envie de travailler de la personne qui déclenche le soutien dans l’emploi, pas le diagnostic ou la prescription.

2. Le but est un emploi stable en milieu ordinaire. Cela favorise l’intégration et l’estime de soi.

3. La recherche d’emploi rapide, sans évaluation préalable. Le projet se construit en confrontant le désir de la personne à la réalité du travail.

4. Le coach extérieur collabore avec l’équipe traitante.

5. Les préférences de la personne priment dans le choix du travail, sur l’intensité du soutien et même sur la décision de révéler, ou non, son handicap.

6. Soutien et suivi sont continus et sans limite dans le temps. Le job coach doit rester disponible, si nécessaire, pour éviter la discontinuité.

7. Des informations sur ses droits sont données à la personne pour qu’elle se détermine.

Soutien durable

Forte de ces principes, la méthode IPS d’emploi accompagné renverse la logique d’aide, explique Bernard Pachoud, psychiatre et professeur de psychopathologie. Au lieu de former quelqu’un avant la prise de poste (train, then place), la personne entre au plus vite dans l’emploi, puis est soutenue de façon durable (place and train). « Cette approche converge avec deux nouveaux concepts en santé mentale : le rétablissement, c’est-à-dire le réengagement dans une vie active et sociale satisfaisante en dépit d’une maladie chronique ; et l’empowerment, c’est-à-dire la restauration d’un pouvoir de décider et d’agir, traduisant le fait que la personne retrouve confiance en soi et le sentiment de contrôle sur sa vie. »

Avec ces bases, le job coach intervient à toutes les étapes de recherche, de prise de poste puis de maintien dans l’emploi. Il s’appuie sur les ressources de la personne pour contrer les difficultés, offre un soutien quasi non-stop, en lien avec l’entreprise. Seule la volonté du bénéficiaire déclenche et interrompt l’action.

(1) Les cinq expériences : Messidor (Rhône Alpes), Prepsy (Paris), C3R du CH Alpes-Isère (Grenoble), Working First 13 (Marseille) Handisup (Rouen).

(2) Les travaux de Bernard Pachoud sur le sujet sont visibles sur www.ep.univ-paris-diderot.fr/recherche/crpms/membres-du-crpms/directeurs-de-recherche/bernard-pachoud/

(3) Programme né de l’association d’Habitat alternatif et social, par l’équipe psychiatrie-Précarité Marss et le centre de réhabilitation de l’hôpital Saint Marguerite-AP-HM)

(4) Fédération nationale des associations gestionnaires de services pour les personnes handicapées et fragiles.

Auteur

  • Florence Roux