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L’enquête

Compte personnel de formation : Un décollage à confirmer

L’enquête | publié le : 31.05.2016 | L. G., Valérie Grasset-Morel

Le nombre de comptes personnels de formation de salariés financés par les Opca augmente nettement sur le premier semestre 2016. Le CPF pâtit toujours d’une image de complexité, mais le chantier de sa fluidification est ouvert.

Plus de 40 000 comptes personnels de formation (CPF) de salariés validés et financés par les Opca, sur les quatre premiers mois de 2016, contre 50 000 pour l’ensemble de 2015 : le CPF semble prendre son envol. Bonne nouvelle supplémentaire, pointée par le Medef : peu de CPF sont assis sur du cofinancement CIF. Le décollage du CPF viendrait donc du fait que les salariés et les entreprises s’en emparent. Et, selon l’organisation patronale, la tendance pourrait se confirmer, car « beaucoup d’accord de branches prévoient des logiques d’abondements financiers ».

Didier Cozin, responsable de l’organisme de formation AFTLV, confirme que « le CPF connaît en 2016 un début de démarrage dans certaines grandes entreprises de plus de 500 salariés, qui s’en servent pour maintenir leur effort de formation. Toutefois, toutes ne sont pas à ce niveau d’appropriation. Les moyennes et petites entreprises se retrouvent sans support financier collectif : elles formeront encore moins qu’avant la réforme ». Selon lui, « avec le DIF, les employeurs étaient interpellés par leurs salariés. Avec le CPF, la plupart des entreprises se désintéressent du développement des compétences ».

C’est aussi la crainte exprimée par Jean-Michel Pottier, négociateur sur la formation à la CGPME : « Le CPF est une idée intéressante. Mais la mise en œuvre débouche sur une usine à gaz, et les heures consommées par des salariés de TPE sont à chercher au microscope. »

Si le nombre de CPF de salariés décolle depuis le début 2016, certains estiment néanmoins que la structure même du CPF reste inadéquate pour beaucoup de salariés qui le découvrent, et ils questionnent cette structure sur quatre points.

1 La logique de liste

« Les listes créent une complexité technocratique, concède Marc Dennery, responsable du cabinet conseil C-Campus. Les entreprises ne s’approprient pas le CPF, ont du mal à le comprendre. Les salariés de même. »

Un avis partagé par Jean-Pierre Willems, spécialiste du droit de la formation : « Les listes n’ont aucun autre effet pratique que de limiter l’accès à la formation, complexifier le dispositif et le rendre inintelligible. Soit toutes les certifications sont accessibles, si l’on garde la certification comme objectif du CPF. Soit on prédéfinit un champ de priorités à hauteur des moyens financiers, mais alors il ne s’agit plus d’un droit pour tous », a-t-il argumenté devant les députés Cherpion et Gille, auteurs d’un rapport sur la mise en place de la réforme.

2 Le lobbying d’éligibilité

« Les listes CPF ont lancé une véritable course à l’échalote, reconnaît Philippe Joffre, responsable du cabinet de conseil Paradoxes, spécialisé dans l’optimisation des financements et politiques de formation. Le cas des formations linguistiques et du CPF est édifiant et symbolique. Après avoir estimé dans un premier temps, durant l’été 2014, que les formations linguistiques ne devaient pas figurer dans les priorités et les listes, elles constituent aujourd’hui plus de 60 % des CPF financés en 2015 pour les salariés ! Tous ces efforts, nouvelles mesures, travaux paritaires… pour recréer le DIF prioritaire ! »

3 L’absence de coïnvestissement

« On ne peut que constater à ce jour l’absence d’accords d’entreprises permettant des logiques d’abondement et de coïnvestissements au service de la performance et de l’employabilité, poursuit Philippe Joffre. Et on peut douter du fait qu’un compte crédité de 24 heures par an permette de construire un projet de formation ou d’évolution professionnelle réaliste et ambitieux. Même si, dans le cadre des réflexions sur le CPA, on va passer à 40 heures par an pour certaines populations prioritaires. Pour que le CPF soit perçu comme un réel pouvoir d’influer sur son évolution professionnelle, il faudrait pouvoir créditer immédiatement les compteurs de 400 à 600 heures, et éventuellement pas pour tout le monde. »

4 La complexité d’usage

« Faire gérer la complexité du CPF par les professionnels, afin d’offrir un usage simple de l’accès à la formation pour les bénéficiaires, est sans doute l’objectif dont la réforme est le plus loin à ce jour, analyse Jean-Pierre Willems, spécialiste du droit de la formation. La démarche reste inaccessible pour nombre de salariés : créer son compte et saisir ses heures de DIF, identifier une certification et comprendre la différence certification-formation ; trouver un organisme ; avoir une offre compatible avec les possibilités de suivi en dehors du temps de travail ; identifier l’Opca auquel doit être adressé la demande financière ; tenir compte de ces plafonds dans le choix de la formation… Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la quasi-totalité des demandes des salariés soient concentrées sur quatre certifications : langues, bureautique, permis, Caces. »

Simplifier

Au final, certains estiment que la solution serait un rapprochement du CPF avec le CIF. « Il faut simplifier, affirme Marc Dennery, car, vu du salarié, le CIF et le CPF, c’est la même chose. On ferait mieux de les fusionner, et d’appliquer les règles d’acceptation des commissions CIF. Ce serait bien plus simple et plus efficace que toutes ces listes. Pour la petite histoire, le CIF avait débuté dans les années 1970 par des listes ; elles ont été abandonnées avec la création des Fongecif. Pourquoi avoir recommencé la même erreur avec le CPF ? »

« L’organisation du CPF est complexe, reconnaît Christian Janin, président (CFDT) du Comité interprofessionnel pour l’emploi et la formation (Copanef). Mais les usagers qui recherchent une formation n’ont accès qu’à une seule liste. Le fait qu’il y ait, derrière, une liste nationale interprofessionnelle, des listes de branches et celles des Coparef n’a pas d’effet sur eux. Les bénéficiaires n’ont pas à connaître les arcanes du système. »

Selon lui, les critiques viennent surtout des organismes de formation qui découvrent que leurs formations ne sont pas éligibles. « Cette sélection de certifications éligibles, que certains jugent trop fermée, répond à la volonté des partenaires sociaux de ne pas faire du CPF un sous-CIF. Cela évite aussi la règle du « premier arrivé, premier servi ». Il faudra bien s’interroger à un moment sur le lobbying pratiqué par certains organismes qui n’ont pas fait le deuil du DIF, au regard de la réalité de ces choix par les titulaires du CPF », ajoute-t-il. « L’urgence absolue », pour le président du Copanef, est de mesurer la montée en charge de ce dispositif pour maintenir ou pas les ajustements Rebsamen de juin 2015(1), et d’analyser les risques de détournements du CPF pointés par le Cnefop (lire Entreprise & Carrières n° 1285)

Un système en tension

De son côté, le Medef reconnaît également que « le CPF est complexe, indéniablement. Mais il ne fait que révéler notamment la complexité de la certification en France. Aujourd’hui, tout le système de formation est en tension. Les avancées sur les logiques de modularisation ou de blocs de compétences n’auraient pas été aussi rapides sans cette réforme ».

Pour l’organisation patronale, l’enjeu est désormais celui de la simplification de l’outil, de l’accrochage définitif des systèmes des Opca à celui de la Caisse des dépôts et consignations, afin de rendre l’ensemble plus fluide. Ce chantier est ouvert, et le processus de réforme est encore en cours dans ce domaine.

Faut-il retirer des certifications ? Le nombre de dossiers acceptés dans une certification doit-il être forcément le critère à retenir pour le CPF ? Faut-il définir des populations particulières bénéficiant d’une modulation par effet de dotation spécifique, comme l’évoque le projet de loi Travail ? Autant de questions que le Medef estime devoir être posées par les acteurs.

(1) Le ministre du Travail de l’époque avait autorisé les Opca à affecter le 0,2 % CPF au financement des périodes de professionnalisation à hauteur de 20 % et au plan de formation des entreprises de 10 à 50 salariés pour 15 %. L’enveloppe réservée à ces ajustements représentait 35 % du 0,2 % CPF.

Auteur

  • L. G., Valérie Grasset-Morel