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Le rendez-vous manqué du compte personnel de prévention

La semaine | publié le : 31.05.2016 | Sabine Germain

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Le rendez-vous manqué du compte personnel de prévention

Crédit photo Sabine Germain

La 5e édition du baromètre de la pénibilité au travail, réalisé par Prévisoft, fait apparaître les limites du compte personnel de prévention : alors que les entreprises les plus exposées semblaient s’être mobilisées, le niveau très élevé des seuils retenus pourrait freiner leur élan.

Le 1er juillet prochain, le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) mis en place le 1er janvier 2015 n’intégrera plus seulement quatre facteurs(1) mais la totalité des dix facteurs(2) d’exposition aux risques. Les entreprises sont-elles prêtes à les prendre en compte, alors qu’elles sont tenues de négocier un accord collectif de prévention dès lors que 50 % de leurs effectifs dépassent le seuil de pénibilité pour au moins l’un des dix facteurs ?

Le 5e baromètre de la prévention de la pénibilité(3), réalisé par le cabinet Prévisoft, filiale d’Atequacy, auprès de 200 entreprises de plus de 50 salariés, fait apparaître les limites du compte personnel de prévention de la pénibilité. Non pas parce que les entreprises ne jouent pas le jeu : au contraire, 75 % d’entre elles se sont dotées des outils nécessaires pour mesurer les conditions de pénibilité. Elles ont ainsi constaté que les trois facteurs d’exposition les plus fréquents sont le bruit, le travail répétitif et les postures pénibles : dans 37 % des entreprises, des salariés sont exposés à un ou plusieurs de ces trois risques au-delà des seuils définis par la loi. Viennent ensuite les manutentions manuelles de charges (dans 33 % des entreprises) et le travail de nuit (32 %) (voir le graphique ci-dessous).

Le frein au développement d’une véritable culture de la prévention se trouve plutôt entre les lignes du décret du 30 décembre 2015(4) fixant les seuils retenus : ils sont extrêmement élevés. A fortiori si l’on tient compte du fait que la mesure de l’exposition au risque doit être faite avec les équipements (individuels ou collectifs) de prévention. Prenons le cas de l’exposition au bruit : le seuil de 81 décibels d’exposition durant au moins 600 heures par an s’entend avec la protection d’un casque ou de bouchons d’oreilles.

Seuils élevés.

« Les seuils retenus sont si élevés que, dans la grande majorité des cas, les opérateurs se trouvent en deçà », observe Clarisse Petit, consultante prévention des risques professionnels à Prévisoft. La preuve : en 2013 et 2014, alors que les entreprises retenaient les seuils leur semblant les plus pertinents, elles étaient 44 % et 48 % à considérer que plus de la moitié de leurs effectifs étaient soumis à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Avec les seuils officiellement retenus, elles ne sont plus que 9 %. « Je crains que cela ne nuise aux stratégies de prévention », regrette la consultante.

Dommage, car les entreprises semblaient s’être réellement mises en mouvement. Notamment dans les secteurs les plus exposés aux risques de pénibilité : dans la construction, 26 % d’entre elles ont déjà finalisé un accord, 5 % sont en cours de négociation, 3 % n’ont pas encore commencé et 66 % ne sont pas concernées ; dans l’industrie manufacturière et extractive, 19 % ont négocié un accord, 15 % sont en cours et 66 % ne sont pas concernées.

Appel aux branches.

Considérant que les branches professionnelles peuvent leur fournir un référentiel facilitant leur démarche, 65 % des entreprises ont sollicité leur branche (et même 84 % dans la construction, où le nombre de PME peu outillées pour mesurer l’exposition de leurs salariés est particulièrement important). Malheureusement, aucune branche n’a, à ce jour, soumis son référentiel pour homologation au Coct (Conseil d’orientation sur les conditions de travail).

« Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont rien fait !, tempère Clarisse Petit. Au contraire, certaines branches sont très avancées. Mais la négociation paritaire n’a pas encore abouti à un accord pouvant être soumis à homologation. » Si l’on se réfère aux attentes des entreprises, et notamment à celles des PME, les branches ont intérêt à mettre les bouchées doubles : « Les employeurs sont effectivement en demande, commente Clarisse Petit. Mais ils souhaitent aussi faire entendre leur voix dans le processus d’élaboration du référentiel. »

Les entreprises vont-elles toutes se soumettre au référentiel de leur branche ? Les avis sont très partagés : 50 % des entreprises interrogées par Prévisoft envisagent de procéder elles-mêmes à l’évaluation des risques de pénibilité auxquels sont soumis leurs salariés ; l’autre moitié souhaite s’inscrire dans une démarche de branche, y compris si le référentiel retenu aboutit à une augmentation de leur cotisation au financement du dispositif pénibilité. « Certaines entreprises ont pris des mesures de prévention susceptibles de réduire leur cotisation additionnelle, explique la consultante. Mais elles pourront opter pour le référentiel de branche par facilité et parce qu’elles auront le sentiment d’être protégées juridiquement. »

Cumul de points.

Rappelons qu’une exposition à un ou plusieurs facteurs de pénibilité permet aux salariés d’accumuler des points(5) leur donnant droit, pour 10 points, à un trimestre de retraite supplémentaire (dans la limite de 8 trimestres) ou à un passage à mi-temps sans réduction de salaire pendant un trimestre (dans la limite de 8 trimestres). « Une fois encore, le dispositif semble encourager la réparation de la pénibilité plutôt que sa prévention », regrette Clarisse Petit. Cette ingénieure prévention est pourtant convaincue qu’il est possible « d’agir et de prévenir tous les risques en adaptant le travail à l’homme, et non l’inverse ». C’est précisément ce que le compte personnel de prévention de la pénibilité aurait dû encourager.

(1) Les activités exercées en milieu hyperbare, le travail répétitif, le travail en équipes successives alternantes et le travail de nuit.

(2) Les six facteurs pris en compte à partir du 1er Juillet 2016 sont : la manutention manuelle de charges, les postures pénibles, les agents chimiques dangereux, les températures extrêmes, le bruit et les vibrations mécaniques.

(3) Étude menée par Junior Essec Conseil pour Prévisoft du 4 février au 16 mars 2016 auprès de 200 entreprises de plus de 50 salariés.

(4) Décret 2015-1888.

(5) Jusqu’à 4 points par an pour une exposition à un risque, jusqu’à 8 points par an en cas de polyexposition.

Auteur

  • Sabine Germain