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Une entreprise où il fait bon vivre ou bon travailler ?

La chronique | publié le : 10.05.2016 |

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Une entreprise où il fait bon vivre ou bon travailler ?

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Philippe Détrie la maison du management

Cette question

était le thème d’une discussion récente avec le Pdg d’une belle ETI française que j’admire (le président et la société). Une des ambitions de ce manager hors pair est, pour sa société, d’être une entreprise où il fait bon vivre : « On peut y vivre une aventure et pas seulement y travailler. »

L’idée est tentante.

Toutes les créations d’entreprise, les start-up, les nouvelles implantations sont de véritables aventures à vivre. Le travail peut donner du sens à la vie. On peut s’épanouir dans son job et il faut certainement développer cette possibilité extraordinaire de pouvoir y faire fleurir ses potentiels : intellectuel, relationnel et d’implication, les siens et ceux de ses collaborateurs.

Mais ne confondons pas vie professionnelle et vie privée.

L’entreprise où il fait bon vivre : une expression gênante.

Elle implique d’abord qu’on vit dans une entreprise comme chez soi : on mange, on dort, on joue, on s’amuse, on élève des enfants, on regarde la télé, on reçoit des amis, on écoute de la musique, on peut même dire du mal de son patron en toute tranquillité et à gorge déployée ! Difficile à imaginer dans une usine ou un bureau… Si la question « Où aimeriez-vous vivre ? » était posée à un travailleur, cela serait très étonnant qu’il réponde « dans une entreprise ». Travailler reste une nécessité pour la plupart.

L’expression suggère ensuite par sa formulation la nonchalance d’un espace et d’un temps sans contraintes, d’un travail cool, relax, 100 % choisi, à son rythme. Sans STO (Stress, Tension, Obsession), sans reporting, sans objectif de performance mais simplement de confort et d’agrément… Pas vraiment la doxa managériale actuelle. Aucune entreprise à ma connaissance n’a intégré dans ses KPI la douceur de vivre chantée par Georges Moustaki : « Nous prendrons le temps de vivre, d’être libres… Tout est possible, tout est permis… »

Aujourd’hui, le référentiel mondial de la mesure de la satisfaction des salariés est celui du Great Place to Work Institute – ce n’est pas le “Great Place to live” – traduit en français par l’entreprise où il fait bon travailler(1).

Le travail n’est pas tout dans la vie.

L’entreprise est certes un lieu de vie, mais un lieu de vie professionnelle, et il existe une vie personnelle au-delà du travail ! Le travail n’est qu’une partie de la vie, beaucoup s’accomplissent dans leurs vies familiale, spirituelle, sociale, sportive, culturelle, associative… Nous sommes des êtres multidimensionnels. Que l’entreprise milite pour la convivialité (le “vivre avec” du latin cum vivere) ou pour la qualité de vie au travail, c’est essentiel, mais dans le cadre circonscrit des relations professionnelles. Personne ne peut être contre le bon vivre au travail, on dirait d’ailleurs le bien-vivre, facteur reconnu de performance et de plaisir au travail. Mais comme l’écrivait le grand Charles de Gaulle : « La vie n’est pas le travail : travailler sans cesse rend fou. »

« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. » L’expression attribuée à Socrate et reprise dans L’Avare de Molière peut être facilement transposée au travail. L’excès dû au travail comme pour la nourriture peut conduire à l’anorexie – le bore-out – ou à la boulimie – le workaholisme ou le burn-out !

L’entreprise où il fait bon travailler ? S’impliquer ? S’engager ?

Ces trois verbes sont moins embrigadants et plus dynamisants que vivre, et ils restent très ambitieux. Respectons ceux qui se donnent corps et âme à leur entreprise, c’est leur choix, mais ne l’imposons pas : cela fait partie de l’éthique d’une entreprise socialement responsable. Vivons à fond l’entreprise, mais surtout, entreprenons nos vies et pas qu’au boulot !

(1) Lire la chronique intitulée « Le bonheur au travail ? Et du caviar à la cantine ? », in Entreprise & Carrières n° 1281, 22 mars 2106.