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L’interview

Yvan Barel : « « Il faut aborder les problématiques de diversité par les compétences » »

L’interview | publié le : 26.04.2016 | Éric Delon

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Yvan Barel : « « Il faut aborder les problématiques de diversité par les compétences » »

Crédit photo Éric Delon

Afin d’intégrer harmonieusement la diversité au sein de l’entreprise, il semble pertinent de ne pas se focaliser sur la catégorie d’appartenance des minorités mais de raisonner en termes de compétences et d’apport professionnel concret à l’organisation.

E & C : Aujourd’hui, pour une entreprise, mettre en place une politique de la diversité représente-t-il une opportunité ou une contrainte ?

Yvan Barel : Tout plaide en faveur d’une politique de la diversité dans l’entreprise. Une société polychrome, une exigence croissante à l’égard de la responsabilité sociale de l’entreprise, un cadre légal toujours plus précis, un risque de surmédiatisation en cas de discrimination avérée ou supposée… Ces contraintes représentent une véritable opportunité pour faire évoluer la culture et les pratiques RH d’une entreprise. Mais, pour manager la diversité, il faut éviter de se focaliser sur le recrutement d’individus en fonction de leur catégorie d’appartenance – handicapés, seniors… Le point de départ doit concerner non pas l’individu mais le travail. Cela permet de se situer sur le registre des compétences et donc d’éviter le risque d’instrumentalisation et de stigmatisation.

Les entreprises sont-elles aujourd’hui plus attentives à la question de la lutte contre les discriminations ?

Globalement, de nets progrès ont été réalisés ces dernières années, mais le chemin restant à parcourir est tout sauf anecdotique. Le handicap, l’âge, le sexe, l’origine ethnique, l’apparence physique et bien d’autres caractéristiques représentent encore des sources de discrimination, comme en témoignent les différences de salaires, de temps de travail, d’évolution de carrière. Mais c’est surtout à l’embauche, plus précisément dans la phase de tri des CV, que les préjugés sont redoutables. La loi de 2006 sur l’égalité des chances proposait d’anonymiser les CV. L’intention était louable, mais la loi n’a jamais vu de décret d’application. Elle vient même d’être abrogée, c’est dommage.

Le législateur a-t-il raison de contraindre les entreprises à lutter contre les discriminations ?

Un certain nombre de lois posent le principe de non-discrimination et cherchent également à favoriser l’égalité hommes-femmes, le maintien dans l’emploi des seniors ou l’intégration des personnes en situation de handicap. Ces dispositions légales sont certes nécessaires, mais une loi appréhendée exclusivement comme une contrainte peut aboutir à des contresens managériaux. Le piège ? Gérer de manière catégorielle des collaborateurs, ce qui revient notamment à réaliser des recrutements ciblés sur des postes secondaires. L’entreprise sera tentée de recruter une personne handicapée, une femme ou un senior uniquement pour améliorer des statistiques qu’elle pourra alors valoriser. À focaliser son attention sur la diversité, l’entreprise aura tendance à dénier le travail réel et les compétences mobilisées. Plutôt que d’intégrer des futurs collaborateurs au sein d’un collectif, on risque de les stigmatiser.

Pour limiter ce risque, il n’existe qu’une solution : sortir les personnes des catégories dans lesquelles elles sont classées de façon souvent hâtive et irréfléchie, et se centrer sur leurs qualités et leurs faiblesses. Ce qui suppose de faire évoluer les pratiques organisationnelles et managériales. Afin de valoriser les compétences, pourquoi ne pas prévoir des mises en situation professionnelle lors d’un recrutement ? Le fait d’accorder une importance démesurée aux diplômes en France limite de facto l’accès aux personnes handicapées ainsi qu’aux seniors. Tant que l’on porte des lunettes “préjugés”, il est impossible d’évaluer avec justesse les réelles aptitudes d’un candidat. Inconsciemment, l’entreprise demeure prisonnière de la représentation restreinte qu’elle se fait du salarié idéal. Les organisations ont tout à gagner à s’écarter du modèle normatif construit par la société. Non seulement cela permet d’accroître le vivier de candidats potentiels, mais cela crée un environnement vertueux au sein duquel chacun se sent valorisé pour ses compétences et non pour son “origine”.

Il n’est pas forcément évident pour une agence ou un cabinet de recrutement de faire face à un client empreint de préjugés.

C’est vrai. L’intermédiaire qui assure le recrutement est « coincé » entre le cadre légal de non-discrimination et les exigences de son client. Mais il n’existe pas d’incompatibilités entre ces deux aspects. Les préjugés renvoient à des peurs : peur que le travail soit mal fait, peur que le client ne soit pas satisfait… Il faut donc creuser pour reformuler. Si un responsable d’équipe refuse de recruter un senior, il faut naïvement lui demander pourquoi. On apprendra peut-être qu’il a peur que ce futur collaborateur ne soit pas suffisamment dynamique et qu’il ne parvienne pas à s’intégrer correctement dans un groupe plus jeune… On tient là les premiers éléments de la définition du profil recherché. Nous ne nous situons plus dans une logique de discrimination, puisque ce profil est indépendant de l’âge. Il faut également questionner le responsable d’équipe sur ce qui, dans un mois, lui permettrait de dire que le candidat proposé a bien tenu son poste. On apprendra ainsi que l’entreprise cliente cherche une personne capable d’utiliser tel logiciel, qui a le sens de l’accueil, etc. Nous nous situons bien, là encore, sur le registre des compétences. Le travail d’une agence ou d’un cabinet de recrutement consiste à ne pas se plier à la demande initiale, mais à identifier le besoin réel en termes de compétences.

À quels risques majeurs les entreprises sont-elles confrontées en cas de discrimination ?

Les pratiques discriminatoires font courir à l’entreprise un risque juridique et un risque de réputation. De grandes entreprises, dans tous les secteurs, se font régulièrement épingler par les tribunaux. À l’heure des réseaux sociaux, les risques de préjudice portés à l’image de l’entreprise prennent des proportions énormes. Quand circule sur le Net que telle chaîne de restauration rapide de renommée mondiale ne propose pas de taille XL de tee-shirt pour justifier le non-recrutement de personnes en surpoids, c’est un réel coup porté à la notoriété de la marque. Si le cadre légal concernant les pratiques discriminatoires peut parfois paraître contraignant, il s’agit d’une véritable opportunité pour l’entreprise de faire évoluer sa culture et ses pratiques managériales vers davantage d’ouverture et d’écoute des situations individuelles. C’est la méthode la plus efficace et éthique de gérer ses ressources humaines.

Yvan Barel Professeur en GRH

Parcours

> Yvan Barel est maître de conférences, habilité à diriger des recherches en gestion des ressources humaines à l’IUT de Nantes. Il est responsable de la licence professionnelle GRH en alternance, membre du Laboratoire d’économie et de management de Nantes-Atlantique (Lemna)

> Il est l’auteur d’ouvrages, dont Les interactions entre la stratégie, le manager et son équipe (L’Harmattan, 2000) et, avec Jean-Pierre Citeau, Gestion des ressources humaines (Sirey, 2008).

Lectures

Réinventer le management des ressources humaines, Bernard Galambaud, éd. Liaisons, 2014.

DRH. Le livre noir, J.-F. Amadieu, Seuil, 2013.

GRH et gestion de la diversité, A. Cornet et P. Warland, Dunod, 2008.

Auteur

  • Éric Delon