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Emploi : Contrats aidés, des outils pour l’insertion

L’enquête | publié le : 26.04.2016 | Élodie Sarfati

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Emploi : Contrats aidés, des outils pour l’insertion

Crédit photo Élodie Sarfati

Face à l’explosion du chômage, en particulier de longue durée, les pouvoirs publics ont toujours misé sur les emplois aidés. Contrats de génération, emplois d’avenir et contrats “starters” en sont les derniers avatars, ciblés sur les jeunes en difficulté. Du côté des employeurs, les usages sont divers, entre effets d’aubaine et vraies démarches d’insertion, y compris à long terme.

Le contrat de génération est moribond ? Vive le CIE-Starter ! Lancé en mars 2015 par le gouvernement, ce contrat aidé est le petit dernier d’une longue lignée, démarrée il y a bientôt quarante ans. Avec les emplois d’avenir et les contrats uniques d’insertion – CUI-CIE pour le secteur marchand et CUI-CAE pour le non marchand (lire l’encadré ci-dessous) –, il forme la panoplie actuelle de ces instruments sans cesse renouvelés dans les politiques publiques de l’emploi, et censés permettre aux personnes en difficulté d’insertion d’intégrer le marché du travail. Au total, près de 300 000 nouveaux contrats aidés sont budgétés pour 2016, dont 200 000 CUI pour le secteur non marchand, auxquels s’ajoutent 20 000 contrats de génération.

Si le volume des emplois aidés fluctue au gré des courbes du chômage, c’est surtout dans le secteur non marchand qu’on les retrouve. En particulier dans les associations, qui concentrent plus de 40 % des embauches. « Les contrats aidés représentent 9 % de l’emploi associatif, soit 170 000 personnes, souligne Jacques Malet, président de Recherche & Solidarités. Et la hausse de l’emploi associatif en 2014 est directement liée aux recrutements de jeunes en emplois d’avenir. En 2015, sur 87 000 emplois d’avenir par mois en moyenne, 37 000 travaillaient dans des associations. » Dans le secteur marchand, l’hôtellerie-restauration et le tourisme-loisirs en ont recruté un quart. Le secteur du commerce, un quart des CUI-CIE.

Seulement, en termes d’insertion durable, leur utilité est régulièrement décriée. Et les chiffres montrent l’ambivalence de leur usage. Dans le secteur marchand, ils sont certes majoritairement en CDI et à temps complet, mais dans 6 cas sur 10, n’influent ni sur la décision d’embaucher, ni sur le profil recruté (lire l’encadré p. 20).

Effets d’aubaine

Stéphane Ivanic, gérant d’une entreprise de service numérique (ESN) de 23 salariés, Altaë, qui a recruté trois personnes en CIE (et en CDI), en témoigne : « Pour les deux premiers, il s’est agi d’un effet d’aubaine, car j’aurais fait ces embauches quoi qu’il en soit. Pour le troisième, j’étais plus mitigé, l’aide financière a précipité ma décision. » Chez KFC, comme pour l’enseigne de discount non alimentaire Action – qui va ouvrir cette année une centaine de magasins –, c’est le choix de recruter sans CV, via la méthode de simulation de Pôle emploi (MRS), qui détermine le recours aux emplois aidés : « Comme la méthode se fonde sur les aptitudes, elle permet à des profils atypiques d’être sélectionnés. Dès lors qu’ils répondent aux conditions d’éligibilité, nous les recrutons en CIE ou CIE-Starter, et en CDI, explique la DRH d’Action France, Muriel Bultjauw. Depuis décembre, nous avons ainsi embauché 200 personnes en contrat aidé, soit un quart de nos recrutements. »

Dans le secteur non marchand, deux tiers des embauches n’auraient pas lieu sans l’aide de l’État, selon la Dares. Mais là, les emplois aidés souffrent d’une plus grande précarité, offrant peu de perspectives. C’est ce que constate par exemple Matthieu Brabant, secrétaire national de la CGT Éduc’action : « Les établissements scolaires recrutent chaque année environ 80 000 CAE. Les trois quarts occupent des postes d’accompagnement des élèves en situation de handicap. Mais ils ne débouchent sur rien, car il n’existe pas de corps de la fonction publique qui corresponde à leur mission, et les postes de contractuels qu’ils pourraient intégrer sont bien trop peu nombreux. À l’issue de l’aide financière, ils retournent donc sur le marché du travail et sont remplacés par d’autres CAE… C’est un véritable gâchis. »

Néanmoins, le syndicaliste est moins sévère avec le traitement réservé aux autres CAE, placés comme assistants aux directeurs d’école : « Ils acquièrent des compétences administratives mieux valorisables et, comme leur volume est plus faible, la plupart finissent par être titularisés. » Et puis, rappelle Bernard Gomel, chercheur au Centre d’études de l’emploi, les contrats aidés ont d’abord pour vocation d’aider à la réinsertion sociale, et ne peuvent être évalués à la seule aune de leur transformation en CDI (lire l’interview p. 25).

C’est d’ailleurs le sens de la démarche mise en œuvre par Sepur (lire p. 22), qui allie réduction des coûts et utilité sociale en proposant une expérience professionnelle de quelques mois à des personnes parfois très éloignées de l’emploi. Dans le même esprit, la RATP accueille régulièrement des « assistants de régulation » en CUI-CAE. Ils devraient être 600 en 2016.

Mais le transporteur urbain est allé plus loin avec les emplois d’avenir. Entre 2013 et 2014, il a intégré 400 jeunes dans le cadre d’un programme professionnalisant de 12 ou 24 mois. « Pour l’heure, 71 % du contingent initial a accédé à la deuxième année du parcours, et 151 jeunes poursuivent leur formation », indique Jacques Eliez, secrétaire général de la CGT RATP, qui juge donc le dispositif « intéressant. Il a permis à des jeunes qui n’auraient pas pu postuler autrement d’intégrer la RATP ». À terme, la Régie table sur un taux d’intégration d’environ 60 %.

Plus ciblés, mieux encadrés, plus longs, les emplois d’avenir ont de fait conduit un certain nombre de structures à coupler politique d’insertion et gestion prévisionnelle des emplois. L’association VVF Villages a recruté 260 emplois d’avenir dans l’objectif de les pérenniser au bout des trois ans d’accompagnement (lire p. 23). De même, « certaines collectivités locales ont adopté une stratégie à long terme, et recruté en anticipation des départs à la retraite », remarque Serge Kroichvili, délégué général de l’Union nationale des missions locales (UNML). C’est le cas des municipalités de Poitiers, d’Aurillac, ou encore de Salon-de-Provence, selon une étude menée en 2014 par l’Institut Bertrand Schwartz avec l’UNML.

Une réponse aux difficultés de recrutement

Dans le secteur marchand, le groupe médico-social DomusVi y a vu une façon de répondre à ses difficultés de recrutement, et en a même profité pour décliner sa marque employeur, celle d’entreprise « de la première chance » : « Notre secteur souffre d’a priori, explique Céline Fabre, DG adjointe en charge des RH. Intégrer des emplois d’avenir, c’était l’opportunité de montrer nos métiers à la jeune génération. » Depuis 2013, plus de 300 de ces jeunes ont été recrutés, essentiellement dans les maisons de retraite du groupe, dont plus de la moitié en CDI ou en CDD de trois ans.

L’aide de l’État, dans ce cas, permet d’organiser la transition. « Nous avons recruté nos emplois d’avenir sur des postes surnuméraires, afin d’évaluer dans la durée la motivation des jeunes et de ne pas prendre de risques sur des postes relativement sensibles, reprend Céline Fabre. Pour l’heure, 15 % des CDD inférieurs à trois ans ont été transformés en CDI. »

Pas de doute, pour Serge Kroichvili, les emplois d’avenir marquent un saut qualitatif par rapport aux autres contrats aidés : « C’est la première fois que l’on a un programme aussi complet, s’enthousiasme-t-il. Les emplois d’avenir durent plus longtemps que les autres contrats aidés, le tutorat est davantage formalisé et les formations beaucoup plus ambitieuses ; près d’un tiers des contrats prévoient des actions qualifiantes. »

Accompagnements spécifiques

Les entreprises qui s’y sont engagées ont parfois défini des modes d’accompagnement spécifiques, comme un double tutorat à la Ville de Castelnau-le-Lez (lire p. 21). La RATP a monté une équipe dédiée aux emplois d’avenir, chargée notamment du sourcing, du tutorat, de l’ingénierie de formation… Chez DomusVi, l’expérience a conduit l’entreprise à entamer d’autres initiatives en faveur de l’insertion des jeunes. Elle a signé en 2015 une convention avec l’État pour le recrutement de 150 apprentis. Et va proposer à partir de septembre des contrats de professionnalisation sur des métiers de la restauration à des jeunes pris en charge par l’Épide (Établissement pour l’insertion dans l’emploi).

Repères

Les contrats uniques d’insertion (CUI) signés dans le secteur marchand (contrat initiative emploi, CIE) ou non marchand (contrat d’accompagnement dans l’emploi, CAE) peuvent être conclus en CDI ou en CDD de 6 à 24 mois, avec des personnes rencontrant des difficultés d’accès à l’emploi. La prise en charge de l’État est au maximum de 47 % du smic horaire brut pour les CIE, et de 95 % pour les CAE.

Les CIE-Starters sont ciblés sur les moins de 30 ans, notamment issus des quartiers prioritaires de la ville. La prise en charge est de 45 % du smic.

Les emplois d’avenir sont destinés aux jeunes de 16 à 25 ans (30 ans en cas de handicap) peu ou pas diplômés, ou jusqu’à bac + 3 pour les demandeurs d’emploi résidant dans une zone prioritaire. Ils sont conclus en CDI ou en CDD de 12 à 36 mois, prioritairement dans le secteur non marchand et à temps plein. Ils doivent comprendre un parcours de formation et être encadrés par un tuteur. La prise en charge de l’État est de 35 % du smic dans le secteur marchand, et de 75 % du smic dans le non marchand.

Les contrats aidés en chiffres clés

En 2014, les recrutements en contrats aidés ont augmenté de 9,3 % par rapport à 2013 dans le secteur marchand, portés par les emplois d’avenir ; ils ont diminué dans le secteur non marchand (-13 %). Néanmoins, en stock, les effectifs ont progressé de 20 % en un an (380 000 salariés fin 2014, dont 320 000 dans le secteur non marchand).

Dans le secteur non marchand, 64 % des embauches en CUI-CAE ou emplois d’avenir n’auraient pas eu lieu sans l’aide de l’État. Dans le secteur marchand, 58 % des embauches auraient tout de même eu lieu au même moment et avec la même personne, et 14 % avec une autre personne ; pour un quart des recrutements, l’aide a permis de recruter en CDI plutôt qu’en CDD ou en intérim.

Six mois après la fin de leur contrat, 66 % des bénéficiaires de CIE sont en emploi (54 % en emploi stable) et 38 % des bénéficiaires de CAE (20 % en emploi stable).

Les emplois d’avenir sont occupés à 80 % par des jeunes de niveau inférieur au bac, 39 % n’ont aucun diplôme. En 2014, 71 % ont été signés en CDI dans le secteur marchand (soit à peu près la même proportion que pour les CUI-CIE) et 7 % dans le secteur non marchand (contre 2,7 % des CAE). 85 % sont à temps complet, quel que soit le type d’employeur.

Trois quarts des personnes en emploi aidé ont suivi une formation d’adaptation au poste. Dans le secteur non marchand, près de 80 % des bénéficiaires de contrat aidé ont suivi ou ont prévu de suivre en plus un autre type de formation (acquisition de compétences, savoirs de base…). Cela ne concerne que 43 % des CUI-CIE et 71 % des emplois d’avenir du secteur marchand.

Sources : enquêtes Darès 2015 et 2016.

Témoignage Pascal Nabais DRH de la ville de Castelnau-Le-Lez (34), 380 agents

« Il y a une parenté entre les emplois d’avenir et les contrats d’apprentissage »

Nous avons toujours eu recours à des dispositifs d’insertion, avec l’objectif de mener les personnes vers des emplois pérennes chez nous, que ce soit par le biais de CAE ou de contrats d’apprentissage – nous sommes une des collectivités qui en embauche le plus. Quand les emplois d’avenir ont été créés, nous nous y sommes donc naturellement intéressés. Ce sont des profils différents des CAE, qui, bien souvent, ont déjà eu une expérience professionnelle. En revanche, il y a une parenté avec les contrats d’apprentissage : dans les deux cas, il s’agit de jeunes plus ou moins sortis du système scolaire, que nous devons former, parfois sur le même type d’emploi, par exemple dans la petite enfance.

Depuis 2013, nous avons embauché 8 emplois d’avenir, pour lesquels nous avons monté un accompagnement spécifique, inspiré de celui mis en place pour les apprentis. Ainsi, nous avons désigné deux référents pour chaque jeune en emploi d’avenir : un tuteur technique pour les aspects métier, et un tuteur administratif qui se charge des relations avec la mission locale, des formalités… C’est notamment lui qui remplit le livret de suivi que nous avons aussi mis en place à cette occasion, qui retrace les formations suivies par le jeune, les appréciations de ses référents, les qualifications acquises et valorisables pour la suite de son parcours. Régulièrement enfin, nous faisons des points réunissant le jeune, les référents, la RH et, si nécessaire, la mission locale.

Nous n’avons pas accueilli davantage d’emplois d’avenir car nous voulons être en capacité de leur proposer à terme des emplois permanents. Nous essayons d’être dans une logique d’anticipation et de tuilage, en profitant de l’aide financière, qui représente environ la moitié du salaire chargé. Par exemple, un jeune a été embauché comme assistant au service sérigraphie, où il est encadré par un référent technique qui doit partir à la retraite d’ici à deux ans : nous espérons qu’il le remplacera à ce moment-là.

Auteur

  • Élodie Sarfati