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L’enquête

Philippe Joffre, Président du cabinet paradoxes, spécialisé en optimisation des politiques et services formation

L’enquête | L’interview | publié le : 12.04.2016 | L. G.

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Philippe Joffre, Président du cabinet paradoxes, spécialisé en optimisation des politiques et services formation

Crédit photo L. G.

« On est très loin de l’esprit de la loi »

Quelle analyse faites-vous de la première vague d’entretiens professionnels (EP) ?

Dans la plupart des cas, on est très loin de l’esprit de la loi. Et pour le militant de cet esprit que je suis, c’est plutôt décevant. La montagne accouche d’une souris. Les entreprises qui investissent vraiment le sujet sont généralement les plus grandes – ERDF ou la SNCF par exemple –, qui avaient souvent, de longue date, mis en place des pratiques vertueuses : données GPEC claires et mises à disposition des salariés, aires de mobilité, passerelles métiers, CEP interne…

L’EP est dans les faits largement dévoyé, du fait qu’il est collé le plus souvent à l’entretien d’évaluation. Le principe de réalité a prévalu dans 95 % des cas : les entreprises font au plus simple et évitent d’accumuler les rendez-vous. Cela est légitime, mais il sera très difficile pour un manager de changer de casquette et de posture en faisant le tour de la table ou en prenant cinq minutes de pause !

Dans d’autres cas, certaines entreprises disposaient déjà d’un entretien de progrès ou d’un entretien formation et ont intégré l’entretien professionnel à celui-ci, en général organisé à mi-année. On rencontre alors une autre difficulté : passer d’une logique à court terme d’ajustement des compétences – et donc d’une évaluation permettant d’identifier un delta entre compétences souhaitées et compétences constatées –, à une logique de moyen-long terme relevant d’une dynamique d’évolution professionnelle. Le mélange des genres n’est pas forcément plus heureux.

L’EP pâtit-il selon vous d’un manque de professionnalisation des acteurs ?

De nombreux guides d’entretien ont été produits par les branches, mais très peu de personnes ont vraiment été formées à l’EP, qu’il s’agisse des RH, des managers ou des futurs bénéficiaires. Les prestataires s’étaient préparés à conduire des campagnes comme ils les avaient vécues lors de la mise en place des entretiens dans le cadre de la loi de 2004. Mais, dans les faits, il s’est souvent agi de campagnes d’information à caractère pédagogique, plus que de réelles formations visant à qualifier les acteurs sur un nouveau geste professionnel ambitieux.

Seuls les Opca ont véritablement investi le sujet, y voyant une occasion d’enrichir leur offre de services en proposant des outils et kits de mise en œuvre de très bonne qualité, et qui ont d’ailleurs connu un réel succès, comme ceux de l’Afdas, d’Opcalim…

Selon vous, toutes les questions techniques de l’entretien professionnel ne sont donc pas résolues.

Deux ans après le lancement de l’entretien professionnel, une foule de questions techniques, notamment sur les sanctions à six ans, sont sans réponse claire. Or “la peur du gendarme”, c’est-à-dire la pénalité de 100 heures de CPF, fait aussi partie du dispositif. Depuis des mois, les entreprises essayent légitimement de mesurer les enjeux et les risques, et se posent des questions avec une certaine crudité. Par exemple : si la logique est cumulative à six ans, c’est-à-dire qu’à cette date les EP doivent avoir été réalisés et deux des trois critères réunis (formation, certification, évolution salariale ou professionnelle), cela signifie donc que, pour tous les salariés n’ayant pas eu leur entretien professionnel au 6 mars 2016, c’est déjà trop tard ? À moins d’antidater ou d’attendre la bienveillance administrative ?

Autres questions : que comptabilise-t-on exactement comme formation certifiante ? Est-ce qu’une heure ou un euro d’abondement par l’entreprise sur le CPF du salarié, ça compte ? Une augmentation générale d’un euro, ça compte ? Un module d’e-learning d’une heure pour tout le monde, ça compte ?

Tout cela peut apparaître très cynique. Mais, face à un système non finalisé et en l’absence dans la plupart des cas d’accords de branche ou d’accords d’entreprise, celles-ci font au plus simple, au plus court, et cherchent la conformité plus que le sens, en tout cas à ce jour.

Mettre en visibilité les évolutions des métiers, apporter des données GPEC opérationnelles permettant aux personnes d’être acteur de leur parcours en “pleine conscience” et initier un échange de nature nouvelle entre le salarié et l’entreprise : l’exercice est déjà compliqué en soi ! Alors il fallait vraiment que cela soit bordé. On ne peut pas ériger l’insécurité juridique comme principe de gestion permanente.

Dans ces conditions, une externalisation de la réalisation de l’EP serait-elle une voie envisageable ?

L’externalisation auprès des Opca pour les TPE ou PME pourrait être une piste pertinente pour les deux parties. Pour les grandes entreprises, l’externalisation de l’entretien professionnel est, à mon avis, un non-sujet, car il n’y a rien qui coûte moins cher qu’un acte managérial de plus ! Le manager n’est-il pas le DRH de terrain, le jardinier des compétences ?

Auteur

  • L. G.