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La chronique juridique d’Avosial

Chronique | publié le : 05.04.2016 | Danièle Chanal

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La chronique juridique d’Avosial

Crédit photo Danièle Chanal

De la vie dans l’entreprise et du sens des motsLa lecture du projet de loi El Khomri fait apparaître des glissements sémantiques, par exemple au sujet de la liberté de manifester ses convictions religieuses.

De la cacophonie qui a accompagné la présentation du projet de loi El Khomri sont sortis certains thèmes dominants, sans doute considérés comme plus accessibles au grand public, vite sondé et sommé de s’exprimer à son sujet.

La lecture du texte, réformé avant même sa présentation au Parlement, révèle évidemment d’autres nouveautés. Ainsi, la deuxième saisine rectificative tranche le sort du préambule du projet initial qui reprenait les travaux de la commission Badinter : son article 1er l’érige désormais en « principes essentiels du droit du travail » destinés à inspirer la future « refondation du Code du travail ». Selon le nouveau préambule, ils seraient « […], formulés à droit constant, [et] constituent l’armature des différentes normes applicables en matière de droit du travail […] ».

On prétend donc, par le même texte, opérer à « droit constant » pour rassurer les frileux et mener une réforme fondamentale pour calmer les impatients.

Les deux affirmations étant fausses, c’est par le biais de glissements sémantiques plus ou moins manifestes que s’effectue la synthèse.

C’est le cas de l’article 6 du préambule d’origine, auquel les rédacteurs du code à venir devront se référer et qui est ainsi rédigé : « La liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

L’article L. 1132-1 du Code du travail proscrit déjà toute « mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] en raison [de] convictions religieuses ». De son côté, l’article L. 1121-1 interdit d’« apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».

Les deux concepts ne se valent pas, car respecter une conviction et autoriser sa manifestation sont deux choses différentes ; un avis du Conseil d’État du 3 mai 2000 précisait d’ailleurs que les agents publics, s’ils bénéficiaient de leur liberté de conscience et ne pouvaient dès lors être discriminés à raison de leur religion, étaient pourtant privés « du droit de manifester leurs croyances religieuses », par le principe de laïcité.

La question se pose aujourd’hui de savoir si ce principe est le seul à faire obstacle à l’expression de la conviction religieuse au sein de l’entreprise privée ; non, si l’on en croit l’arrêt de la décision plénière de la Cour de cassation du 25 juin 2014 dans l’affaire Baby-Loup, qui a jugé conforme à l’article L. 1121-1 précité la disposition du règlement intérieur interdisant le port de signe religieux, en l’occurrence un « voile islamique ». D’autant qu’y étaient mentionnées les « restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses », ce qui constituait déjà une acception élargie de la notion de liberté religieuse au sein de l’entreprise, que les textes précités ne commandent pas si évidemment. On objectera que l’article 6 réserve l’exercice d’autres droits, également fondamentaux et le bon fonctionnement de l’entreprise… quel autre liberté ou droit fondamental sera admis comme de nature à justifier la restriction des convictions en cause ? Si la seule conviction d’une autre religion est suffisante, le principe s’autodétruit ; dans le cas contraire, c’est sur l’employeur que pèsera la charge de la preuve de l’incompatibilité de ce droit nouveau avec d’autres qu’il entend préserver au sein de l’entreprise… ce qui correspond au régime actuel, déjà fort délicat à mettre en œuvre.

Pourquoi alors ajouter au texte un terme éminemment signifiant qui va attiser les multiples foyers d’inflammations déjà existants ? De même que la politique est un sujet trop sérieux pour l’abandonner aux hommes du même nom, le temps est-il bien choisi pour laisser aux seuls théoriciens le soin de déterminer les droits et devoirs au sein de l’entreprise de demain ?

Auteur

  • Danièle Chanal