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L’interview

Fabien Blanchot : « La fabrique des politiques rh est l’une des missions essentielles de tout DRH »

L’interview | publié le : 29.03.2016 | Éric Delon

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Fabien Blanchot : « La fabrique des politiques rh est l’une des missions essentielles de tout DRH »

Crédit photo Éric Delon

Focalisés sur les fonctions et les activités qui leur sont dévolues – recrutement, gestion des compétences, relations sociales… –, les DRH peinent souvent à fabriquer des politiques et des stratégies RH ambitieuses, pourtant porteuses de sens pour les collaborateurs.

E & C : Vous estimez que les politiques RH dignes de ce nom sont rares au sein des entreprises ?

FABIEN BLANCHOT : Oui. La fabrique des politiques RH constitue pourtant l’une des missions essentielles de toute fonction RH. Nombre de DRH peinent à définir ce que peut et doit recouvrir une véritable politique dans ce domaine, à en préciser les fondements et, en conséquence, à construire des discours lisibles en la matière. Il faut reconnaître que les formations RH mettent davantage l’accent sur la manière de gérer les activités RH – recrutement, formation, etc. – que sur la manière de penser l’élaboration d’une stratégie. Or une politique RH donne du sens à l’entreprise. Pour éviter la cacophonie, pour assurer une cohérence entre les multiples processus RH et pour susciter l’engagement, il est nécessaire de déterminer des orientations claires, convaincantes et ambitieuses. La contrainte économique implique qu’il n’est pas possible de répondre pleinement à toutes les attentes. Il est donc nécessaire de faire des choix, de définir des priorités. L’entreprise doit être porteuse d’une ambition sociale et chercher à « faire grandir les femmes et les hommes », améliorer les conditions sociales, renforcer la satisfaction des salariés.

Comment définir les contours d’une politique RH ?

Élaborer une politique RH consiste à fixer des priorités, à définir sur quatre niveaux des “majeures” et des “mineures”. Premièrement, le niveau des finalités spécifiques de la fonction RH. Le défi majeur à relever concerne-t-il l’attraction, le développement, la mobilisation ou la fidélisation des compétences ? Et pour quelle(s) population(s) ? Deuxièmement, le niveau de l’organisation de la fonction RH : comment diviser le travail RH ? Comment coordonner les actions RH ? Comment animer le réseau des acteurs RH situés au siège, dans les filiales et dans les établissements ? Quelles décisions RH décentraliser et auprès de quels acteurs ? Jusqu’où impliquer le management de proximité ? Troisième niveau : la culture. Quels sont les valeurs et principes auxquels l’entreprise souhaite que les salariés adhèrent ? Dernier niveau, celui des outils RH. Pour chacune des activités, quelles sont les priorités ? Quels dispositifs améliorer, modifier, supprimer ? Un diagnostic interne et externe doit être effectué au préalable. Les choix dépendent également du positionnement éthique et de la vision des décideurs : jusqu’où s’engager, au-delà de la loi, en matière de responsabilité sociale ?

Quels sont les principaux déterminants de cette politique ?

Les politiques RH sont influencées par des facteurs externes et internes. Les facteurs externes concernent principalement les évolutions législatives, technologiques, socioculturelles ou économiques – crise sectorielle, par exemple. L’entreprise doit tenir compte également de ses spécificités internes : profil de ses collaborateurs, climat, relations sociales, etc. Les facteurs culturels et individuels jouent aussi un rôle important dans les orientations retenues. Quelle est la place accordée à l’humain dans l’entreprise ? Quel est le parcours du DRH, ses valeurs, son ambition ? À l’interface de l’externe et de l’interne se glisse, bien entendu, la stratégie business et corporate de l’entreprise.

Mais le DRH n’est pas le seul acteur de la fabrique RH. Il s’agit d’un processus collectif pouvant impliquer, outre le DRH, les autres acteurs de la fonction RH, le sommet stratégique – comex, codir –, la ligne managériale, les managers de proximité, les partenaires sociaux et les collaborateurs. Une approche collective est souhaitable pour au moins trois raisons. Tout d’abord, la complexité plaide en faveur du recours à l’intelligence collective. Ensuite, la prise de conscience de nombreux défis suppose une proximité avec le terrain. Enfin, le déploiement d’une politique RH est plus aisé et moins risqué quand les acteurs du déploiement ont aussi été impliqués en amont, dans la phase de réflexion.

Quel rôle doit jouer la fonction RH proprement dite ?

Elle doit collecter l’information, ce qui nécessite de l’observation, de l’écoute, de l’échange avec les directions, les managers et les collaborateurs, de la veille interne et externe. La fonction RH doit aussi animer le processus de co-construction de la vision et des politiques RH avec les directeurs corporate RH, les patrons RH des métiers et des régions… La DRH a également pour mission de présenter et de défendre ses orientations auprès de la direction générale – pour validation.

Je préconise de prendre tout d’abord le temps de la co-élaboration : visites de terrain, écoute du management et des partenaires sociaux. Ensuite, si la fonction RH et le DRH ne peuvent être les seuls acteurs d’une politique RH, ils doivent néanmoins jouer un rôle clé, sous peine de s’exposer à une perte de crédibilité, de leadership. La fonction RH doit être force de propositions et s’assurer de la pertinence, de la faisabilité et de l’acceptabilité des orientations qui seront soumises au comex. Elle doit notamment vérifier le degré de satisfaction minimale RH auprès de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise. Le DRH doit évidemment s’impliquer personnellement et apporter ses convictions. Rien ne remplace le “je”.

Dans l’élaboration d’une politique, il n’est pas utile de faire appel à des cabinets de conseil, qui pourraient avoir la tentation d’apporter des solutions toutes faites. Une politique RH ne peut pas être pensée comme un plan figé, elle doit pouvoir évoluer au gré des changements de contexte. Pour éviter que ces changements ne soient trop déstabilisants, il est souhaitable qu’ils soient anticipés plutôt que subis. Pour ce faire, le DRH doit procéder à une veille active. Autrement dit, il doit toujours essayer d’avoir un coup d’avance en écoutant les signaux faibles. Il est également important que ces ajustements ne riment pas avec perte de repères. C’est en maintenant un cap clair qu’on peut faire évoluer une organisation sans la déstabiliser.

Enfin, il ne faut pas confondre harmonie et uniformité d’une politique RH. Il est nécessaire dans une grande entreprise d’accepter une certaine différenciation, à condition que cette dernière s’inscrive dans un contexte global d’“harmonie” au sein duquel les adaptations locales demeurent en cohérence avec la vision d’ensemble.

Fabien Blanchot professeur en GRH à Paris-Dauphine

Parcours

→ Fabien Blanchot, vice-président de l’université Paris-Dauphine, y est enseignant-chercheur en sciences de gestion, fondateur et directeur du MBA RH, coresponsable du master mention Management des RH et codirecteur de la chaire Confiance et management créée en 2016 en partenariat avec le groupe MAIF.

→ Ses publications dans le cadre de Dauphine recherche en management portent sur la dynamique des coopérations interfirmes.

→ Concernant la fabrique des politiques RH, il a coréalisé un cas multimédia déposé à la Centrale des cas et médias pédagogiques de Paris (prix Top cas CCMP 2015).

Lectures

→ Théories des organisation  – Nouveaux tournants, F.-X. de Vaujany, A. Hussenot, J.-F. Chanlat, Economica, 2016.

→ Homo Economicus, prophète (égaré) des temps nouveaux, D. Cohen, Albin Michel, 2012.

→ Refonder l’entreprise, B. Segrestin, A. Hatchuel, Seuil, 2012.

Auteur

  • Éric Delon