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Le défi des reclassements intragroupes

Zoom | publié le : 15.03.2016 | Nicolas Lagrange

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Le défi des reclassements intragroupes

Crédit photo Nicolas Lagrange

En cas de restructuration au sein d’une filiale, certains groupes organisent des passerelles internes pour favoriser le reclassement dans les autres entités. Un défi difficile mais qui peut être payant, tant socialement que financièrement.

Salariés de Bouygues Telecom il y a encore quelques mois, ils sont 77 à travailler aujourd’hui chez Bouygues Construction, Bouygues Immobilier, Colas, TF1 ou pour la maison mère. Des salariés reclassés dans le cadre du PSE décidé par l’opérateur fin 2014, lequel a conduit à la suppression de près de 1 400 postes sans départ contraint.

« Cette solidarité intragroupe a permis, en six mois, de doubler le nombre de mobilités habituellement constaté en un an entre les filiales du groupe, souligne Béatrice Le Fouest, directrice du développement RH de Bouygues Telecom. Elle a d’abord été facilitée par le discours volontariste de Martin Bouygues sur la nécessité de privilégier les collaborateurs de Bouygues Telecom pour les postes vacants dans les autres entités. » Un volontarisme confirmé par la CFTC, principal syndicat de l’opérateur téléphonique, et qui s’avère un préalable d’autant plus indispensable qu’au plan juridique, rien ne contraint les groupes aux activités très diverses à organiser cette solidarité.

« Pour savoir si un groupe a l’obligation de reclasser les salariés d’une entité juridiquement indépendante dans les autres entités, il faut déterminer la permutabilité des salariés, précise Philippe Rozec, avocat associé du cabinet De Pardieu Brocas Maffei. C’est-à-dire le périmètre à l’intérieur duquel ils sont susceptibles d’être reclassés. Cette permutabilité implique des activités, des organisations et des lieux d’exploitation proches. Des conditions qui ne sont pas toujours réunies. » Pour autant, même en l’absence d’obligation légale, « les groupes doivent s’engager dans une démarche de coordination entre leurs différentes entreprises pour permettre à la filiale qui supprime des postes de remplir réellement son obligation de reclassement, complète Philippe Rozec. Ce qui suppose l’existence d’outils au service de la mobilité intragroupe ». Des outils de préférence communs aux différentes entités et qu’il faut rendre pleinement opérationnels.

Premier prérequis, l’existence d’une cartographie des métiers actualisée au niveau du groupe. « Nous intervenons parfois avant le démarrage de nos espaces conseil pour aider à la mise à our ou à l’amélioration des descriptions de poste dans les différentes entités, expose Éric Marie, directeur de projets à Sodie. Pour répondre efficacement aux questions des collaborateurs concernés par une restructuration, nous cherchons aussi à maîtriser l’historique des compétences clés du groupe et à disposer d’informations précises sur l’organisation et les cultures d’entreprise. » Car les a priori entre salariés de différentes filiales, sur la rémunération pratiquée, le climat social ou les perspectives de carrière, sont un frein à la mobilité intragroupe.

Deuxième prérequis, une bonne coordination entre tous les services RH et une bourse d’emplois groupe opérationnelle. Dans le cas de Bouygues Telecom, « les échanges entre RH des différentes entités ont été intensifiés, en vue d’un fonctionnement optimal des comités mobilité, relate Béatrice Le Fouest. Avec le support d’un outil de partage des offres, Talentsoft, désormais commun à tout le groupe. » Pour réduire le nombre d’offres d’emploi non renseignées, les managers de toutes les structures ont été sensibilisés puis relancés régulièrement pour répondre aux candidatures en provenance de Bouygues Telecom. « Nous avons obtenu de pouvoir trier les offres par métier et par zone géographique, ce qui a permis d’améliorer la bourse d’emploi groupe », ajoute Nicolas Faber, DSC CFTC.

Dispenses d’activité

Au-delà des outils de mobilité et de la coordination entre filiales, la possibilité de négocier des dispenses d’activité dès le début de la procédure d’information-consultation peut faciliter les reclassements, tant en externe qu’au sein d’un groupe : « Cette stratégie d’anticipation est de plus en plus courante, analyse Joël Vives, directeur associé d’Alixio. Elle permet aux salariés de saisir les opportunités sans attendre la fin du PSE. Mais si l’on veut éviter d’orienter trop vite les salariés concernés vers l’externe, il est nécessaire de leur donner une vision globale des pistes d’avenir. C’est-à-dire ne pas cantonner les services RH aux repositionnements internes et les cabinets de reclassements aux reconversions externes. » Un avis partagé par Bernard Clance, directeur de projets de Sodie : « Pour éviter un préchoix prématuré des salariés vers l’interne ou l’externe, le cabinet de reclassement doit travailler en lien étroit avec les RH. En assurant le premier entretien avec les salariés, il peut les guider de manière confidentielle, prendre en compte leurs paramètres familiaux et sociaux, évoquer les possibilités de mobilités géographiques ou fonctionnelles, intragroupe et à l’extérieur. » De manière atypique, le groupe Saint-Gobain confie à une filiale dédiée, dotée de gros moyens, tous ses reclassements (lire l’encadré p. 8).

Autre écueil à éviter afin de favoriser les reclassements au sein d’un même groupe : « Une communication interne focalisée sur le chèque de départ, de la part de la direction ou des IRP, ajoute Bernard Clance. A contrario, les entreprises ont tout intérêt à valoriser les sites d’accueil, à rassurer sur leur pérennité et à mettre en avant les premiers transferts réussis. » S’agissant du PSE de Bouygues Telecom, « les efforts de reclassements internes ont été réels mais insuffisants, juge Azzam Ahdab, DSC CFDT de l’opérateur. De fortes indemnités supra légales ont été versées, notamment en faveur des directeurs à gros salaires, au détriment de l’enveloppe dédiée aux conditions de travail et de rémunération des salariés restants ». Son homologue de FO, Bernard Allain, met toutefois l’accent sur plusieurs mesures du PSE visant à favoriser les reclassements intragroupe : « L’ampleur des moyens de formation-adaptation aux nouveaux postes, la prise en charge du différentiel salarial pendant un an jusqu’à 600 euros par mois ou encore la période d’essai dans le nouvel emploi, avec un droit au retour chez Bouygues Telecom… » Des mesures très utiles, qu’il est « indispensable de coupler avec un suivi RH et managérial approfondi, surtout s’agissant de reclassements au sein de groupes aux activités très diverses, estime Éric Marie. Cela passe par des points rapprochés avec les nouveaux venus sur leur mission, leur ressenti, leurs difficultés éventuelles et les moyens complémentaires éventuels à mettre en œuvre ».

Solidarité moins coûteuse

Si elle nécessite des moyens financiers importants, la solidarité de reclassements au sein d’un groupe s’avère nettement moins coûteuse que le versement d’indemnités de licenciements, sans compter les bénéfices pour les salariés, le sentiment d’appartenance renforcé et l’impact en termes d’image pour le groupe.

À Saint-Gobain, une structure permanente pour les reclassements

« Lorsqu’une filiale doit ajuster ses effectifs, elle peut solliciter Saint-Gobain Développement en amont afin de l’aider à réfléchir aux impacts sociaux et locaux, explique Régis Blugeon, DRH France du groupe Saint-Gobain. Ensuite, la filiale conduit le PSE, mais délègue les reclassements internes et externes à notre structure dédiée, ainsi que toutes les opérations éventuelles de revitalisation territoriale. »

Saint-Gobain Développement, qui compte 13 salariés et dispose de trois délégations régionales, s’attache à promouvoir les passerelles internes plutôt que les chèques-valise. En outre, pour favoriser les reclassements vers d’autres entités du groupe, les postes à pourvoir dans le groupe sont réservés pendant plusieurs mois sans possibilité de dérogation. La filiale en restructuration finance les formations éventuelles et conserve le salarié sous contrat pendant la période d’adaptation au nouvel emploi. En moyenne, chaque conseiller de Saint-Gobain Développement prend en charge dix salariés, avec le renfort possible de RRH de filiales formés au reclassement. « Nous installons une antenne emploi-formation à proximité du site concerné, précise Pierre Lucien-Brun, directeur général délégué de Saint-Gobain Développement. Au-delà des outils classiques – bilans professionnels, préparation de CV et d’entretiens, analyse de projets… –, nos conseillers ont la possibilité de moduler les aides en fonction des besoins, en matière de logement, de scolarité ou d’accompagnement des conjoints par exemple. Et assurent un suivi sur mesure. L’expérience accumulée depuis 1982 sur les réorganisations successives a permis d’identifier les freins et les bonnes pratiques, ce qui s’avère décisif. »

Auteur

  • Nicolas Lagrange