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Sur le terrain

Retour sur… Le reclassement des ex-Mory Ducros

Sur le terrain | publié le : 15.03.2016 | Stéphanie Maurice

Entre 2013 et 2015, la disparition de l’ancien numéro 2 de la messagerie française a été un tel enjeu politique que des mesures exceptionnelles ont été prises par l’État pour accompagner les 5 000 salariés licenciés.

C’est un plan social hors normes, à la fois par son ampleur, ses rebondissements et sa politique de reclassement. La faillite du transporteur Mory-Global (ex-Mory Ducros), l’ancien numéro 2 de la messagerie française, restera dans les annales : 5 000 salariés ont été licenciés en deux PSE entre 2013 et 2015, malgré une tentative de sauvetage gouvernemental. Dernier épisode en date : l’annulation en décembre du premier PSE, celui de Mory Ducros (lire l’encadré).

Un plan social sous haute tension

L’histoire commence le 1er janvier 2013 avec la naissance de la société Mory Ducros. Celle-ci est issue de la fusion de Mory Team et de Ducros Express, ex-DHL Express France, rachetés tous les deux par Caravelle, un fonds de retournement des entreprises en difficulté. La stratégie consiste à grossir pour mieux résister face à un marché des transports de colis fortement concurrentiel et en déclin. Mais la flotte de 4 500 camions et le réseau des 115 agences sont surdimensionnés. Le 26 novembre de la même année, Mory Ducros, dont l’actionnaire principal est Arcole Industries, filiale de Caravelle, est placé en redressement judiciaire.

Mais, à quatre mois des municipales, la liquidation de l’entreprise est impensable. Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, veut montrer son volontarisme. Arcole Industries s’engage dans un plan de relance de l’activité, avec le soutien de l’État. Celui-ci lui prête 17,5 millions d’euros. En contrepartie, le PSE organise la fonte de la moitié des effectifs. Pour ceux qui restent sur le carreau, Michel Sapin, alors ministre du Travail, met en place un dispositif d’accompagnement renforcé (DAR) par arrêté ministériel du 22 janvier 2014. Il n’a pas de durée limitée et se prolonge tant que le salarié n’a pas retrouvé au moins un CDD de six mois.

L’entreprise renaît sous le nom Mory Global, avec les 2 150 personnes épargnées par le premier PSE. Mais « un redressement aussi rapide, avec aussi peu de fonds, était impossible. De fin février à juillet 2014, la société avait déjà perdu 14 millions d’euros, souligne Mickaël Guignet, délégué central CFDT. La relance a servi à retarder la liquidation, à la faire en deux temps. » Jean-Pierre Bizon, délégué central CFTC, confirme : « L’actionnaire principal n’a repris l’activité que forcé et contraint, poussé par l’État. Ce n’était qu’un leurre. » Arcole Industries n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet. En avril 2015, l’entreprise met définitivement la clé sous la porte. C’est un fiasco total, jusqu’à Bruxelles qui, en novembre 2015, exige le remboursement du prêt de 17,5 millions d’euros pour « distorsion de la concurrence ».

Des difficultés de reclassement

Les syndicats négocient un PSE à la hauteur du premier, y compris la prime supra-légale, peu courante dans les liquidations judiciaires. Le DAR est alors ouvert à l’ensemble des anciens salariés. Il est couplé avec le contrat de sécurisation professionnelle : Pôle emploi délègue l’accompagnement à trois sociétés, le cabinet Sodie, l’Afpa et BPI Group. Leur alliance a été nécessaire pour couvrir toute la France, sur les 80 sites que comptait le transporteur, avec une mobilisation de 400 consultants et l’organisation de 150 réunions d’information dans des temps très courts, au début du dispositif.

Aujourd’hui, 250 conseillers continuent d’intervenir auprès des quelque 2 300 ex-Mory. Deux ans après le premier PSE, 55 % des 2 412 adhérents au DAR, venant de Mory Ducros, ont retrouvé une situation. Pour Mory Global, le taux de retour à l’emploi paraît meilleur, avec 34 % des 1 878 inscrits au bout d’une seule année. Mickaël Guignet soupire : « C’est une population dont la moyenne d’âge est de 47 ans et l’ancienneté de dix-sept ans dans l’entreprise : elle n’est pas très facile à reclasser. » Didier Parent, directeur de projet à Sodie, note de son côté la diversité des profils, selon les régions et les sites : « Un des problèmes majeurs rencontrés est le niveau de maîtrise du français des salariés issus de pays hors Union européenne. »

Concentrées en Rhône-Alpes et en Ile-de-France, 250 personnes sont ainsi concernées, avec un taux de retour à l’emploi de 16 %. Mickaël Guignet regrette le manque d’investissement de la branche : « Les concurrents directs ont récupéré les parts de marché, mais ont pris des sous-traitants plutôt que d’embaucher directement des chauffeurs. » Pascal Jonckheere, délégué central CFE-CGC, précise : « Beaucoup décident de créer eux-mêmes leur activité, en auto-entrepreneur ou avec leur propre société de transport. » Les anciens de Mory ont bénéficié de la récente ouverture à la concurrence des transports de voyageurs par car. « C’est chez les chauffeurs que le taux de reclassement est le plus élevé, avec plus de 70 % de solutions », reconnaît Didier Parent. Un effet inattendu de la loi Macron.

Un PSE sur deux annulé

Le 7 décembre dernier, le Conseil d’État a confirmé l’annulation du PSE de Mory Ducros, suivant en cela l’avis de la cour d’appel. En cause, un ciblage trop précis des critères d’ordre des catégories professionnelles à licencier. Le plan social se basait sur le périmètre géographique d’une agence. Trop restreint, a estimé le Conseil d’État : il doit au moins être de la taille d’une zone d’emploi. Comme l’entreprise n’existe plus, les salariés ne seront pas réintégrés, mais ils vont pouvoir obtenir des indemnités auprès des prud’hommes. Au bas mot 42 millions d’euros, évaluent les avocats des salariés, versés par l’AGS (association de garantie des salaires).

Auteur

  • Stéphanie Maurice