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L’interview

Jean-Hervé Lorenzi : « Notre contrat social doit devenir un contrat inter-generationnel »

L’interview | publié le : 08.03.2016 | Pauline Rabilloux

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Jean-Hervé Lorenzi : « Notre contrat social doit devenir un contrat inter-generationnel »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Notre contrat social ne fonctionne plus, il faudrait le remplacer par un contrat intergénérationnel, qui remette tout le monde dans le même bateau pour faire naviguer ensemble les générations en panne d’emploi et de sécurité : les jeunes, mais aussi les seniors dont l’horizon de la retraite s’éloigne sans amélioration de leurs perspectives d’emploi.

E & C : Vous partez du constat que notre pacte social ne fonctionne pas et qu’il faut le revoir. Pourquoi ?

Jean-Hervé Lorenzi : Le compromis fordiste qui consistait à échanger du pouvoir d’achat et de la sécurité sociale contre un relatif consensus sur les formes d’organisations sociales a explosé sur la double question du financement de la protection sociale, d’une part, de l’équité entre les citoyens, de l’autre. L’État dit providence est à bout de provendes. Endetté, il ne peut plus assurer aux individus les mêmes protections qu’hier. L’augmentation de la durée de vie et les progrès médicaux, les frais de santé et d’assurance vieillesse engendrent des coûts insupportables pour la collectivité. Par ailleurs, le chômage massif, surtout des jeunes et des seniors, explique que les cotisations sociales ne rentrent pas suffisamment dans les caisses de l’État. L’insécurité sociale liée à la hausse du chômage et de la précarité ruine la confiance dans un système qui paraît aujourd’hui inéquitable. Les jeunes doutent qu’il leur permette un jour de bénéficier d’une retraite, puisqu’ils peinent à entrer dans la course.

Indépendamment des transferts entre classes d’âge – qui ne sont pas si inéquitables que cela si l’on veut bien prendre en compte les avantages de retraites généreuses et de l’éducation des jeunes –, les perspectives d’avenir semblent sombres pour les plus jeunes et les relations sociales se tendent. La France n’a plus les moyens de l’ambition qui était la sienne au lendemain de la guerre, en période de croissance élevée. Pour éviter le délitement qui menace la société civile et ses conséquences extrêmes dans la sphère politique, force est donc de proposer un nouveau contrat social auquel tous puissent adhérer.

Quels en sont les principes ?

Il existe dans notre société deux classes d’intouchables en matière d’emploi. Les jeunes galèrent pour en trouver un, d’autant plus qu’ils sont moins diplômés, voire pas diplômés du tout – 150 000 décrocheurs scolaires par an en moyenne. Les seniors n’arrivent pas à se reclasser quand ils ont le malheur de perdre leur travail alors que leur maintien dans l’emploi serait un facteur de croissance pour l’économie hexagonale dans son ensemble.

Concernant les jeunes, leur insertion sur le marché du travail est lente et se fait souvent dans des conditions de précarité, qui excluent l’accès à un logement indépendant et au crédit. Pas moyen de dénicher un logement sans CDI, et un revenu souvent égal ou supérieur à trois smic et garantie requise par les propriétaires pour éviter les impayés. Or, à peu près aucun jeune dans notre pays n’est embauché à trois fois le smic, ce qui rend le problème insoluble. Cependant, en déplaçant l’approche non sur le revenu mais sur le logement, il y aurait moyen de sortir de l’impasse. Une allocation logement généreuse assumée par la collectivité permettrait à nombre de jeunes de se lancer dans la vie, la mobilité et l’emploi malgré leur manque d’expérience professionnelle. La rançon de la sécurité logement serait pour eux d’accepter des salaires inférieurs au smic – compensés par l’avantage logement – le temps de faire leurs preuves et de n’acquérir des droits, notamment à l’assurance chômage et au licenciement, que progressivement. Cela se fait et semble marcher en Italie, depuis que Matteo Renzi y a introduit le CDI à droits progressifs, très souple pour l’employeur.

La seconde classe d’intouchables concerne les seniors de 55 ans et plus. Ils sont presque incapables de se recaser dans l’emploi s’ils perdent leur travail, alors même qu’on les encourage à travailler jusqu’à 65 ans et peut-être plus à l’avenir. Le problème est que l’horizon de la retraite pénalise en amont leurs possibilités d’accès à la formation dans l’entreprise. À quoi bon former un salarié destiné à la quitter à brève échéance ? Mais ce raisonnement, a contrario, favorise la stigmatisation des seniors. L’âge est le frein principal à l’embauche dans notre pays. D’une part, les seniors non formés sont d’autant plus susceptibles d’être concernés par le chômage que leur savoir-faire est menacé d’obsolescence, ce qui est handicapant dans une économie fondée sur le savoir et l’innovation. D’autre part, en cas de licenciement, leur manque de formation les pénalise sur le marché de l’emploi. Maintenant que les systèmes de préretraites ont disparu, les partenaires sociaux, syndicats en tête, pourraient avoir tout intérêt à se battre pour défendre le droit à la formation des seniors ; et l’État aurait, quant à lui, tout intérêt aussi à encourager ce type de négociations. Le bénéfice en termes de cotisations sociales engrangées pourrait contribuer à l’aide au logement des plus jeunes.

Pourquoi liez-vous le destin des jeunes en panne d’emploi et celui des seniors ?

Plutôt que d’agir sur un seul segment de la population salariée, il nous a semblé plus logique et, nous l’espérons, plus efficace de lier en effet le destin des jeunes et celui des seniors en proposant à ces deux classes d’âge un contrat gagant-gagnant. Un accès facilité au logement et à l’emploi d’un côté contre une rémunération plus basse et des droits progressifs pour les plus jeunes, un allongement de la vie professionnelle pour les seniors, facilité par un droit mieux reconnu à la formation, voire à la reconversion. Un autre aspect essentiel du dispositif que nous proposons consiste en effet à offrir à tout salarié, à un moment de sa carrière, la possibilité d’un an de formation rémunérée afin de parfaire ses connaissances pour progresser dans l’emploi ou même afin de changer complètement d’orientation si l’ennui au travail dans le poste précédent est devenu prégnant. Si la vie professionnelle doit être plus longue, il est essentiel que la motivation au travail soit préservée, voire, renouvelée.

Réfléchir en termes intergénérationnel a le double mérite, selon nous, de recréer du lien en améliorant le sentiment d’équité, tout en insufflant au pays entier l’espoir d’avancer vers une société plus moderne et plus juste, où personne ne sera plus laissé pour compte. Nous ne nous illusionnons pourtant pas. Nous savons que la mutation que nous appelons de nos vœux n’est pas une solution magique. Notre ambition est qu’elle permette d’avancer d’un pas dans le sens du progrès et de la flexibilité, nous aidant ainsi collectivement à sortir de l’impasse.

Jean-Hervé Lorenzi économiste

Parcours

→ Jean-Hervé Lorenzi est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Il est également président du Cercle des économistes et membre du conseil d’administration du groupe Edmond de Rothschild France.

→ Il vient de publier France, le désarroi d’une jeunesse, en collaboration avec Alain Villemeur et Hélène Xuan (Eyrolles).

Lectures

→ La Folie des banques centrales, Patrick Artus et Marie-Paule Virard, Fayard, 2016.

→ La Guerre des mondialisations, Jean-Paul Betbeze, Economica, 2016.

Auteur

  • Pauline Rabilloux