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Les clés

Succéder à… un manager en échec

Les clés | publié le : 01.03.2016 | Marie-Madeleine Sève

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Succéder à… un manager en échec

Crédit photo Marie-Madeleine Sève

Gestion d’équipe. Terrorisée, humiliée ou en roue libre, l’équipe sort souvent exsangue, désorientée ou révoltée d’une expérience avec un chef qui n’était pas à la hauteur de sa tâche. Plutôt que de prendre l’exact contre-pied de son devancier et de tout chambouler, mieux vaut redresser la barre en douceur tout en imprimant sa marque.

«  J’étais inquiet. Le patron commercial, mon futur n + 1, m’a appelé trois jours avant ma prise de fonction. Il m’a annoncé que je ne verrais pas mon prédécesseur. J’ai donc cherché à connaître les raisons de son départ et j’ai découvert le pot aux roses : l’homme était très dur, directif, cassant avec l’équipe. Il avait un chouchou et aiguisait la compétition intraservice. Les gens en étaient dévastés et traumatisés ! » Jean-Marc Boussidan, DG dans le conseil en ingénierie, se souvient de cet épisode homérique de sa jeune carrière de manager. Il débarquait alors à France Télécom pour occuper le poste de chef des ventes dans une filiale experte en visioconférence. Accusant le coup, il a d’abord posé un diagnostic rapide sur l’état d’esprit de ses 15 vendeurs et repéré là où le hiérarchique précédent avait péché.

Il n’est pas rare d’avoir à reprendre en main une équipe qui a été malmenée par son chef. Car les cadres qui sont montés en grade n’ont pas tous la fibre managériale. Piloter une équipe était souvent la seule voie possible pour évoluer, et ils ont échoué. Ou bien le contexte ne leur a pas convenu et, sans le vouloir, ils ont fait des dégâts. Laxistes ou trop autoritaires, invisibles ou archi-contrôlants… ils n’ont pas trouvé le bon dosage entre fermeté et bienveillance, indispensable pour bien exercer leur rôle. Et c’est le suivant qui ramasse les pots cassés.

Profil bas

« Dès lors, il faut savoir que les collaborateurs ont de fortes attentes, un désir quasi idéalisé de changement, souligne Vincent Dicecca, consultant chez CSP Formation et auteur d’un guide sur le sujet*. Gare alors à ne pas jouer les Zorro, au risque de les décevoir. Mieux vaut se montrer humble, avec toutefois un projet amùbitieux. » Pour établir le contact et restaurer la confiance, cet expert en management conseille, le premier jour, de se présenter au cours d’un point convivial et informel. L’idée est d’exposer son parcours, de dire pourquoi on est là, en quoi on voulait ce poste, pourquoi on est content de l’avoir obtenu, de signaler ses habitudes de travail, ses valeurs et ce qu’on escompte de l’équipe. Ce qui donnera de la visibilité sur la suite et désangoissera les troupes.

Jean-Marc Boussidan a tenu à ce que son supérieur chez France Télécom parle de lui, en amont, à ses futurs n -1, de ses expérience, de ses réussites et de ce qu’il n’avait pas encore fait. « Je voulais que ça soit clair, je n’arrivais pas en conquérant. Puis le jour “J”, j’ai indiqué des objectifs, en écoutant beaucoup afin d’apaiser les âmes. J’ai aussi posé un planning de rencontres et arrêté une réunion d’équipe… dans les 15 jours. Ce qui suffit à éteindre les rumeurs. »

Il est bon aussi d’organiser une “purge”, pour évacuer les peurs et frustrations, préconise Vincent Dicceca chez CSP. « Une catharsis collective peut s’effectuer lors d’une réunion spécifique : grâce à des mots écrits sur des post-it, ou à un tour de table, la parole se libère et chacun exprime comment il a vécu les dysfonctionnements. » Puis vient la phase d’évaluation de la situation, via une observation précise. Le manager a intérêt à noter au fil de l’eau ce qu’il voit, apprend et ressent (ça me plaît, ça m’interroge), et ses pistes d’amélioration. Ce sera une base de départ pour co-construire un plan d’action, au cours d’un séminaire qui conclura, par ailleurs, une série d’échanges individuels avec les collaborateurs.

Évaluation

« Il s’agit de recréer du lien social dans le groupe avant de songer à produire du résultat, assure Patrick Roth, directeur associé du cabinet Hommes & Performance. Les voir en face à face permet d’identifier leurs préoccupations, leurs besoins. » Gare à échelonner les rencontres pour garder du recul. « J’ai tenu à m’entretenir avec tout le monde, n -1 et n -2, durant deux heures, qu’ils soient cadres, techniciens ou employés, raconte Anne, ex-responsable de R & D dans une société d’agroalimentaire et qui succédait à une cheftaine scolaire et rigide. Soit 40 personnes en trois semaines. Après deux mois, nous sommes tous partis deux jours au vert, près de Paris, où j’ai impulsé une direction, nourrie de nos discussions. »

Durant ce temps d’apprivoisement réciproque et de maturation – qui ne nécessite pas forcément 100 jours – le manager va distiller des micro-changements, qui marqueront peu à peu son empreinte. Le plus facile consiste à changer des rituels. Ainsi Anne a-t-elle poussé très tôt ses cinq chefs de groupe (n -1) à coanimer les réunions mensuelles avec elle, et elle a introduit des feedbacks constructifs. Jean-Marc Boussidan a, lui, monté des challenges collectifs avec des objectifs accessibles, afin de ressouder l’entité. Il a aussi instauré des déjeuners mensuels, offerts par la maison, et obtenu de son boss de réviser un mode de rémunération démotivant pour ses commerciaux. Au bout de trois mois, la confiance et les chiffres étaient au rendez-vous !

* Les 5 clés pour réussir ses premiers pas de manager, Dunod, mars 2014

Les conseils du coach

Silvana Frazzetta

Coach fondatrice d’Atmosphere Coaching.

1

Éviter de s’attarder sur le passé

Rencontrer le manager précédent peut être utile pour recueillir son point de vue, apprendre ses difficultés, des faits historiques marquants. Attention toutefois à ne pas vous laisser polluer par le message – émanant de lui ou d’autres – « C’est une équipe difficile ! ». Gardez-vous également de juger votre prédécesseur ou de cautionner les critiques sur lui. Il peut avoir échoué ici, mais se révéler bon patron ailleurs. Avec les collaborateurs, armez-vous de patience et de compréhension, il ne sert à rien de lutter contre des insuffisances héritées de la période précédente.

2

Rassurer grâce à la méthode des 3P

D’entrée de jeu, il s’agit de donner de solides repères à un collectif parfois déboussolé. Posez (ou ajustez) en douceur des règles de vie et de travail. Adoptez les “3 P”. Le P de Protection, qui donne des garanties de confidentialité, de respect mutuel, de bienveillance devant un problème, tout en rappelant l’objectif commun et les responsabilités de chacun. Le P de Permission, qui encourage, reconnaît les initiatives, accorde le droit à l’erreur, autorise à exprimer ses désaccords, favorise le feedback, etc. Le P de Puissance, qui est le résultat des deux premiers, puisqu’il aborde la performance collective, ce dont tout le monde doit prendre conscience.

3

S’adosser sur les points forts du groupe

Une équipe en déroute n’est jamais totalement ruinée, elle a fonctionné de façon singulière pour survivre ou pallier les défauts de son chef. En roue libre, face à un manager laxiste ou absent, elle a pu développer un esprit de solidarité, une forte autonomie. Ligotée face à un tyran, elle a dû faire preuve d’habileté, d’inventivité, pour trouver de l’oxygène, s’adapter. L’idée consiste à impulser une dynamique à partir de ce qui marche, de la ressource, des talents repérés en vue d’opérer des réorientations en profondeur.

Auteur

  • Marie-Madeleine Sève