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L’interview

Jérôme Lartigau : «  À l’hôpital, la GRH N’est plus l’apanage exclusif de la DRH »

L’interview | publié le : 08.12.2015 | Frédéric Brillet

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Jérôme Lartigau : «  À l’hôpital, la GRH N’est plus l’apanage exclusif de la DRH »

Crédit photo Frédéric Brillet

La spécificité des métiers qui y sont exercés, l’organisation de l’hôpital public et ses réformes successives laissent peu de marges de manœuvre aux DRH. Ils doivent à la fois maîtriser des coûts dans un contexte de fusion des établissements et remotiver des équipes usées par le rythme de travail.

E & C : Qu’est-ce qui fait la singularité de la fonction RH dans l’hôpital public ?

Jérôme Lartigau : Elle se singularise d’abord par le fait qu’elle doit gérer deux catégories très différentes : d’une part, les praticiens hospitaliers, qui dépendent en partie d’entités extérieures – Conseil de l’ordre, sociétés savantes, etc. –, qui peuvent exercer à côté une activité libérale, se considérant comme membres d’une corporation transcendant le cadre hospitalier. D’autre part, des personnels paramédicaux ou non médicaux, employés ou cadres, qui relèvent pleinement de la direction de l’établissement. Cette dualité est tellement prégnante que les hôpitaux ont souvent créé des services RH spécifiques pour ces deux catégories. Autre particularité, la primauté de la profession médicale, historiquement le pilier de l’institution hospitalière : cet héritage symbolique, combiné à une grande influence auprès du grand public et dans le milieu politique, contribue à l’extraordinaire capacité de résistance de cette profession aux changements institutionnels décidés par le ministère de la Santé et que les DRH doivent conduire sur le terrain. C’est la raison pour laquelle, très souvent, les réformes structurelles sont faites sans, voire contre les médecins, qui craignent de partager le pouvoir avec des managers et auditeurs qui contrôlent de plus en plus leurs décisions. Les DRH doivent enfin tenir compte des caractéristiques du personnel – à l’hôpital, les salariés sont plutôt jeunes, qualifiés, et sont à 75 % des femmes – et du fait que la masse salariale représente en moyenne 70 % des charges d’exploitation dans les établissements.

Quel effet la tarification à l’activité (T2A) a-t-elle eu sur la GRH ?

En instaurant un financement qui dépend de l’activité, la T2A marque une vraie rupture dans la gestion hospitalière et ce, d’autant que l’hôpital public doit rapprocher ses coûts du privé, chaque acte médical disposant désormais d’un codage tarifaire. Étant donné le poids de la masse salariale, les mesures d’économies en cas de dérapage se traduisent par des conséquences en termes d’emploi. Les évolutions sont cependant progressives. Un DRH peut embaucher ou s’abstenir de renouveler les partants mais pas licencier, puisque le statut l’interdit. Il n’empêche, le volume de postes supprimés depuis l’entrée en vigueur de la T2A est important. Et de nombreux établissements se servent aujourd’hui de la T2A pour le pilotage, transformant la DRH en une direction qui alloue ou refuse des moyens humains en fonction de l’activité et de référentiels externes. Ce qui crée évidemment des tensions entre les DRH et les pôles qui regroupent les anciens services et spécialités.

Désormais, en vertu du principe de subsidiarité, la GRH n’est plus l’apanage exclusif de la DRH, mais elle est déconcentrée et partagée avec les responsables de pôles. Reste que cette réforme, en introduisant un échelon supplémentaire, a compliqué la gestion des moyens. Les responsables de ces pôles sont en effet des médecins hospitaliers sur lesquels les directions ont un pouvoir relativement limité. Quand un pôle dispose de trop de personnel, quand un autre souffre de pénurie, la direction peut difficilement imposer la mobilité interne. La forte proximité de certains chefs de pôle avec les décideurs politiques a même pu bloquer des décisions justifiées par la nécessité d’ajuster la taille d’un service à son niveau d’activité ou aux besoins locaux.

Quel rôle les DRH jouent-ils dans la réforme de la carte hospitalière ?

Ils sont en première ligne dans l’application des réformes difficiles, qui visent à maîtriser les coûts. Les plus récentes, issues de la loi HPST de 2009 et de la loi santé à venir, préconisent la fusion entre établissements et de nouveaux groupements hospitaliers de territoire (GHT). Dans ces deux cas, la DRH est amenée à jouer un rôle majeur, dans la mesure où elle sera l’interlocutrice privilégiée des différentes parties prenantes internes – syndicats – et externes – élus locaux, agences régionales de santé… – et dans son rôle d’experte en RH, surtout s’il faut harmoniser les pratiques des établissements entrant dans le GHT.

Du point de vue du DRH, comment le fort taux d’absentéisme s’explique-t-il ?

Selon l’Insee, la proportion d’agents malades au moins un jour au cours d’une semaine dans l’année est plus élevée dans les hôpitaux (4 %) que dans l’administration d’État (2,9 %) et le privé (3,6 %). Les causes sont multiples et ce taux, qui varie fortement d’un établissement à l’autre, a augmenté. Le vieillissement des agents qui exercent des métiers pénibles avec des horaires décalés, l’empilement et l’accélération des réformes ont leur part de responsabilité. D’autres établissements ne parviennent pas à se doter d’un système efficace de gestion des plannings. Or l’on sait que la stabilité des plannings améliore le présentéisme. Mais le fait d’avoir des DRH distinctes entre le personnel médical et non médical complique cette tâche. L’absentéisme est d’autant plus préoccupant qu’il se nourrit de lui-même, la charge de travail retombant sur les salariés présents, qui finissent eux aussi par craquer.

Comment motiver les équipes hospitalières à gagner en efficience ?

C’est difficile, car les efforts demandés sont généralement perçus comme un recul des avantages acquis sans contrepartie. Les DRH ne peuvent en effet guère récompenser les salariés de leur contribution au changement, sachant que l’heure est aux économies. On paie les effets pervers de la décentralisation : les élus ont encouragé la construction de trop nombreux hôpitaux, avec une offre de soins mal coordonnée. Il revient aujourd’hui aux directeurs d’hôpitaux et aux DRH de corriger ces erreurs. La loi « Hôpital, patients, santé, territoires » (HPST) a heureusement clarifié la gouvernance : les maires ne président plus les conseils d’administration des hôpitaux et ne peuvent plus bloquer les réorganisations comme avant. Mais la pilule passe difficilement, quand bien même l’emploi est préservé : ainsi, la reconversion d’un hôpital en établissement de soins pour personnes âgées est souvent vécue par les personnels, la population et les élus locaux comme une perte de prestige, ce qui suffit à susciter des oppositions.

Quelle leçon tirer de la récente signature d’un accord à l’AP-HP réformant l’organisation et le temps de travail des salariés non médecins ?

Cet accord a une portée symbolique considérable, puisque, pour la première fois sans doute dans l’histoire hospitalière, l’AP-HP converge avec le reste de la fonction publique hospitalière, notamment en matière de temps de travail. Certes, l’accord est signé avec la CFDT, une organisation minoritaire, mais tout laisse à penser que le nouveau régime s’inscrira dans la durée. En effet, le maintien des avantages consentis aux personnels était intenable sur le long terme, à la fois pour des raisons d’équilibre économique et d’exemplarité. La direction générale a, de mon point de vue, réussi son pari. Nous verrons si l’action des syndicats opposés à l’accord RTT arrive à inverser le rapport de forces, mais j’en doute.

Jérôme Lartigau maître de conférences en sciences de gestion

Parcours

→ Jérôme Lartigau est maître de conférences en sciences de gestion au Cnam, à la chaire d’Économie et gestion des services de santé. Entre 1995 et 2008, il a été directeur adjoint aux CHU de Toulouse puis de Montpellier.

→ Il est coordinateur de l’ouvrage collectif Les Nouveaux Défis de la GRH à l’hôpital (Infodium, 2015) et corédacteur d’un ouvrage sur le contrôle de gestion hospitalier (à paraître prochainement aux éditions Berger-Levrault).

Lectures

→ 2084, de Boualem Sansal, Gallimard, 2015.

→ Les Décisions absurdes,Christian Morel, Gallimard, 2002.

→ Le Prix de l’incompétence, Christine Kerdellant, Denoël, 2000.

Auteur

  • Frédéric Brillet