logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’enquête

Fonction publique d’État : Prévention des RPS : l’administration au pied du mur

L’enquête | publié le : 08.12.2015 | V. L.

Image

Fonction publique d’État : Prévention des RPS : l’administration au pied du mur

Crédit photo V. L.

La Fonction publique, et notamment celle de l’État, connaît des changements profonds dans son organisation et ses modes de travail. Autant de situations qui affectent les conditions de travail des agents et rendent indispensable la prévention des risques psychosociaux. L’administration s’est engagée dans cette voie depuis quelques années et en fait une priorité. Mais elle a encore beaucoup à accomplir.

D’ici au 31 décembre 2015, chaque ministère doit avoir élaboré un plan de prévention des risques psychosociaux (RPS), avec auparavant un diagnostic des facteurs de RPS intégré dans le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUERP). Cette obligation, actée dans un accord du 22 octobre 2013 relatif à la prévention des RPS dans la Fonction publique, fera l’objet d’un premier bilan de mise en œuvre en 2016. Au même moment seront connus les résultats d’une enquête sur les RPS. Le sujet est aussi une priorité de la formation professionnelle des agents de l’État pour 2016.

« Dans la Fonction publique de l’État, la prévention des RPS est clairement identifiée comme l’une des grandes priorités des politiques de prévention menées par les ministères et fait l’objet, à ce titre, d’un dialogue social important au sein des CHSCT aussi bien ministériels que de proximité », écrit la DGAFP(1) dans le rapport annuel 2015 sur l’état de la Fonction publique publié fin novembre.

Droit de retrait

Comme dans le secteur privé, depuis plusieurs années, les réorganisations de la Fonction publique affectent les conditions de travail et sont source de risques psychosociaux pour les agents. « Nous n’avons pas un diagnostic partagé avec le gouvernement sur ce sujet de la souffrance au travail, affirme Olivier Bouis, secrétaire fédéral FGF-FO, premier syndicat dans la Fonction publique d’État. Pour nous, elle est liée aux choix de restructurations des services, avec la réforme de l’administration territoriale de l’État, la révision générale des politiques publiques (RGPP) et la modernisation de l’action publique (MAP). On ne peut pas évacuer la question des effectifs, des rémunérations, de la charge de travail et de la pression sur les chefs de service, qui se répercute sur l’ensemble des agents. »

« La proportion de fonctionnaires ayant exercé leur droit de retrait est supérieure à celle des salariés. Et c’est souvent lié aux phénomènes d’agressions verbales ou physiques qu’ils subissent », observe de son côté Luc Rouban(2), directeur de recherche au centre d’études politiques de Sciences Po (Cevipof-CNRS). Selon la Dares, 13 % des fonctionnaires (12 % des salariés du privé) avaient exercé leur droit de retrait entre avril 2012 et avril 2013, et 36 % de tous ceux ayant invoqué ce droit à la suite d’une agression sont des fonctionnaires.

De plus, souligne le chercheur, la réduction des effectifs, notamment dans la Fonction publique de l’État (-14 % entre 1990 et 2010 en moyenne) – sauf pour certains ministères régaliens – a été concomitante à la crise économique. Par conséquent, les services de l’État ont dû faire face à des usagers fragilisés et à une multiplication des dossiers à traiter. « À cela s’ajoutent des indicateurs de gestion, requis pour mesurer la performance et le rendement, en décalage avec la réalité du travail, une gestion du personnel relativement pauvre par rapport aux autres pays européens, et un niveau d’autonomie assez faible », énumère Luc Rouban.

Changement permanent

Par ailleurs, la succession des réformes et leur rythme s’avèrent un facteur déstabilisant : « On a à peine fini la Réate [réforme de l’administration territoriale] qu’il faut refusionner des administrations territoriales de l’État avec la nouvelle loi d’organisation territoriale (loi NOTRe) !, déplore Michel Agostini, directeur associé de Secafi, chargé de la Fonction publique. Le changement permanent ne fait pas forcément sens… » Dans ce contexte, les demandes d’accompagnement sont croissantes auprès de l’Anact. « Elles émanent des trois fonctions publiques mais elles ont beaucoup progressé ces dernières années dans les fonctions publiques territoriale et d’État », atteste Philippe Douillet, chargé de mission au département études, capitalisation et prospective de l’agence et copilote du projet « accompagnement de la Fonction publique dans une stratégie de qualité de vie au travail » (lire p. 21).

Dès 2009, dans son accord sur la santé et la sécurité au travail, la Fonction publique abordait le sujet des RPS. « L’administration avec les organisations syndicales négociatrices a réussi à réaliser une bonne production contractuelle sur les questions liées au travail, un sujet nouveau pour la Fonction publique. Avec, notamment, la transformation des CHS en CHSCT, on a enfin pu traiter le sujet des conditions de travail comme un objet de débat social ; c’est une avancée considérable », assure Michel Agostini.

En 2013, le protocole d’accord dédié à la prévention des risques psychosociaux a été signé par une majorité de syndicats. Et il annonçait déjà la réflexion plus globale à mener sur la qualité de vie au travail. Mais la négociation menée en 2015 n’a pas abouti, faute de l’aval d’une majorité de syndicats (lire Entreprise & Carrières n° 1223 et 1229). La CGT, FO, Solidaires et la FSU ont refusé de le signer. La CGT dénonçait notamment la politique de suppressions d’emplois menée par le gouvernement et la faible implication des employeurs publics dans la déclinaison de l’accord sur les RPS. Le projet d’accord consacrait un droit d’expression directe sur le contenu et l’organisation du travail, ainsi qu’un droit à la déconnexion. « Rien ne contraint aujourd’hui les directions à aller dans ce sens, regrette Maïté Druelle, secrétaire générale adjointe de l’Uffa-CFDT fonctions publiques. Avec le texte sur la QVT, nous voulions donner un nouveau souffle au sujet de la prévention des risques psychosociaux. »

Expérimentations

De nombreuses initiatives ont été prises dans les ministères, bien avant l’accord de 2013(3). « Dès 2006, nous avons commencé à travailler sur ce sujet, nous étions alors précurseurs, avance Anne Colomb, représentante CFDT au ministère des Affaires étrangères. Le ministère a finalisé son plan de prévention des RPS dès le début 2013, et il est actuellement en cours d’actualisation. » De son côté, le ministère de l’Économie et des Finances a même expérimenté des espaces de dialogue sur le travail (lire Entreprise & Carrières n° 1217), et il déploie un vaste programme de formation à destination des cadres (lire p. 23). Dans la gendarmerie, les plans d’action vont démarrer en 2016 (lire p. 24). Et l’Éducation nationale a décidé de faire de la prévention des RPS une priorité en 2016 en lançant des groupes de travail avec huit académies (lire p. 26). Les services déconcentrés sont aussi en première ligne pour engager des actions sur ce champ : la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) Pays de la Loire a par exemple travaillé longuement avec les représentants des agents pour aboutir à un plan d’action approuvé unanimement en 2014 (lire p. 25).

« La DGAFP a fait de gros efforts de production d’outils d’accompagnement, constate Michel Agostini. Mais demeure le problème de la capacité d’appropriation des acteurs de terrain. Elle dépend beaucoup du degré d’engagement des responsables administratifs. Nous constatons que les démarches qui se développent le plus consistent en l’installation de cellules de veille avec les RH, les services de santé et les assistantes sociales, les CHSCT, qui prennent en charge les situations les plus détériorées dans le champ de la prévention tertiaire. La formation est aussi très présente, mais personne ne s’engage réellement dans la prévention primaire, faute de moyens pour traiter la source des problèmes, et cela quel que soit le niveau de responsabilité. » Pourtant, les actions dans ce domaine sont signalées comme essentielles dans les circulaires ministérielles, tout comme celles visant le management. Une circulaire du Premier ministre du 10 juin 2015 affirme la nécessité « d’amplifier le travail réalisé sur le management au sein des services et de renforcer la capacité des cadres à agir, à accompagner, à réformer ».

Ces cadres sont d’ailleurs évalués sur la façon de manager leurs équipes. Par ailleurs, signale Anne Colomb, au ministère des Affaires étrangères, « tous les nouveaux arrivants de catégorie A suivent des stages d’intégration et des modules sur le sujet de la gestion d’équipe et de la prévention des RPS. L’administration a mis en place des coachings, auxquels il est recouru en cas de mauvais management, et qui semblent donner de bons résultats. » Dans ce ministère aussi, une « charte du temps » a été adoptée cet été pour permettre une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, instaurer un droit à la déconnexion, mais aussi changer de culture en dénonçant les pratiques de présentéisme, signale Thierry Duboc, représentant de la CFDT au ministère des Affaires étrangères.

(1) Sollicitée, la DGAFP n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

(2) Auteur de La fonction publique en débat, la Documentation française, septembre 2014.

(3) Le site Internet de la mission Santé-sécurité au travail dans les fonctions publiques (MSSTFP), Intefp, www.intefp-sstfp.travail.gouv.fr, est une riche base documentaire des différents accords et textes ministériels dans le domaine de la santé-sécurité au travail, y compris les risques psychosociaux et la qualité de vie au travail.

Auteur

  • V. L.