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L’interview

Michel Debout : « Les troubles psycho-relationnels lies au travail doivent être reconnus en maladie professionnelle »

L’interview | publié le : 01.12.2015 | Laurent Poillot

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Michel Debout : « Les troubles psycho-relationnels lies au travail doivent être reconnus en maladie professionnelle »

Crédit photo Laurent Poillot

Les tableaux de reconnaissance des maladies professionnelles sont devenus anachroniques. Les pathologies psychiques au travail, dont le burn-out, auraient toute légitimité pour y figurer.

E & C : En 2001, le Conseil économique, social et environnemental vous avait confié un rapport sur le harcèlement moral au travail, dont la loi de 2002 a repris la définition. Aujourd’hui, vous demandez la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Quelles sont vos chances d’être entendu ?

Michel Debout : Il existe une conjonction de mobilisations. Elles ont été initiées par Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet Technologia, par un groupe de médecins du travail de Touraine, qui a lancé un appel pour que l’épuisement professionnel soit reconnu comme une maladie professionnelle, puis par des syndicalistes comme Anne-Juliette Tillay, de l’Unsa Paris, par l’ancien ministre de l’Emploi Jean Le Garrec et, récemment, par le député Benoît Hamon, qui a déposé un amendement dans ce sens.

Le groupe d’experts interrogé par le gouvernement au printemps 2014 avait considéré que le burn-out était un syndrome, et non une maladie pouvant être établie par un lien direct cause-conséquence.

Je ne comprends pas cet argument. Sans doute s’était-il référé aux tableaux de maladies professionnelles qui ont été pensés il y a un siècle. Ils étaient adaptés à des pathologies physiques ou fonctionnelles, qui supposaient l’intervention d’un agent extérieur et rendaient pertinente la notion de durée d’exposition. Par exemple, la silice, dans le déclenchement de la silicose qui atteignait les ouvriers des mines.

Ce modèle ne fonctionne pas pour les troubles psychologiques et relationnels, liés aux situations de travail, dont il est question aujourd’hui. La durée d’exposition a peu d’intérêt parce que l’épuisement professionnel peut être consécutif à des événements extrêmement traumatisants, sur une courte durée, ou bien à une usure progressive conduisant, à la longue, au même épuisement émotionnel et narcissique – au sens de la bonne image de soi dont nous avons tous besoin pour exister normalement.

Les tableaux des maladies professionnelles suggèrent aussi qu’elles sont spécifiques à des métiers ou à des situations professionnelles précises. Or ce n’est pas le cas des troubles psycho-relationnels : ils s’observent dans toutes les situations de travail, y compris dans des métiers qu’on n’imagine pas exposés. Même l’écrivain, créateur isolé, a besoin d’être au contact des autres pour diffuser son travail. Forcément : le travail socialise. C’est même ce qui en fait la richesse. Il nous relie aux autres, individuellement, mais aussi à la société tout entière des producteurs. Perdre son travail, par maladie ou par souffrance, revient à perdre ce lien.

D’accord. Mais si le déclenchement d’un burn-out repose sur de multiples facteurs, la complexité des causes ne permet pas d’en faire une maladie professionnelle.

Les maladies sont toutes multifactorielles – facteurs de risque et de protection. Donc, si cette objection est valable pour le burn-out, elle s’applique aussi à toutes les maladies professionnelles reconnues.

En 2001, lorsqu’il s’est agi de reconnaître les effets pathologiques du harcèlement moral au travail lors du débat au Conseil économique et social, dont j’étais le rapporteur, les représentants du Medef avaient expliqué que les personnes en dépression l’étaient souvent pour des raisons extérieures au travail. Pour eux, les employeurs n’avaient pas à prendre en charge toutes les dépressions des Français. J’avais répondu qu’il n’en était pas question, mais je leur avais fait remarquer que, puisqu’un événement familial ou social pouvait être, selon eux, à l’origine d’une dépression, des événements traumatiques au travail pouvaient l’être tout autant. Et que c’était au médecin, éventuellement un spécialiste comme le psychiatre, de faire le lien entre la situation de travail et l’état psychologique dégradé de la personne.

Pour vous, le harcèlement se situe-t-il sur le même plan que le burn-out ?

Leurs effets pathologiques sont liés à la relation du travail. Que l’on parle d’une situation harcelante, d’une agression ou d’un épuisement professionnel, les symptômes doivent être reconnus en maladie professionnelle, et ce quel que soit le taux d’incapacité de la personne. Le taux actuel de 25 % requis pour cette reconnaissance est inapplicable pour de telles situations.

Or cette reconnaissance est importante pour trois raisons : la première est que l’Assurance maladie paie les arrêts de travail et les soins, alors que ce devrait être à l’entreprise génératrice de la maladie de le faire ; la deuxième raison est que, à défaut de reconnaissance, on ne peut pas établir de connaissance épidémiologique précise, scientifique, à la fois quantitative et qualitative – quels services, quels métiers, quels employeurs publics et privés. On s’empêche donc de développer la prévention, tandis qu’il existe une obligation de résultat depuis la jurisprudence de septembre 2013.

La troisième raison est d’ordre clinique. Sans reconnaissance, on ne s’intéresse pas à ce qui a fragilisé la personne, alors qu’il faut analyser ses tensions professionnelles pour qu’elle comprenne pourquoi elle n’a pas pu y faire face et se convainque qu’elle n’est pas anéantie pour autant. L’empêcher ainsi de se reconstruire est un contresens thérapeutique.

Selon vous, quels sont les obstacles à lever ?

La peur est le principal d’entre eux. La peur des employeurs d’avoir trop de salariés en mauvaise santé si cette reconnaissance existait. Or c’est en reconnaissant l’existence du trouble qu’ils auront tous leurs salariés en bonne santé, puisqu’ils agiront en prévention du risque. Ce n’est pas une charge supplémentaire, mais un investissement, car avoir des employés en bonne santé est bénéfique à la productivité.

Seule la pédagogie permettra, par la confrontation au réel, de lever cette peur qui alimente aujourd’hui le lobbying des regroupements interprofessionnels, des acteurs sociaux et des partis politiques. La connaissance des troubles psychologiques est devenue tout aussi scientifique que celle des maladies dites physiologiques ou organiques. Il faut arrêter de considérer comme totalement subjectif – donc idéologique et partial et hors d’atteinte d’une observation objective – ce qui relève de la psychologie humaine. Aujourd’hui, la pensée des hommes n’est plus un trou noir.

Michel Debout Médecin psychiatre

Parcours

→ Michel Debout est médecin légiste et psychiatre, professeur émérite de médecine légale et de droit de la santé, ancien chef du service de médecine légale au CHU de Saint-Étienne.

→ Il milite pour une reconnaissance en maladie professionnelle de toutes les pathologies psychiques liées aux situations de travail.

→ Il est l’auteur notamment du Traumatisme du chômage. Prévenir le suicide des chômeurs (l’Atelier, 2015).

Lectures

→ Psychopathologie du travail, Christophe Dejours et Isabelle Gernet, Elsevier Masson, 2012.

→ Travail : les raisons de la colère, Vincent de Gaulejac, Seuil, 2011.

→ Risques psychosociaux au travail, Y. Grasset, M. Debout, S. Rouat, O. Bachelard, éditions Liaisons, 2e éd. 2011.

Auteur

  • Laurent Poillot