« Mieux vaut poser le principe de supplétivité »
Deux approches juridiques sont possibles. Soit on adopte le principe de la dérogation : les normes de niveau inférieur – en l’espèce l’accord d’entreprise – peuvent être différentes voire moins avantageuses que les normes de niveau supérieur – l’accord de branche –, sauf dans les quatre domaines définis par la loi où la branche s’impose : les salaires minima, les classifications, les garanties collectives dont les risques sont mutualisés, et les fonds recueillis au titre de la formation professionnelle. Personnellement, j’ajouterais aussi les indemnités de rupture du contrat de travail. Ces quatre ou cinq domaines correspondent en fait à la valeur ajoutée de la branche pour les entreprises qui ne peuvent pas négocier, pour mutualiser et pour égaliser les conditions de concurrence. C’est précisément pour cela qu’ils sont cadrés par la loi.
L’autre approche est la supplétivité : le niveau décentralisé – l’entreprise – fixe la norme ; à défaut, c’est la norme de niveau supérieur – la branche – qui s’impose. L’intérêt de cette approche, que je défends, est de donner davantage d’autonomie à la négociation. Avec ce principe, la question de savoir si l’accord d’entreprise est moins favorable ne se pose plus.
La loi de mai 2004 adoptait l’approche dérogatoire, mais, en fait, aucun accord d’entreprise dérogeant à l’accord de branche n’a été signé. D’une part, parce que les accords de branche dataient d’avant 2004, d’autre part, parce que ceux signés ensuite interdisaient toute dérogation. Du coup, le principe de supplétivité a été posé dans la loi d’août 2008 sur le temps de travail. Cela était nécessaire, car les branches avaient fixé des quotas d’heures supplémentaires dont les entreprises ne pouvaient pas s’affranchir.
C’était le cahier des charges de la loi de 2008. Nous avions saisi les partenaires sociaux sur la démocratie sociale et le temps de travail ; la loi ne pouvait pas aller plus loin. Par la suite, le gouvernement n’a plus eu l’occasion d’y revenir.
Le rapport Combrexelle est ambigu sur ce point ; c’est la marge qu’il laisse au politique. Il donne l’impression de prôner la supplétivité tout en posant un ordre public conventionnel défini par la branche. Le document gouvernemental – un dossier de presse – peut paraître contradictoire puisque, d’un côté, il affirme qu’il n’y a pas d’inversion de la hiérarchie des normes, et d’un autre, il indique que la loi déterminera le champ de l’ordre public conventionnel, auquel il ne pourrait être dérogé.
Je n’y crois pas. Sur quels critères les pouvoirs publics se fonderaient-ils pour juger que le verrouillage de la branche est trop fort ? Par ailleurs, l’extension ne fait pas tout : l’accord de branche s’appliquerait à ceux qui y adhèrent. Enfin, je vois mal les pouvoirs publics s’opposer à un accord de branche signé en bonne et due forme. Mieux vaut poser le principe de supplétivité plutôt que de laisser aux partenaires sociaux de branche le soin d’énumérer eux-mêmes ce à quoi les entreprises peuvent déroger.
* Conseiller puis directeur adjoint du cabinet du ministre du Travail entre 2007 et 2012.