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Dialogue social : Les accords de branche sur la sellette

L’enquête | publié le : 24.11.2015 | E. F.

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Dialogue social : Les accords de branche sur la sellette

Crédit photo E. F.

Alors que démarre la concertation sur la réforme du Code du travail visant à renforcer la négociation collective, la valeur ajoutée de la branche est questionnée. Ses détracteurs estiment qu’elle est incapable d’assumer ce rôle et qu’il faut décentraliser les négociations dans les entreprises. Ses défenseurs arguent que les petites et moyennes entreprises ne sont pas équipées pour négocier. Le gouvernement n’a pas encore arbitré.

À la fois indispensables et gênantes, les branches sont de nouveau l’objet de toutes les attentions. Quelle place occuperont-elles à l’issue de la future réforme du Code du travail prévue dans deux ans, mais qui s’appliquera dès l’année prochaine dans le domaine du temps de travail ? Les branches regardent bien sûr ce projet avec intérêt. Celles que nous avons interrogées (métallurgie, habillement succursaliste, services à la personne et sociétés d’assurance) réagissent très diversement au projet du gouvernement (lire pp. 21 à 25). Une constance apparaît néanmoins : là où les très grandes entreprises sont majoritaires, les représentants patronaux veulent davantage d’autonomie pour les entreprises.

À ce stade, seules les grandes lignes du projet, exposé le 4 novembre dernier par Manuel Vals, sont connues : « donner plus de place à l’accord d’entreprise », « renforcer le rôle de la négociation au niveau de la branche », le tout sans remettre en cause la hiérarchie des normes. Plusieurs options sont ouvertes, avec trois schémas juridiques possibles : maintenir le principe actuel de hiérarchie des normes ; l’assouplir en permettant aux entreprises d’y déroger ; y renoncer en faisant de l’accord d’entreprise la norme et de l’accord de branche son supplétif. Le rapport Combrexelle, qui inspire le projet du gouvernement, pousse vers les deux dernières solutions mais sans trancher.

Le respect de la hiérarchie des normes est central pour la CGT et FO, et commence à devenir un abcès de fixation chez les parlementaires. « Les députés vont réagir de manière très politique, explique Jean-Frédéric Poisson, député LR et auteur d’un rapport sur les branches professionnelles en 2009. Ils ne sont pas à l’aise avec l’inégalité de sort d’une entreprise ou d’une branche à l’autre. »

Risque de blocage

Une autre option est de maintenir la hiérarchie des normes mais d’autoriser les entreprises à signer des accords moins favorables que les accords de branche. C’est possible depuis la loi de mai 2004 sur le dialogue social (lire l’encadré). Dix ans après, force est de constater que les entreprises ne se sont pas du tout saisies de cette possibilité. Selon une enquête de la Dares de 2008(1), la loi de 2004 a été vidée de sa substance par les branches qui ont interdit toute possibilité d’accord d’entreprise dérogatoire, par crainte des excès patronaux, méconnaissance du dispositif ou instinct de survie. Cet épisode est à l’origine d’une grande méfiance à l’égard des branches. « Ma crainte, ce sont les branches : si le Code du travail s’assouplit mais avec des branches qui bloquent tout, cela ne fera que déporter le problème », explique Stéphane Beal, avocat au cabinet Fidal et président de la commission juridique de l’ANDRH. Mais même dans les branches qui n’ont rien “verrouillé”, les entreprises n’ont pas signé d’accords dérogatoires. Soit parce que ces branches sont composées de PME sans capacité de négociation, soit parce que la branche ne propose qu’un socle minimal dont les entreprises n’ont pas d’intérêt à se passer (cas des succursalistes de l’habillement). À noter que les branches ne sont pas toujours bloquantes : elles ont par exemple largement signé des accords pour que leurs entreprises puissent faire travailler leurs salariés moins de 24 heures par semaine.

À cette crainte plus ou moins justifiée du blocage, s’ajoute une accusation de dogmatisme à l’encontre de négociateurs syndicaux de branche et le constat que la plupart d’entre elles sont tombées en sommeil et n’ont rien négocié depuis des années. Dès lors, comment leur confier davantage de prérogatives pour négocier ? La réponse du gouvernement est d’en réduire le nombre, de 700 actuellement à 100 dans quelques années. Mais, d’ici là, les branches risquent d’être toujours perçues, à tort ou à raison, comme un obstacle au renforcement de la négociation collective.

D’où la troisième option, qui consiste à faire de l’accord d’entreprise la norme, l’accord de branche suppléant son absence. Approche idéologique visant à supprimer le Code du travail et à le transférer aux grandes entreprises, disent certains. Solution par défaut, estiment d’autres : « Ce n’est pas que les entreprises aient envie de négocier, mais elles sont souvent livrées à elles-mêmes pour trouver des solutions conventionnelles, explique Jean-Frédéric Poisson. La seule manière de donner plus d’autonomie à la négociation collective est d’offrir davantage de pouvoirs à l’accord d’entreprise. » Invité le 13 novembre par l’Association des journalistes de l’information sociale (Ajis), le directeur général du travail Yves Struillou estimait que « la logique, c’est quand même de laisser plus de place à la négociation d’entreprise ».

Indispensable aux PME

Cette solution fait craindre aux PME un dumping social néfaste à leur attractivité ; celles-ci arguent également qu’elles ne sont pas équipées pour négocier. C’est pourquoi la CGPME et l’UPA ne voient pas d’un si bon œil le renforcement de la négociation d’entreprise. Pour elles, la branche est indispensable. Quant aux syndicats, ils craignent une remise en cause des acquis sociaux. « Si l’on applique la supplétivité, on risque d’avoir un Code du travail par entreprise, et s’il n’y a pas de forces syndicales dans les entreprises pour négocier, ce sont tous les acquis qui risquent de partir », commente, de son côté, Jean-François Foucard, de la CFE-CGC de la métallurgie, qui travaille en ce moment à l’évolution de son dispositif conventionnel.

La supplétivité n’a rien de nouveau non plus, puisqu’elle a été introduite dans le droit français par la loi d’août 2008 sur le temps de travail. Comme l’explique Franck Morel, avocat chez Barthélémy, à l’époque au cabinet du ministre du Travail, il s’agissait de contourner la loi de 2004 qui avait conduit les branches à verrouiller toute possibilité de dérogation (lire son interview p. 25). Las ! Les entreprises ne se sont pas non plus saisies de cette liberté, sans doute par peur de rouvrir la boîte de Pandore du temps de travail. Interrogé sur son rapport par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, Jean-Denis Combrexelle expliquait aux députés : « Nous avons déjà deux lois importantes qui autonomisent l’accord d’entreprise par rapport à la branche, il faudrait déjà que les entreprises utilisent les marges de négociation qui existent. »

Quelle est la valeur ajoutée de la branche ?

La loi sur le dialogue social de 2004 accorde aux entreprises la possibilité de déroger aux accords de branche à deux exceptions : lorsqu’un accord de branche l’interdit, et dans quatre domaines définis par la loi. À savoir : les salaires minima, les classifications, les garanties collectives, dont les risques sont mutualisés (prévoyance, complémentaire santé), et les fonds mutualisés recueillis au titre de la formation professionnelle. Ce n’est pas un hasard si le législateur a réservé ces domaines, car ils correspondent à la valeur ajoutée de la branche : égalisation de la concurrence (salaires et classification) et mutualisation (couverture santé et fonds de la formation). Le gouvernement semble vouloir y ajouter la rédaction d’accords-types s’appliquant aux TPE ainsi qu’une offre de services globale : contrat de travail type, déclaration et demandes auprès des administrations, mise à disposition de textes conventionnels.

(1) “Évaluation de la loi du 4 mai 2004 sur la négociation d’accords dérogatoires dans les entreprises”, Olivier Mériaux, Jean-Yves Kerbourc’h, Carine Seiler, Dares, août 2008.

Auteur

  • E. F.