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LA SEMAINE

Les entreprises face au risque terroriste

LA SEMAINE | publié le : 24.11.2015 | Emmanuel Franck, Virginie Leblanc, Élodie Sarfati

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Les entreprises face au risque terroriste

Crédit photo Emmanuel Franck, Virginie Leblanc, Élodie Sarfati

Un peu plus d’une semaine après les attentats de Paris, les entreprises et les partenaires sociaux s’interrogent sur les mesures de long terme nécessaires pour protéger et soutenir les salariés. Du recours aux entreprises de sécurité, très sollicitées, au renforcement des dispositifs d’information aux collaborateurs en passant par l’intervention des spécialistes des risques psychosociaux.

Après la sidération des premiers jours et l’accueil de salariés parfois fragilisés, beaucoup d’entreprises ont compris qu’elles ne pourraient faire l’économie d’une réflexion approfondie sur la sécurité de leur activité et de leurs collaborateurs. Certaines ont même dû réagir en urgence, comme Orange Business Service, Generali ou Engie, situées à Saint-Denis, non loin du lieu de l’assaut du Raid contre les terroristes le 18 novembre. Elles ont alerté leurs salariés par e-mail ou Twitter pour les dissuader de venir au bureau ce jour-là. Désormais, c’est la question des mesures de moyen et long termes qui se pose : sécurisation des accès aux sites, éventuelle surveillance vidéo, voire sécurisation des procédures de recrutement. Manuel Valls réunissait d’ailleurs les partenaires sociaux le 20 novembre à Matignon, en présence de la ministre du Travail Myriam El Khomri, pour évoquer les conséquences de l’état d’urgence « sur le fonctionnement des entreprises et sur leurs salariés ».

D’ores et déjà, le secteur de la sécurité privée est en surchauffe : « Les entreprises font face, mais notre réservoir de main-d’œuvre n’est pas inépuisable », reconnaît Christophe Salmon, conseiller de Claude Tarlet, président de l’USP (Union des entreprises de sécurité privée). « Les premiers appels ont été ceux de nos clients pour renforcer leurs dispositifs, et nous n’avons pas forcément le temps de répondre aux nouvelles demandes, constate un porte-parole du Snes (Syndicat national des entreprises de sécurité privée, affilié à la CGPME). On manque d’agents dûment encartés. »

Sécurité : une formation de 140 heures minimum.

En attendant, le Snes a « demandé à la DGT des souplesses en droit du travail en matière d’heures supplémentaires. » Mais la demande s’annonce pérenne, à la différence de l’après-7-janvier. Et il n’est pas question de recruter dans l’urgence, a rappelé par exemple Securitas. « Nous savons que la sécurité privée est ciblée par les organisations terroristes pour être infiltrée », signale Michel Mathieu, président de Securitas France, dans un communiqué. Une fois habilité par un établissement administratif sous tutelle du ministère de l’Intérieur, le Conseil national des activités privées de sécurité (Cnaps), un agent doit suivre une formation de 140 heures minimum, rappelle le Snes. Mais quelle formation ? s’interroge par ailleurs Amar Lagha, secrétaire général de la fédération CGT du commerce et des services : « Face aux menaces terroristes, il faut des agents capables d’analyser le risque, de réagir face à une personne armée, etc. Il ne s’agit plus de recruter des vigiles pour prévenir les vols dans les magasins. »

Le Medef veut, de son côté, informer les entreprises. Il a créé un groupe de travail consacré à “la sécurité des entreprises et des salariés” présidé par Claude Tarlet. Pour Christophe Salmon, qui en sera un rapporteur pour le Medef : « Il faut d’abord rappeler aux entreprises des mesures de bon sens : surveiller toutes les entrées, les livraisons, ne pas accepter de colis non prévus ou des visiteurs non attendus. Dans un second temps, nous devrons travailler sur le changement de culture en matière de sécurité, sans tomber dans la paranoïa. Il faut explorer les process, l’organisation, le management. Certains secteurs sont déjà habitués, d’autres pas. »

Droit de retrait.

Pour les salariés aussi, l’information sera nécessaire. « C’est important d’expliquer précisément les mesures de sécurité mises en place, pour les rassurer », note Olivier Guivarch, secrétaire général adjoint de la CFDT. Il n’est pas exclu par exemple qu’à l’avenir, certains soient tentés d’exercer leur droit de retrait. Quelles en sont les conditions et, notamment, comment définir l’exposition à un danger grave et imminent sur lequel il repose ? Par exemple, les salariés des entreprises qui se situaient à proximité de l’appartement dans lequel s’étaient retranchés les terroristes à Saint-Denis couraient un danger grave et pouvaient exercer leur droit de retrait.

Mais « l’état d’urgence ne suffit pas à lui seul à caractériser un danger imminent, rappelle Sylvain Niel, avocat associé au cabinet Fidal, non plus que la crainte d’un salarié de prendre les transports en commun pour se rendre à son travail ». Le salarié est seul à pouvoir évaluer s’il court un danger grave, mais son employeur peut ensuite vérifier que le droit de retrait était justifié. Le week-end suivant les attentats, toutefois, certains employeurs ont simplement été compréhensifs : « Des enseignes comme Starbucks ont décidé de maintenir la rémunération des salariés qui ne sont pas venus travailler », relate Olivier Guivarch.

Soutien psychologique.

Par ailleurs, le soutien psychologique aux salariés se poursuit dans certaines entreprises. Si un collaborateur a été directement touché, « le collectif de travail est forcément ébranlé, et il est essentiel que la direction propose un dispositif de soutien individuel, ou collectif », rappelle Xavier Alas Luquetas, président fondateur du cabinet conseil Eléas, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux. Les entreprises peuvent organiser des débriefings collectifs ou individuels sur site, rappelle la Firps (Fédération des intervenants en risques psychosociaux), tout en insistant sur les règles de déontologie à respecter : elle invite à consulter un guide pratique, disponible sur son site*.

Du côté des cabinets de conseil, les demandes affluent. À Psya, par exemple, 41 interventions sur site étaient prévues la semaine dernière, alors qu’en temps normal, le cabinet en assure 220 à 230 sur l’année. « Les salariés ont besoin de s’exprimer, et la hiérarchie doit aussi montrer son soutien et sa conscience des difficultés en faisant acte de présence, selon Xavier Alas Luquetas. Même si aucun salarié n’a été touché directement par les événements, les entreprises doivent rappeler tous les dispositifs existants en interne et susceptibles d’aider des collaborateurs traumatisés : médecins du travail, assistante sociale, managers RH… Et sensibiliser chacun à être vigilant au regard des difficultés d’un collègue. »

Le Medef veut prévenir les radicalisations religieuses

Un groupe de travail, conduit par Thibault Lanxade et Jean-François Pilliard, vice-présidents du Medef, et chargé de réfléchir aux questions de ressources humaines et de management, axe sa réflexion sur la question de la radicalisation religieuse au sein des entreprises. Une approche plus large que la stricte prévention des attentats. Thibault Lanxade rappelle que le Medef a déjà réalisé des sondages et publié un guide sur le sujet. Pour autant, « les entreprises ne sont pas outillées pour faire face au fait religieux », admet-il. Il avance donc une première proposition : ouvrir une hotline d’experts auxquels les managers, notamment, pourraient poser leurs questions.

Par ailleurs, il se déclare favorable à un « partage d’informations » des entreprises avec les pouvoirs publics. Mais, reconnaît-il, il reste à définir sur quelle base faire un signalement. Il souligne, en outre, que les entreprises seraient prises dans une injonction contradictoire entre leur volonté de participer à une « vigilance citoyenne » et la peur d’être accusées de discrimination. « On a beaucoup réfléchi aux droits des salariés confrontés à des discriminations, mais pas à la défense des entreprises », assure-t-il.

* www.firps.fr

Auteur

  • Emmanuel Franck, Virginie Leblanc, Élodie Sarfati