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Les régimes de retraite à prestations définies en disgrâce

ZOOM | publié le : 27.10.2015 | Séverine Charon

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Les régimes de retraite à prestations définies en disgrâce

Crédit photo Séverine Charon

Régulièrement, l’émoi suscité par les montants des plus importantes retraites chapeaux de dirigeants a incité le législateur à taxer fortement le dispositif. L’article 39 a néanmoins son utilité dans la panoplie des outils RH.

En novembre 2014, après une énième affaire de retraite chapeau (celle de Gérard Mestrallet à GDF Suez), le législateur a de nouveau sévi. Le taux de la taxe additionnelle sur les retraites chapeaux – dites articles 39 (lire l’encadré ci-dessous) – instituée en 2010 a été relevée de 30 % à 45 %. Appliquée aux rentes supérieures à 304 320 euros en 2015, soit huit Pass (plafond annuel de la sécurité sociale), cette taxe concerne désormais toutes les rentes, même celles actuellement versées à des dirigeants partis à la retraite avant 2010.

Contestant cette taxe, le courtier Siaci Saint Honoré, l’association Eparinter, qui réunit une quarantaine d’entreprises, et Air Liquide ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par le Conseil d’État au Conseil constitutionnel le 11 septembre. Celui-ci rendra sa réponse pour le 11 décembre, peu avant la fin du premier exercice fiscal d’application.

« L’effet de cette contribution est catastrophique, souligne David Rigaud, avocat associé du cabinet Rigaud Avocats, qui accompagne les plaignants. Le texte de 2010 instituait une taxe sur les nouvelles rentes, les entreprises savaient à quoi s’en tenir. Ce n’est pas le cas avec la dernière mesure, qui a un effet rétroactif. »

« L’effet de seuil est énorme, insiste-t-il : le taux de la contribution est de 0 % pour une rente annuelle de 303 320 euros, et de 45 % à partir de 304 320 euros, soit une contribution patronale de 136 944 euros pour seulement 1 000 euros d’écart ! L’impact peut être très important pour une entreprise puisque, à partir de 2015, toutes les rentes servies sont concernées, y compris celles des dirigeants partis à la retraite depuis plusieurs années. Alors même que l’entreprise n’a plus la possibilité, en principe, de modifier les rentes déjà liquidées pour adapter son budget global en prenant en compte cette nouvelle contribution. »

Trois possibilités

La décision du Conseil constitutionnel peut prendre trois formes : l’abrogation pure et simple et l’annulation de la taxe de 45 %, l’émission de réserves, par exemple sur l’effet rétroactif, ou bien un avis de conformité.

Selon le rapport émis fin 2014 par l’Inspection générale des finances (IGF), environ 50 personnes seraient parties en retraite avec une retraite chapeau annuelle supérieure à 300 000 euros depuis 2010, date de l’institution de la taxe de 30 %. De source fiscale, environ 500 personnes bénéficieraient de pensions annuelles supérieures à ce seuil, tous régimes confondus (obligatoire, complémentaires, supplémentaires).

Les rentes de “39” supérieures à huit Pass sont, certes, plutôt rares, mais les régimes de retraite à prestations définies sont fréquents pour des dirigeants. Dans son deuxièmerapport annuel publié en octobre 2015, le Haut Comité de gouvernement d’entreprise* (HCGE) indique que 51,4 % des entreprises du SBF 120 et 75,7 % de celles du CAC 40 prévoient de tels engagements en faveur d’au moins un dirigeant mandataire social. Un avantage également accordé à de nombreux salariés : le rapport de l’IGF précise que plus de 200 000 retraités en bénéficient, le montant annuel des rentes étant toutefois inférieur à 5 000 euros pour 84 % d’entre eux.

« Beaucoup de grandes entreprises ont mis en place des régimes de retraite supplémentaire de type article 39 dans le passé et, malgré une vague de fermeture de ces dispositifs dans les années 1990, nombreuses sont celles qui en ont encore, notamment dans certaines branches comme la finance, le pétrole ou la chimie », explique Antonin Sedogbo, consultant au sein du cabinet Actense (conseil en protection sociale et actuariat).

Ces contrats ont en effet leur indication propre dans une stratégie RH. Ils font souvent partie du package accordé non seulement aux plus hauts dirigeants, mais aussi aux cadres supérieurs, ce qui permet de les fidéliser. Un exemple récent : Safran a mis en place un régime de retraite chapeau pour la catégorie des cadres dirigeants en janvier 2014. Les prestations sont à la fois limitées à trois Pass et plafonnées de manière à ce que le montant total des rentes perçues par un retraité n’excède pas 35 % de sa rémunération de référence.

Schneider Electric a aussi fait appel à l’article 39 en 2013, en supprimant un dispositif de congé de fin de carrière (CFC). Deux régimes ont été mis en place pour assurer la transition : le premier, réservé aux salariés de plus de 57 ans très proches de la retraite ; le second, pour tous les salariés qui auraient pu bénéficier du CFC.

Carrières atypiques

Face aux autres dispositifs de retraite d’entreprise, comme notamment le régime à cotisations définies de type article 83, l’article 39 tant décrié peut ainsi s’avérer fort utile dans la panoplie des outils RH : « Aujourd’hui, il faut investir de l’ordre de 1 % de sa rémunération pendant vingt ans pour espérer un complément de retraite de 1 % de son salaire de fin de carrière. Le 83 ne permet pas au salarié qui entre dans le dispositif en étant proche du départ à la retraite de se constituer des droits significatifs », explique Éric Teboul, directeur du pôle benefits du cabinet Adding.

En outre, « il ne permet pas de corriger certaines carrières atypiques, poursuit-il. Avec un 39, en revanche, les salariés qui ont connu des périodes d’activité à temps partiel ou de congé longue durée durant lesquelles ils ont peu ou pas cotisé pourront bénéficier d’un niveau de retraite minimal ».

Reste que ces types de contrat sont peu goûtés des directeurs financiers en raison des engagements sociaux qu’ils génèrent au bilan de l’entreprise (lire l’encadré ci-dessus). Et, comme les bénéficiaires doivent impérativement achever leur carrière dans l’entreprise pour bénéficier de leur rente, ce contrat continue à être majoritairement mis en œuvre pour les seuls cadres dirigeants partant à la retraite à court ou moyen terme.

Deux types de régime

Les contrats de retraite supplémentaire souvent désignés comme “article 39” (du Code général des impôts) prévoient des versements intégralement à la charge de l’entreprise, qui les déduit de ses bénéfices. En contrepartie, le salarié bénéficiaire se verra verser une rente ou un complément de rente garanti à un niveau fixé dès le départ (prestations définies). Le versement de la rente est conditionné à l’achèvement de la carrière du salarié dans l’entreprise. Il existe des régimes additifs, où la rente sera égale à x % du dernier salaire, et des régimes différentiels, où le niveau global de retraite est garanti, déductions faites des autres régimes de retraite obligatoire dont bénéficie le salarié.

Le poids des engagements de retraite a augmenté en 2014

Le cabinet d’actuaires conseil Galea & Associés a publié, cet été, son étude annuelle sur le poids au bilan des entreprises du CAC 40 des engagements sociaux contractés envers les salariés. La baisse des taux d’intérêt observée en 2014 fait mécaniquement augmenter le poids des engagements financiers futurs. Ainsi, ces dettes cumulées sont passées de 224 milliards d’euros fin 2013 à 270 milliards d’euros fin 2014 (+ 21 %).

La dette moyenne par groupe augmente aussi, passant de 5,6 à 6,7 milliards d’euros. Les engagements moyens représentent 12 % des capitaux propres. Pour Airbus, Alcatel Lucent, EDF, Michelin et Solvay, les provisions de retraite représentent plus de 40 % des capitaux propres.

Seuls Air Liquide, Carrefour et Technip voient leurs engagements de retraite diminuer et constatent donc un bénéfice en compte de résultat grâce à des modifications de leurs régimes existants.

*Le Haut Comité de gouvernement d’entreprise a été installé en octobre 2013 par le Medef et l’Association française des entreprises privées (Afep) afin d’assurer le suivi de l’application des principes posés par le code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, qu’ils élaborent conjointement et qu’ils ont révisé en 2103.

Auteur

  • Séverine Charon