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L’enquête

Marché : Les prestataires de formation sous pression

L’enquête | publié le : 27.10.2015 | Laurent Gérard

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Marché : Les prestataires de formation sous pression

Crédit photo Laurent Gérard

Baisse du chiffre d’affaires, budgets en réduction, fortes attentes qualitatives des entreprises, perspectives sombres… Les prestataires de formation sont sur le grill de la réforme de la formation continue.

Deux cent quinze organismes de plus de 100 000 euros de chiffre d’affaires, tous secteurs de formation confondus, ont été déclarés en défaillance pour la période du 1er janvier au 30 septembre 2015. À la même la période en 2014, ce chiffre était de 125 : le nombre de défaillances enregistre donc une hausse de 72 %.

Pour les organismes de formation linguistique, l’impact est particulièrement important : de huit défaillances pour toute l’année 2008, le chiffre est passé à 18 fin septembre 2015, dont 13 organismes de plus de 100 000 euros de chiffre d’affaires, soit une hausse de 125 %.

Ces constats sont tirés de l’étude du cabinet Linguaid (à paraître prochainement) sur le marché des formations linguistiques, et ils objectivent la situation du marché. Face à cette situation, la Fédération de la formation professionnelle (FFP) reconnaît que le passage est difficile et que cette difficulté se prolonge : « Fin juin 2015, les organismes privés de formation continuaient à enregistrer une baisse de leur chiffre d’affaires de l’ordre de -15 %, avec pour certains un chiffre atteignant les -50 % », précise Jean Wemaëre, président de la FFP.

Risque de trou d’air

La FFP, adhérente du Medef, dit soutenir encore « les ambitions portées par la réforme », mais estime que, depuis mai 2014, « les conditions de son succès rapide ne sont pas réunies ». Elle avait alerté le gouvernement et l’ensemble des parties prenantes sur « le risque de trou d’air consécutif à l’entrée en vigueur de la loi à compter du 1er janvier 2015 », et les baisses de chiffre d’affaires ne rendent pas optimiste. La FFP se retrouve dans la position inconfortable de « continuer à défendre des mesures qui permettraient de concrétiser les ambitions portées par les partenaires sociaux et le législateur », tout en évitant « l’effondrement d’un secteur de 150 000 salariés, essentiel à l’employabilité et à la compétitivité de notre pays ».

En outre, les tendances sont mauvaises. Le quart des entreprises avouent une baisse de budget dès 2015, et un gros tiers (36 %) réduisent dès cette année leurs achats de formations externes, selon le baromètre du Groupement des acteurs et responsables de la formation (Garf), rendu public mi-septembre. Parallèlement, 49 % des salariés interrogés par une récente étude Demos disent « ressentir un ralentissement dans l’investissement formation de leur entreprise ».

« Les organismes de formation diplômants vont globalement bien, les autres vont globalement mal », analyse Jacques Bahry, directeur des relations institutionnelles du groupe IFG, membre du bureau du Cnefop (Conseil national de l’emploi, de la formation et de l’orientation professionnelle), et qui a longtemps été responsable du Cesi (groupe de formation) et l’un des vice-présidents de la FFP. « Mais, dans l’ensemble, ajoute-t-il, les prestataires vivent très mal la réforme et ses conséquences trop rapides dues à un manque de préparation : décret qualité très tardif, listes CPF incomplètes, inventaire inabouti… Les Opca sont en première ligne dans cette réforme, avec une redéfinition de leur rôle, de leurs moyens humains et de leurs finances. Et leurs difficultés impactent les prestataires. À cela s’ajouteront les résultats des élections régionales de décembre, qui risquent de changer les équipes en place : tout cela devient très difficile à lire pour les prestataires. »

Selon Jacques Bahry, la disparition du 0,9 % plan de formation aurait été bénéfique pour les grandes entreprises dans une meilleure conjoncture, mais celle-ci n’est pas bonne : « Aucune entreprise ne dit qu’elle ne fera plus de formation et beaucoup ont acquis une vraie maturité, mais une priorité moindre sera accordée à la formation professionnelle », prévient-il.

Prestation de conseil

« Le marché de l’ex-0,9 % va se fondre dans celui de la prestation intellectuelle de conseil, du fait de la fin de l’imputabilité, qui était une règle protectionniste. Parallèlement, les entreprises de technologie vont davantage occuper le terrain de la formation et/ou des bases de connaissances géantes dans lesquelles les formateurs-animateurs viendront piocher », prévoit Jacques Bahry, qui est aussi président du Forum français pour les formations ouvertes et à distance (Fffod).

Dans cette tourmente, la digitalisation des contenus, la labellisation qualité des processus de production et la recherche de partenaires certifiants-diplômants sont présentées comme des solutions incontournables que doivent adopter les prestataires. Possible, mais pas certain. L. G.

Le cas spécifique des formations linguistiques

« Les organismes de formation linguistique ont rapporté une baisse de 20 % à 25 % de leur chiffre d’affaires au premier trimestre 2015, malgré un boom de commandes DIF en décembre 2014, passées par certaines entreprises en anticipation des problèmes liés au démarrage du CPF », affirme Andrew Wickham, responsable de l’étude Linguaid sur le marché spécifique des formations linguistisques. Ce chiffre a été confirmé pour le premier semestre 2015 lors d’une réunion en juillet de la commission langues de la Fédération de la formation professionnelle.

Les gros, les petits et les très petits

Il est probable que la situation n’évolue pas exactement de la même manière pour tous les organismes de formation. « Beaucoup d’entreprises de moins de 250 salariés, qui ne dépensaient déjà pas beaucoup plus que le minimum légal, vont réduire leurs dépenses au titre du “plan” à partir de 2015 et tenter de faire financer la formation de leurs salariés le plus possible par les Opca, analyse Andrew Wickham, du cabinet Linguaid. Ce sera également le cas de certaines entreprises moyennes de 300 à 500 salariés à la recherche d’économies financières. » En conséquence, l’étude Linguaid dessine la carte des organismes de formation « en situation de risque maximum » en 2015 et en 2016. « C’est-à-dire ceux qui cumulent un chiffre d’affaires de moins d’un million d’euros, un financement à plus de 50 % par les Opca ; une part de ce qui était le DIF dans le chiffre d’affaires de plus de 35 % ; une clientèle surtout composée de PME de moins de 300 salariés ; et des clients dans les secteurs qui forment peu, comme les industries du textile, de la construction ou de la réparation automobile. »

À l’inverse, d’autres organismes de formation auraient moins de souci à se faire s’ils parviennent à se maintenir cette année. C’est-à-dire « ceux de plus de 2 millions d’euros, dont un tiers de leur chiffre d’affaires seulement proviendrait des PME, avec une part de financement Opca de 15 % maximum et ex-DIF de moins de 20 %, travaillant surtout avec des multinationales et des grands comptes… Ces prestataires seront sans doute plutôt moins exposés à moyen terme, même s’ils souffriront comme les autres du démarrage poussif du CPF », conclut Linguaid.

Quant aux formateurs individuels, « 2015 est une année blanche, et 2016 se présente mal : les formateurs sont la variable d’ajustement des organismes », assure Jacques Faubert, président de la chambre syndicale des formateurs-consultants d’Ile-de-France.

Auteur

  • Laurent Gérard