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L’enquête

L’Eldorado annoncé

L’enquête | publié le : 27.10.2015 | L. G.

Dans les faits, et surtout dans les discours, la digitalisation des contenus est présentée comme incontournable. Mais l’attrait pour ce type de formations sera-t-il aussi fort que prévu ?

Digitalisation, numérisation, distribution par Internet : les prestataires de formation doivent y passer s’ils veulent résister au vent de la réforme, et les initiatives se multiplient. Les éditions ENI ouvrent un nouveau portail pour « individualiser, simplement et efficacement, les formations des collaborateurs ». 360 Learning publie un livre blanc sur Comment digitaliser la formation des métiers en entreprise ? E-doceo, éditeur de logiciels de digital learning utilisés par près de 6 millions de personnes dans le monde, lance « une nouvelle classe virtuelle encore plus axée sur l’interactivité ». Demos passe un accord avec l’éditeur de logiciels Teach on Mars « afin de créer et de proposer des solutions de formation digitales pour les appareils mobiles, smartphones, tablettes… ».

Un Mooc sur le dialogue social

Le Cnam a ouvert le 19 octobre « le premier Mooc consacré au dialogue social dans la formation professionnelle » ; 3 000 personnes sont déjà inscrites, assure Jean-Marie Luttringer, expert du droit de la formation et coanimateur du Mooc.

José Montes, président depuis un an du numéro 1 français Cegos, confirme la tendance : « 50 % de notre CA groupe – environ 200 millions d’euros – est aujourd’hui constitué de blended learning utilisant diverses modalités pédagogiques : e-learning, classes virtuelles, coaching… »

La formation en ligne (digitalisée, numérique, à distance ou pas) attire les entreprises, surtout celles du CAC 40, voire du SBF 120. Ainsi, 80 % des 516 professionnels RH (DRH-RRH, responsables formation, chargés de projets formation) questionnés en septembre 2015 par Unow(1), prestataire de formation à distance et en ligne (Mooc, Spoc), ont une bonne, voire très bonne opinion de la formation en ligne. Ce chiffre s’élève à 85 % pour ceux qui ont mis en place un dispositif, tandis que moins de 5 % en ont une mauvaise opinion. Pour ces pro-digital, les atouts de la formation en ligne sont : la plus grande souplesse pour les collaborateurs (87 %), le coût (58 %), le suivi personnalisé des apprenants (42 %), l’interactivité et la dimension sociale permises par le numérique (33 %).

Engouement limité

Problème : si Orange, par exemple, vise l’objectif d’une offre de 50 % de formations digitales pour ses salariés à l’horizon 2018 et, à travers elle, un niveau de réalisation d’environ 15 % de l’ensemble de l’effort de formation ; pour d’autres, l’engouement reste très théorique. L’étude Unow montre que 50 % des responsables RH interrogés n’ont jamais mis en place de tels dispositifs, que 21 % des responsables formation déclarent ne pas les connaître suffisamment, et que 40 % des sondés « ne mettront pas en place un tel dispositif pour leurs collaborateurs dans un futur proche » ! Et certains prestataires émettent des bémols. Ainsi, Emmanuelle Rohou, consultante à la direction learning solutions de Demos, affirme qu’« il est trop difficile d’apprendre seul derrière son bureau. L’apprenant a besoin d’échanger avec ses pairs pour s’améliorer : le digital n’est pas qu’un outil, c’est aussi et surtout un esprit de réseau social ».

360 Learning, dans son livre blanc, constate également que, « souvent plébiscitée, la formation numérique ne semble pas pour autant être devenue une évidence au sein des entreprises françaises : 61 % des directions des ressources humaines que nous avons interrogées ne disposent pas d’une solution digitale de formation, et 78 % indiquent que, lorsque ces outils sont déployés, l’usage parmi les salariés n’est pas au rendez-vous ».

Un risque de désillusion

Le Forum français pour la formation ouverte et à distance (Fffod) organisera les 17, 18 et 19 novembre prochains ses 13es Rencontres sur le thème des mythes et réalités des apprentissages numériques. Autrement dit : comment se préserver de la désillusion née des espoirs de la formation via le digital. « Ce type de formation est maintenant dans la loi et nul ne peut plus contester sa validité, constate Jacques Bahry, président du Fffod. Mais nous rencontrons toujours des réticences. Et un enthousiasme démesuré pour les outils précède en général une grande désillusion. Les mythes polluent les discours et créent des illusions néfastes au développement de ces dispositifs : un des plus mauvais services rendus à l’e-learning à ses débuts a été de le présenter comme un mode économique par rapport à une formation classique. Or un face-à-face pédagogique entre un stagiaire et un formateur peut coûter moins cher. »

Autre illusion, pédagogique celle-là : « La formation digitale permet d’accumuler beaucoup d’informations, mais cumuler des masses de données n’est pas se former. Un tas de briques ne fait pas une maison ; l’enjeu, c’est la structuration de la pensée. » En termes d’acteurs, Jacques Bahry pense que l’évolution vers le digital risque d’être assurée par de grandes sociétés qui produiront d’immenses bases de données de connaissances, plutôt que par des formateurs individuels produisant leurs outils pédagogiques. Un avis corroboré par José Montes, président de Cegos, qui note : « Les tendances à l’industrialisation et à la technologisation s’accélèrent, elles augmentent les barrières à l’entrée sur ce marché de la formation jusqu’alors facile d’accès ». Le président du Fffod avance un dernier bémol, juridique : « La loi a reconnu la légitimité de la formation à distance mais ce n’est pas gagné ! Car elle ne dit pas ce qu’il faut présenter à un éventuel contrôleur de l’État après la formation, même si les éléments pédagogiques à donner avant sont précisés. D’importants débats avec la DGEFP et les Opca sont encore à trancher. En France, après des années de freins réglementaires qui ont ringardisé la formation – pourtant exemplaire il y a vingt ans –, on a desserré le frein, mais on n’a pas appuyé sur l’accélérateur. »

1) Étude “RH et Digital Learning”.

Auteur

  • L. G.